Mariage homo : déconstruction d’un argumentaire homophobe généralisé

Les arguments contre le mariage homo prolifèrent : les élus locaux brandissent le code civil comme garde-fou d’une institution strictement hétérosexuelle et les bigots craignent pour la santé mentale des enfants et l’équilibre des familles. Mais tout ceci manque de rigueur intellectuelle, pue le sophisme malhonnête, et dissimule une peur viscérale.

La peur est une sensation primaire dont les vertus ne sont pas, que je sache, l’exercice plein et entier de ses capacités intellectuelles, mais au contraire, leur atrophie. C’est l’impression que j’ai quand j’observe les réactions que soulève une demande aussi simple et aussi légitime que l’accès au mariage pour tous. Des esprits brillants se rétractent soudain dans une paralysie réflexive effrayante, émettant des amalgames monstrueux, des raccourcis aussi insultants qu’intellectuellement incompréhensibles.

Et à mes yeux, je l’affirme, toute argumentation discutant la légitimité du mariage homo est fondamentalement l’expression d’un sentiment homophobe, car elle considère d’office l’homosexuel(l)e comme un(e) sous-citoyen(ne) n’ayant pas accès au même droit que les nantis de la majorité hétérosexuelle.

Personnellement, je me fous du mariage. Je ne le veux pas pour moi, et je ne le souhaite pour personne. Cela signifie enterrement de vie de jeune fille, mariage coûteux, liste d’invités bourrée de compromis, plan de table hasardeux, et au-delà de la cérémonie, cela signifie divorce. Dans le cas de l’échec du divorce par consentement mutuel, c’est surtout un nombre incalculable d’emmerdes. Mais, je suis une sacrée mauvaise tête. Dans ma grande prétention, j’estime que je suis une citoyenne à part entière et qu’à ce titre j’ai d’office les mêmes droits et les mêmes devoirs que n’importe quel citoyen.

Premier tacle à ceux qui prétendent que parce que seulement 10% des homosexuels réclament le mariage, c’est inutile de s’en préoccuper pour le moment. Premièrement, c’est une aberration statistique. Les études et les sondages portant sur l’orientation sexuelle des individus est interdite en France à l’heure actuelle. Et ensuite, c’est sans pertinence. C’est une question de principe.

Concernant le rempart du code civil, qui semble faire office de réponse universelle et indiscutable : depuis quand un texte juridique est-il strictement voué à rester sourd aux évolutions de la société? Comme si le code civil n’avait jamais été modifié. Rappelons que ce n’est pas la première fois que les articles napoléoniens subissent un petit lifting. Et ces modifications concernaient déjà la famille. La notion de « chef de famille » a été remplacée par la celle de « communauté de vie », abolissant la notion de « puissance maritale » et redonnant ainsi une plus grande liberté aux épouses.

Autre tarte à la crème plus « philosophique » celle-là : la raison d’être du mariage c’est la procréation et la perpétuation d’une société par elle-même. Cette procréation repose sur l’altérité des genres et des sexes. Donc, le mariage, c’est un mec et une meuf. C’est la nature, c’est comme ça. Point barre. Comme si l’isogamie -plusieurs types sexuels font que des gamètes de même taille mais de systèmes moléculaires différents peuvent fusionner qu’avec des gamètes qui ont des allèles différents-, antérieure d’ailleurs à l’isogamie – deux types sexuels font que les petits gamètes ne peuvent fusionner qu’avec les gros gamètes et vice et versa-, et le genre hermaphrodite, étaient des pures inventions biologiques…et comme s’il n’avait jamais existé de couples homosexuels chez les animaux…

Petite variante dans la même veine: vous reconnaîtrez, nous répond-on, qu’un couple homosexuel ne peut naturellement pas procréer tout seul et donc répondre à la vocation procréatrice du mariage. Soit, soit. Donc à ce moment là, on interdit le mariage aux couples stériles et aux couples de vieux alors? Trêve de joutes verbales inutiles, je conclue cette partie de la dissertation par cette remarque délicieuse de Virginie Descoutures, chercheuse au CNRS citée sur le sujet dans Libération: « L’argument contre-nature est porté par des individus qui pensent que l’ordre social patriarcal, qui maintient une hiérarchie des sexes et des sexualités, est naturel ».

Quand la question de la procréation est évacuée, on nous sert aussitôt celle de l’éducation (non, rien ne nous est épargné). La légalisation du mariage pour tous, et à travers elle celle de l’adoption, doit prendre en compte le droit de l’enfant nous dit-on. En creux, comprenez qu’il ne s’agit pas d’officialiser l’union de deux personnes éprises l’une de l’autre ni de permettre de concrétiser un désir d’enfant purement égoïste. Qu’on arrête de rêver. Un enfant a besoin d’un référent masculin et d’un référent féminin. Hop, petit raccourci: d’un père et d’une mère quoi. Je passe sur les nuances qui existent entre la définition de « référent de genre » et celle de « géniteur ». Si ce n’est pas le cas, continuent-ils, quid du complexe d’Oedipe? Passé à la trappe pardi! Et l’enfant deviendra un pervers sexuel, une victime de la décadence de notre civilisation, totalement perturbé, ou pire…un homosexuel aussi…

Un matin encore, j’entendais également sur France Inter les témoignages d’enfants adoptés, et d’enfants ayant été élevés par un couple homoparental. Ils craignaient pour l’enfant, qui doit affronter le regard des autres sur une situation qui ne coïncide pas avec la norme. Là encore, le problème n’est pas l’homoparentalité dans l’absolu, mais le regard de la société sur elle. C’est justement l’inscription de cette nouvelle forme familiale dans la légalité qui va permettre à l’opinion d’évoluer. Je vais encore écrire une banalité, mais c’est le propre d’une crise, d’un changement, d’une transformation que de se faire avec difficulté. L’empêcher de survenir au prétexte que des enfants vont souffrir devrait interroger la mentalité des français et les moyens de la faire évoluer plus rapidement, pas le droit des homosexuels à cette vie de famille.

De toute façon, je suis fatiguée d’avance à l’idée de servir ici la batterie des arguments psys, qui disent tout et son contraire. Cela m’évoque ces étranges débats qui présentaient le vote des femmes comme un danger pour les affaires publiques, ou qui interdisaient ce même droit aux noirs…

Dois-je continuer cet exercice de conviction qui me donne l’impression d’utiliser la puissance de feu d’un bazooka pour éliminer une mouche? Je suis une citoyenne lambda, et mon orientation sexuelle n’est qu’un élément constitutif parmi tant d’autres (sexe, âge, CSP, religion) de mon identité. Pas de quoi fouetter un chat. Pas vraiment de quoi faire peur. Elle ne devrait pas être l’objet de tant d’efforts pour avoir le droit de vivre la même vie que mes concitoyens.

Typhaine C.
(lesechos.fr)