On peut qualifier mon récit celui d’un extérieur, je suis Néerlandaise, d’éducation protestante, mais mon expérience est fondée sur 18 ans de participation active à la société française. Vous en faites ce que vous voulez.
Depuis deux ou trois ans, bien avant ce débat sur le mariage gay, j’ai pris conscience du fait que le regard de la société française sur l’homosexualité diffère de celui que je pensais être du sens commun, sens commun fondé sur mon éducation aux Pays-Bas.
J’ai découvert la différence en premier dans le contexte de l’éducation de mes fils. Par exemple, je disais à mon fils ainé : « Plus tard, quand tu auras une copine ou un copain, tu comprendras les problèmes de couple ». Mon entourage me l’a reproché parce que je risquerais d’en faire un gay. Puis autre exemple, mon fils cadet aime les bijoux. Remarque de l’entourage : « tu ne devrais pas le laisser avec ça, imagine ce qu’il pourrait devenir. ».
Mes fils revenaient à la maison avec beaucoup de négativité sur les homosexuels. J’ai voulu contrecarrer en montrant la normalité des homosexuels, mais nous ne connaissons aucun couple de même sexe, mon compagnon n’en connait pas au boulot, et je ne connais qu’un ou deux couples de femmes à l’université, mais seulement de loin. On m’a alors expliqué qu’en France les homos se cachent sauf dans le Marais et chez les people (d’où le constat facile que les gays sont une minorité et tous extravagants). Alors, j’ai questionné mes enfants, j’ai montré des extraits de séries américaines sur Youtube (mais oui, j’en étais réduite à cela) avec des bisous gays (Kurt et Blaine dans Glee), des mariages gays (Kevin et Scotty dans Brothers et Sisters). Suite à nos discussions, mon fils cadet disait : « quand j’aurai 20 ans, j’espère que je ne serai pas gay ». Mon fils ainé disait : « si j’ai un copain gay, il sera toujours mon copain, mais je lui conseillerais de le cacher quand-même, sinon il sera embêté ». Alors que moi, j’étais effarée de l’homophobie déjà intériorisée à cet âge-là, d’autres parents trouvaient ces réponses très bien. Puis mon fils ainé a fini par me dire avec une certaine lucidité : « Mais maman, il n’y a que toi pour ne pas ne pas aimer les gays » (double négation véridique). En définitive, j’ai eu l’impression d’harceler mes fils avec l’homosexualité, on m’a même reproché de trop les brasser, mais je me suis défendue en disant qu’il fallait bien que je contrebalance l’effet de la société et de l’école.
En parlant avec d’autres parents, j’ai compris que non seulement l’hétérocentrisme règne, mais de surcroît il est associé à une fierté de l’acceptation et de la tolérance (sic) de l’homosexualité en France. On m’a expliqué qu’il ne faut pas s’en faire, que « les enfants aiment ce qui relève de la normalité », qu’il faut leur expliquer « que les homosexuels ne sont pas comme nous, mais qu’il faut les respecter », qu’en France, la situation a changé, parce que « même un homophobe ne changera pas de coiffeur ou de cuisinier, s’il le découvrait homosexuel ». On m’explique également que « c’est normal qu’aucun parent souhaite l’homosexualité pour son enfant, non pas parce qu’il ne l’accepterait pas, mais parce que l’enfant aura une vie plus difficile que s’il était hétéro ». J’étais perplexe, et je le suis encore aujourd’hui, d’une part, pour moi, c’est vraiment le niveau 0 de l’acceptation, d’autre part, cela n’est pas prêt à changer avec cette attitude-là. C’est bien la société qu’il faut changer pour que hétéros et homos aient les mêmes chances d’avoir une vie heureuse ou malheureuse. Nous le devons à nos enfants.
