Mariage pour tous et Homophobie: « Mon agression a à voir avec la façon dont le débat se déroule »

Dans la nuit de samedi à dimanche, Wilfred était agressé avec son compagnon Olivier. Une attaque explicitement homophobe. Portrait.

L’accueil est affable, l’accent léger, le ton enjoué. Quand Wilfred nous assure qu’il est « ravi de nous parler », on a envie de le croire. Malgré ses sept fractures, qu’il énumère certificat médical à l’appui – »Pas d’hémorragie intracrânienne, première bonne nouvelle de la liste ! » Malgré les sollicitations des journalistes qui se sont succédé toute la journée de lundi.

Dans la nuit de samedi à dimanche, Wilfred et son compagnon sont agressés dans le 19e arrondissement, alors qu’ils rentrent d’une soirée chez des amis. « Ah des homosexuels ! » ont-il entendu avant de se faire rouer de coups. Un fait divers « assez banal », répète-t-il à plusieurs reprises. Mais aussi une agression « avec un côté politique, sociétal », dont le jeune homme de 38 ans a décidé de parler. « Avec Olivier, on a pris des photos en sortant de l’hôpital, pour la police à la base. Puis on s’est demandé ‘qu’est-ce qu’on fait ?’ Publier cette horrible photo sur Facebook, en statut public, ça peut représenter une forme d’exhibitionnisme malsain. On a hésité, mais on a décidé de le faire, pour montrer le visage de l’homophobie », explique-t-il. La photo de sa « tronche berk », tuméfiée, est partagée plus de 6.700 fois, le récit est repris en boucle sur les réseaux sociaux puis dans les médias.

« Une sorte de mission »

Wilfred dit n’avoir pas prévu cet emballement : « Je m’attendais à ce que ça tourne dans le milieu associatif LGBT, et dans certains médias spécialisés comme Yagg, mais pas dans autant de grands médias. » A-t-il le sentiment d’endosser un rôle de porte-parole ? « Un petit peu, c’est une sorte de mission, mais c’est compliqué. Surtout que j’ai encore mal à la tête », affirme-t-il en riant. « C’est l’actualité, ça va durer trois jours, cinq maximum. Mais les associations, elles, font le boulot tout le temps. »

Lui-même a milité pendant six ans au centre LGBT de Paris. « Quand je suis arrivé en France, je ne parlais pas très bien le français. Ce que je pouvais faire le mieux, comme militant de base, c’était de distribuer des capotes – une tâche honorable », s’amuse-t-il. De cette période, il a gardé de nombreux amis dans le milieu associatif LGBT. Originaire des Pays-Bas, c’est en 2003, « l’été de la canicule », qu’il s’installe à Paris. Il se décrit comme « amoureux » de la ville. « Ce sont des clichés, c’est vrai, mais qu’est-ce qu’on mange bien chez vous ! Qu’est-ce que c’est beau ! » Dans la capitale, il devient responsable d’une bibliothèque d’art, après des études en histoire de l’art dans son pays d’origine. Il « aime beaucoup » son métier : « J’ai un arrêt de travail jusqu’au 17 avril, mais j’espère revenir avant ».

« Dans le Marais, je me sens plus à l’aise »

Quand il ne travaille pas, Wilfred joue du piano, aime boire un verre avec des amis, fréquente des expos. Olivier, plus sensible à l’art contemporain que son compagnon, le lui fait découvrir. Ils sont ensemble depuis deux ans et demi. « On s’est rencontrés dans le métro, sur la ligne 11 », confie celui qui, à 23 ans, termine ses études en école de commerce. Depuis cette « rencontre magique », avec « quelqu’un de joyeux, gai, merveilleux, qui a de l’allant », les deux hommes font « leur chemin de vie ensemble ».

Pour tous deux, l’agression de samedi était la première expérience de la violence homophobe physique. « Comme tout homo qui se respecte, j’ai parfois droit à des regards ou des paroles désobligeants – comme les femmes ont à subir des regards ou des paroles sexistes », compare Wilfred. « Je suis un homme, blanc, dans un milieu privilégié, à Paris. Il y a pire pour être pédé », reconnaît-il. Malgré cela, il « s’autocensure » : « C’est fou, mais je me rends compte qu’on est toujours conditionnés. Samedi soir, avec Olivier, on se tenait par le bras – on ne le fait pas d’habitude. Je sors beaucoup dans le Marais, car je m’y sens beaucoup plus à l’aise. »

« Un long chemin »

Selon lui, « l’idée d’être complètement à l’aise avec soi » est un « long chemin » pour chaque jeune homo ou lesbienne. « On comprend qu’on n’est pas normal, et on ressent une forte honte. La société n’aide pas – surtout en ce moment », pointe-t-il.

Wilfred en est certain : « Ce qui m’est arrivé a éminemment à voir avec la façon dont le débat sur le mariage pour tous se déroule. » Comme de nombreux observateurs, il dénonce un climat délétère, une homophobie rampante. « Bien sûr, ce n’est pas Henri Guaino qui m’a tabassé », nuance-t-il. « Mais on a vu des gens qu’on peut respecter pour leur intelligence, des hommes politiques, des évêques, s’exprimer de manière violente, inouïe, rejeter des gens comme un danger pour la société, les enfants, c’est très choquant ».

« J’ai beaucoup pleuré »

En 2001, les Pays-Bas, où il vivait encore, ont été le premier pays à légaliser le mariage homo. « Il y a eu un grand consensus, même les chrétiens démocrates étaient pour ! » Songe-t-il lui-même au mariage ? « Trop indiscret », élude-t-il. Quand le débat commence en France, il ne comptait pas manifester. « Je pensais ‘Hollande a été élu, il est pour, on va le faire, et voilà’. Et puis finalement j’ai vu les anti, je me suis dit ‘Merde, on en est encore là ?’ Et j’ai eu envie de descendre dans la rue ». Il a manifesté en décembre et en janvier, comme il le fera à nouveau mercredi soir lors du rassemblement d’urgence contre l’homophobie prévu dans le Marais à l’appel de nombreuses associations.

Les nombreux messages de soutien reçus l’ont « touché », y compris ceux des politiques. « La députée PS du 20e Fanélie Carrey-Conte a longuement appelé mon compagnon [lui même militant PS, NDLR]. Bien sûr, on sait pourquoi les hommes politiques réagissent, on n’est pas naïfs, mais ça fait du bien », se réjouit-il. « J’étais très choqué dimanche, j’ai beaucoup pleuré. Mais je suis très entouré, par Olivier, par mes amis. » Et maintenant, « ça va ».

Nous avions commis, dans la première mise en ligne de cet article, une erreur de titraille, que nous avons corrigée bien volontiers. Mais les termes employés par Henri Guaino dans sa réaction sont inacceptables. Ils sont aussi injustes qu’outranciers tant à l’égard de l’auteur de l’article que de notre journal.

N.O.

source:nouvelobs.com