Le principe d’égalité que brandissent les partisans de cette réforme conduit à la banalisation de la condition homosexuelle. Leurs adversaires n’ont en fait pas d’autres arguments qu’une homophobie qui pour être souvent light, n’en est pas moins réelle.
Les manifestations qui se succèdent pour ou contre le « mariage gay » ont toutes quelque chose de paradoxales. Les anti ont été les premiers à battre le pavé. Ils ont réussi, jusqu’à présent, les mobilisations les plus puissantes. Celles qui en tous cas ont surpris par leur ampleur les promoteurs d’une réforme qui découle directement d’un engagement pris par le candidat Hollande, au cours de sa campagne. Ces défilés ont, il est vrai, une caractéristique très particulière. Ils protestent contre un droit qui, au sens propre du terme, ne concerne en rien ceux qui y participent. Les manifestants de 1984 entendaient défendre une liberté – celle de l’enseignement – dont ils estimaient qu’on voulait les priver. Les manifestants de 2010, dans un autre registre, se levaient, au nom de la justice, contre une réforme des régimes de retraite qu’ils jugeaient par trop inégalitaire. Rien de tel avec le mariage gay. Les opposants à ce projet de loi ne perdront rien s’il devait être adopté. Leurs droits resteront inchangés. Au fond, ils refusent à d’autres ce qu’ils considèrent comme le privilège d’une seule partie de la population.
On aurait pu s’attendre à ce que les défenseurs de la famille – cellule de base de la société, comme ils disent – se réjouissent que les homosexuels revendiquent la possibilité de se marier au moment même où l’institution du mariage civil, et encore plus religieux, tend à être délaissée par les plus jeunes générations. Or c’est sur le chemin inverse qu’ils ont préféré s’engager. Un peu comme s’ils voulaient eux même souligner le caractère de plus en plus minoritaire d’une forme d’union dont ils prétendent par ailleurs qu’elle constitue un des piliers de notre civilisation.
La démarche des pro-mariage gay comporte, elle aussi, sa dose de paradoxes. Elle a été plus tardive et en ce sens, elle exprime une forme de réaction face à la mobilisation du camp adverse. La logique auraient été pourtant que les partisans de cette réforme se mobilisent les premiers. S’ils ne l’ont pas fait, sans doute est-ce parce qu’ils estimaient que leur revendication était à ce point légitime qu’elle ne nécessitait pas autre chose qu’une approbation passive. Mais un autre facteur explique ce retard à l’allumage. Les partisans du mariage gay, lorsqu’ils sont eux-mêmes homosexuels, défendent un droit dont beaucoup n’entendent pas se saisir. La réforme promise par Hollande est d’abord un symbole. Elle lève, selon eux, une forme de discrimination. Elle institue un droit et non une obligation. Sa portée réelle dépasse – et de loin – son objet. On peut même dire qu’elle constitue un détour qui heurte la culture dominante d’une communauté davantage portée à défendre ses modes de vie qu’à les aligner sur ceux des hétérosexuels.
Un mot d’ordre : l’égalité
Sur de telles bases, il n’est guère étonnant que les arguments avancés par les uns et les autres aient autant de mal à se répondre. Pour les pro-mariage, tout découle de la notion d’égalité qu’ils mettent sans cesse en avant. Le mot d’ordre est simple. Il est peu contestable. Il s’applique aisément au mariage qualifié – et ce n’est pas un hasard – de « mariage pour tous ». Il entraine de facto le droit à l’adoption dans des conditions similaires pour les couples hétéro et homosexuels. S’agissant de la PMA (procréation médicalement assistée), on voit bien comment, au nom de l’égalité, on peut considérer qu’un couple de lesbiennes y a autant droit qu’un couple hétérosexuel. Reste que dans la chaine de ce raisonnement, il arrive un moment où la nature reprend ses droits. Pour avoir un enfant, hors procédure d’adoption, un couple d’homme ne peut qu’avoir recours à la GPA (gestion pour autrui), laquelle est aujourd’hui refusée, en droit, à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle.