Après réflexion, dans ma pensée déjà avant ce débat, l’acceptation de l’homosexualité veut dire qu’elle relève justement de la normalité, et que par conséquent, c’en est fini avec la présomption d’hétérosexualité. Je pensais que, dans un monde où l’on se doit de laisser toutes les possibilités ouvertes à ses enfants, mes enfants n’auraient pas à faire de coming-out. Que l’on se doit de faire en sorte qu’ils n’aient pas non plus envie de se suicider pour raison d’homosexualité, simple principe de précaution. Or, dans les discussions, on m’a fait comprendre que j’avais tout faux. La norme dans la société française, c’est l’hétérosexualité, et si tu te découvres une attirance vers le même sexe, il faut mieux le cacher dans ta scolarité, surtout ne pas se montrer efféminé si tu es un garçon, puis tu pourras vivre ton homosexualité dans la sphère privée, cela se passera très bien, tu pourras même « l’avouer » au boulot (si tu veux, tu n’y es surtout pas obligé, mieux vaut le garder dans la sphère privée), il ne se passera rien de grave, et comme récompense de la part de la société, tu seras toléré ou même accepté ! Alors que moi, ce schéma m’horripile, il est tellement intériorisé que même un couple d’hommes de même pas trente ans m’ont parlé de leur parcours ainsi et avec fierté et satisfaction sur le niveau d’acceptation en France.
Alors, j’ai douté de moi, faut-il que j’accepte l’hétérocentrisme dans la société française comme immuable ? Est-ce que le coming-out fait partie intégrante du processus de la découverte de soi de l’homosexuel ? Est-ce qu’il y a droit ? Est-ce que je dois laisser baigner mes fils dans la « normalité » hétérosexuelle, pour qu’ils puissent se sentir virils en se moquant de copains gays ? Ou pour que, s’ils sont gays, ils puissent ressentir la haine de soi, le surmonter, et faire leur coming-out, comme tout gay, avec la crainte du rejet par leurs parents ? C’est l’ordre des choses ? Je me suis sentie profondément mal à l’aise.
Dans le monde professionnel, j’ai alors testé un peu à travers l’humour. Une fois, je parlais avec enthousiasme de la réussite professionnelle d’une collègue femme, j’ai alors blagué « j’aurai été gouine, je serai tombée pour elle ». C’est passé sans problèmes. Une autre fois, j’ai dit à des collègues homme, à propos d’un étudiant flatteur, s’ils s’étaient déjà « fait draguer » par l’étudiant en question. Pour pas mal de collègues, cela ne passait pas du tout. J’ai vu que l’homme hétéro français n’aime pas se faire « soupçonner » d’homosexualité à un point que même une blague, innocente à mon avis, le fait réagir de façon hostile : « Ah, que non, je ne suis pas du tout comme cela ! ». J’ai alors compris que, dans un monde où les blagues sexistes sont acceptées, il faut qu’elles respectent bien la norme hétérosexuelle.
Est venu donc le débat sur le mariage pour tous en France. J’ai pu profiter de l’actualité pour faire mon coming-out de straight ally (l’entrée wikipedia n’est pas disponible en français) en tout cas sur Facebook. Puis c’est devenu plus facile d’en parler au boulot, en famille, en général. Trois cas de figures se présentent alors. 1) Une partie des gens disent que bien sûr ils sont « pour », la France est en retard, mais que cela va passer sans problèmes, c’est acquis, l’homosexualité est acceptée. Ce sont ceux d’ailleurs qui ont des homos ou des lesbiennes dans la famille proche. 2) Une partie des gens disent qu’ils ne sont pas contre, mais qu’il y a des choses plus importantes, qu’il s’agit d’une minorité, que ce n’est pas la peine de se faire un sang d’encre. Ils en parlent d’ailleurs d’une façon détachée, ce n’est pas leur affaire et leurs enfants ont peu de chances d’y être confrontés. Je ne comprends pas vraiment cette attitude-là, ce sont pourtant des personnes qui peuvent beaucoup s’énerver sur des injustices sociales autre. A priori, les injustices envers les homos et leurs enfants ne nécessitent pas d’action selon eux ? 3) Une troisième partie des gens disent que bien sûr ils sont « contre », ce n’est pas naturel, c’est contre nature, ce n’est pas bon pour l’équilibre des enfants, et que ce sera la décadence (zoophilie, polygamie, pédophilie, etc). J’ai d’ailleurs pu constater que l’homophobie est moins taboue, en tout cas à l’université, que le vote FN.
Je m’intéresse plus particulièrement au troisième groupe. Je tente de comprendre. Comme je ne suis pas moi-même lesbienne (je ne suis donc pas « soupçonnée » d’homosexualité), ils m’en parlent sans gêne. C’est surtout les hommes, les gays, qui en prennent plein la gueule. Lorsqu’il est question de relation (sexuelle ou amoureuse ou les deux) entre personnes de même sexe se pose immédiatement la question à savoir quel partenaire joue le rôle du mâle dominant et noble, et celui de la femelle soumise et inférieure. L’idée de l’homme soumis est insupportable à l’homme hétéro, homophobe ou non d’ailleurs. J’apprends ainsi qu’apparemment se faire pénétrer est inférieur, dégradant même, pour un homme, mais non pas pour une femme ? Je découvre alors que cette homophobie va de pair avec la misogynie. Puis, on me dit que les homos font des choses pas nettes dans les « dark room ». Même des hommes hétéros gay friendly m’avouent qu’ils ne se sentent pas à l’aise lorsqu’ils se font mater par un homme (ce n’est pas très agréable de se faire mater, quelle découverte, je le sais depuis mes 16 ans !). A écouter les gens, les homos (ou certains homos ?) ont des pratiques sexuelles vraiment peu enviables. Mais alors, c’est tout de même une erreur de raisonnement grotesque que de disqualifier tous les homosexuels du même coup ? Puis quand bien même, les hétéros, dont une partie non négligeable sont obsédés sexuels, ont bien le droit de se marier et d’avoir des enfants, non ?
Et enfin, un mot sur la filiation. Pourquoi des couples de même sexe n’auraient pas le droit de faire de mauvais parents comme tout le monde ? Que le premier parent sans faille lève le doigt ! On ne peut obliger par la loi de ne procréer que dans le schéma traditionnel pour ne transmettre que celui-ci aux enfants. C’est l’insistance sur le schéma traditionnel qui, de façon cruelle pour ceux concernés, rend tous les autres schémas caducs (familles monoparentales, familles recomposées, enfants adoptés, enfants issus de la PMA, enfants de relations extraconjugales). Ce qu’un couple de même sexe aura à conter aux enfants au sujet de leur conception est une histoire humaine et émouvante. On pourra même dire que tous les enfants devraient avoir le droit à une telle histoire, l’histoire d’avoir été voulu par ces deux personnes précisément en dépit de l’impossibilité physiologique. A mon avis, on ne peut légiférer sur l’histoire que l’on aimerait conter à un enfant au sujet de sa conception. Même si l’on voudrait considérer l’homosexualité comme un tare, en quoi ce tare est-il disqualifiant pour avoir des enfants en comparaison avec d’autres tares (couples mixtes, couples binationaux, stérilité, infidélité, addiction, inceste, violence, célibat).
Je suis allée aux Pays-Bas pour les fêtes. J’ai discuté avec mes parents. Ils avaient déjà largement passé ce stade de la « tolérance », et ceci il y a 20 ans lorsque mon frère avait un groupe d’amis gays de surcroît plus âgés que lui. Mes parents lui avaient dit exactement la même chose qu’à moi lorsque je sortais en boîte jusqu’à tard dans la nuit : « respecte tes envies à toi, ne te laisse rien imposer par quiconque ». Puis ils l’ont soutenu dans les choix de vie qu’il a faits – aujourd’hui marié à une femme, délibérément sans enfants. Les Néerlandais ont tous des connaissances, des amis de même sexe qui vivent en couple. Si l’homophobie existe aussi aux Pays-Bas, les Néerlandais ne comprennent pas du tout cette envolée de l’homophobie aujourd’hui en France.
Alors voilà pourquoi j’ai chialé ces jours-ci. Même pas tant à cause des antis qui manifestent dans la rue, ils sont irrécupérables ceux-là. Mais à cause de toute cette fausse acceptation, cette notion idiote que l’on peut être fière de la « tolérance » de l’homosexualité en France, cette indifférence, cette mécompréhension, cet hétérocentrisme. C’est dans cette société que nous élevons nos enfants. Espérons que la prestation de Christiane Taubira, magnifique, contribuera à changer les mentalités.