Pour vaincre cette difficulté, sans rien céder sur les principes qu’ils invoquent, certains partisans du mariage gay mettent en parallèle, au nom de l’égalité, la PMA pour les lesbiennes et la GPA pour les homosexuels masculins. Ce faisant, ils modifient ce que constitue l’axe de leur raisonnement initial. L’égalité qu’ils invoquent cesse alors d’être celle des couples homo et hétérosexuels pour devenir celle des hommes et des femmes. L’une et l’autre se défendent. Mais dans un combat que l’on dit de principe, il n’est jamais bon d’ouvrir tous les fronts à la fois, en donnant le sentiment qu’on navigue au gré des opportunités. Les difficultés soulevées par la GPA portent sur la commercialisation du corps. Elles sont, en tous cas, suffisamment fortes pour qu’on n’essaye pas de les régler au détour d’une réforme d’une nature différente.
Des arguments qui ne tiennent pas la route
D’autant plus que dans la controverse autour du mariage gay, ses partisans ont un avantage de poids dont on voit mal pourquoi ils viendraient eux même l’affaiblir. Ils disent égalité et ils déclinent ensuite ce principe dans toutes ses conséquences. Ni plus, ni moins. Leurs adversaires, dès lors qu’ils n’osent pas leur opposer cette inégalité des statuts qui découlerait, à leurs yeux, d’orientations sexuelles divergentes, en sont d’ailleurs réduits à avancer des arguments dont le moins qu’on puisse dire est qu’aucun ne tient vraiment la route.
Le premier argument, celui que l’on lit le plus souvent sur les banderoles, repose pourtant sur une évidence apparente : un enfant, c’est un père et une mère. On notera au passage que les opposants à la réforme souhaitée par Hollande ne pointent pas directement du doigt le mariage en tant que tel mais sa conséquence logique, en l’état du droit défini par le Code civil, c’est-à-dire le droit à l’adoption. Dans sa formulation, leur slogan préféré repose toutefois sur une ambiguïté. Qu’il faille un homme et une femme pour faire un enfant, qui pourrait en douter? En revanche qu’il faille un homme et une femme pour élever un enfant est une toute autre affaire. En tous cas, celle-ci ne concerne pas que les homosexuels. Combien d’enfants sont aujourd’hui éduqués par un seul parent, soit en raison du décès d’un d’entre eux, soit en raison de la dissolution du couple ? Qu’est-ce qu’un orphelin, si ce n’est un enfant privé de ses parents ? Si la question, enfin, est celle du droit qu’à chaque enfant de connaitre le père ou la mère qui l’a conçu, là encore on ne voit pas quelle est la spécificité des homosexuels. On peut discuter de la validité des naissances sous X. Mais rien de tout cela ne concerne prioritairement l’orientation sexuelle des personnes concernées.
Les psys dans le brouillard
Dans cet argumentaire, on en revient toujours au même point qui mobilise, depuis quelques temps, tous les psys de la création dont on ne savait d’ailleurs pas qu’ils étaient devenus à ce point les directeurs de consciences des familles françaises, fussent-elles les plus traditionnalistes. Or l’honnêteté voudrait aujourd’hui que ces psys reconnaissent qu’ils ne savent pas grand-chose des effets sur un enfant d’une éducation par un couple homosexuel ou, plus précisément, par un couple ayant toujours été homosexuel. Les cas qu’ils évoquent, qu’ils aillent dans un sens ou dans l’autre, relèvent d’observations empiriques, dans un état donné de la société et du droit. Pour l’instant, ces médecins de l’âme devraient surtout reconnaitre à l’unisson qu’il n’est jamais simple d’avoir des parents. Qu’ils soient connus ou inconnus. Qu’ils soient géniteurs ou éducateurs. Ou qu’ils soient, une fois encore, gay ou hétéros…
Un autre argument souvent avancé par les opposants au mariage gay porte plus spécifiquement sur la question du droit à l’enfant. Il laisse entendre en filigrane que les homosexuels qui le revendiquent seraient animés par des motivations moins nobles que celles des couples hétérosexuels. Pourquoi veut-on un enfant? Par amour? Par plaisir? Par convention? Par hasard ? Bien audacieux sont ceux qui prétendent ainsi sonder les reins et les cœurs. Il y a en tous cas rien qui ne sache démontrer des motivations diamétralement opposées, selon la nature des couples concernés. Doit-on enfin ajouter que les partisans d’une politique familiale digne de ce nom – qui se recrutent souvent parmi les opposants au mariage gay – sont les premiers à défendre une politique d’allocations, sans condition de ressources ? Ce qui revient à dire que, pour eux, il existe un lien évident entre le fait de faire un enfant et celui d’être dédommagé pour cet acte qu’ils prétendent guidé par l’amour…
Un pas vers l’inceste et la polygamie ?
Pour aller jusqu’au bout du raisonnement des opposant au mariage gay, il faut enfin signaler deux arguments dont l’un est particulièrement frustre et dont l’autre se veut quasiment ontologique. Avant qu’il ne soit repris en main par ses conseillers en communication, Mgr Barbarin a dit tout haut ce que beaucoup de ses ouailles pensent tout bas et qu’ils préfèrent taire aujourd’hui pour ratisser plus large (comme disent les politiciens). Le mariage gay ouvrirait la voie « à l’inceste et à la polygamie ». Ce procès-là a été si souvent entamé, notamment lors du débat du Pacs, qu’il faut bien admettre qu’il hante certaines consciences. L’archevêque de Lyon a eu la prudence de ne pas ajouter à sa liste la pédophilie dont l’Eglise catholique connait mieux que quiconque les ressorts profonds. Mais ce qui frappe surtout dans ces accusations récurrentes est qu’elles n’ont pas grand-chose à voir avec l’objet du débat. Depuis quand l’inceste est-il une pratique réservée aux homosexuels et en quoi leur mariage en augmenterait-il le risque? S’agissant enfin de la polygamie, force est de reconnaitre que c’est plutôt le divorce qui l’autorise à sa façon et l’adultère qui l’habille à sa manière. Sur ce plan-là, en tous cas, couples gay et hétéros se trouvent placés sur un pied d’exacte égalité.
Ce qui conduit d’ailleurs à ruiner l’argument le plus fondamental avancé par les opposants au mariage « pour tous » et plus particulièrement par les autorités de toutes les grandes religions. Pour celles-ci, cette institution est un pilier de notre civilisation qu’on ne saurait remettre en cause – et surtout adapter dans ses formes – sans d’irréparables dommages. Or c’est oublier que le dit mariage n’a cessé d’évoluer au cours de l’histoire (« Le sens du mariage a changé », interview de la sociologue Irène Théry). Il fut un temps où l’on mariait les enfants, avec la bénédiction de l’Eglise. Il fut un temps où le mariage n’était que religieux. Il fut un temps où la rupture les liens du mariage, autrement que par le décès d’un des deux époux, était interdit. Il fut un temps où le mariage pouvait être morganatique et où les religions célébraient, sans complexe, l’existence de maitresses officielles. Il est aujourd’hui nombre de pays qui autorisent le mariage gay sans que la terre se mette à tourner dans un sens différent. Le mariage est une convention. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’adapte à l’évolution des mœurs et qu’au final, il résiste, vaille que vaille, aux changements des mentalités.
Une seule motivation inavouable : l’homosexualité, pour eux, est une déviance
Résumons-nous. A l’heure où il est en passe d’être tenu, l’engagement 31 du candidat Hollande suscite des réactions qui laissent d’autant plus perplexes que les discours des pro et des anti ne se déploient pas sur un plan identique. Mobilisation tardive et argument simple pour les uns qui ne défendent qu’une égalité de droits. Mobilisation rapide et arguments aussi divers qu’hasardeux pour les autres qui ne protègent qu’un tabou. C’est que derrière tout cela, il y a autre chose de bien plus profond. Si les opposants au mariage gay avancent massivement et de biais, c’est qu’ils se rassemblent derrière une seule motivation qu’ils ne veulent avouer. L’homosexualité, pour eux, est une déviance qu’on peut tolérer et en aucun cas, célébrer. Tout cela porte un nom : l’homophobie. Elle peut prendre toutes les formes que l’on veut. Elle peut bien être light, soft, discrète ou retenue. N’empêche qu’elle est bien là !
Pour les partisans du mariage gay, c’est exactement l’inverse. Le mariage, avec tout ce qui l’accompagne est une dernière étape sur le chemin de la banalisation de l’homosexualité. Il repose sur l’idée que l’homosexuel est un homme ou une femme comme les autres, soumis aux mêmes pulsions, aux mêmes désirs, aux mêmes aspirations. Si on y regarde de près, cela sonne comme la fin de toutes « les marches des fiertés » auxquelles cette communauté s’était habituée avant de pouvoir, demain, se dissoudre. Tout cela porte aussi un nom : du droit à la différence, on est en train de passer, tout simplement et non sans mal, au droit à l’indifférence.
François Bazin
Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/mariage-gay-lesbienne/20121220.OBS3228/mariage-homo-du-droit-a-la-difference-au-droit-a-l-indifference.html