INTERVIEW – Michel Dorais, sociologue de la sexualité au Québec, est l’auteur de l’enquête « Etre homo aujourd’hui en France »* parue l’année dernière. Il a suivi le débat sur le mariage pour tous dans de nombreux pays et revient sur le cas français.
Comment a été vécu le débat depuis l’étranger ?
L’image de la France a complètement changé. Nous avions une vision un peu idyllique : un pays où il fait bon vivre, le pays des droits de l’homme… Nous sommes très surpris de voir les Français réagir de cette façon. Je pensais que le discours et les actes homophobes étaient relativement peu courants en France. Ce n’est plus le cas.
Le débat a-t-il été plus virulent qu’ailleurs ?
Il y a eu des débats animés autour du mariage gay dans les autres pays. Mais ils sont insignifiants comparés à ce qui se passe en France. C’est le seul endroit au monde où il y a une virulence aussi extrême, exceptions faites de quelques Etats américains.
Comment expliquez-vous cela ?
Au Québec, la lutte contre l’homophobie fait partie des mœurs. Il y a un consensus. La France est beaucoup plus frileuse. Elle pensait qu’il n’y avait pas de problème d’homophobie. Mais c’est le même problème que le racisme ou le sexisme. Si vous ne luttez pas activement contre l’intolérance, celle-ci risque de ressortir à la moindre occasion. Ensuite, le catholicisme est sûrement très ancré en France et la droite bien plus forte. Elle a récupéré ce débat pour s’opposer au gouvernement.
La parole homophobe s’est-elle libérée ?
Oui complètement. Certains opposants qui manifestent se défendent d’être homophobes et je les crois. Ils ne détestent pas les homosexuels. Mais beaucoup pensent qu’ils sont inférieurs à eux et qu’ils n’ont donc pas à avoir les mêmes droits. C’est ce qui s’appelle l’hétérosexisme.
Quelles sont les conséquences ?
Le message envoyé aux personnes homosexuelles est terrible. L’association le Refuge a battu le record de demandes d’aide. Il n’y a jamais eu autant de jeunes homosexuels rejetés. Le discours véhiculé aujourd’hui donne bonne conscience à certains parents. Un député français disait « on assassine les enfants ». En réalité, on assassine les enfants gays. Le plus grand danger est que le discours homophobe devienne légitime. Le gouvernement actuel et les suivants devront travailler pour lutter contre. On change plus facilement une loi que les mentalités.
Que se passera-t-il une fois la loi votée ?
La France se rendra compte que tous les épouvantails qu’elle agitait étaient complètement farfelus. Tout se passe bien aujourd’hui au Québec. Nous avons dix ans de recul et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. Treize pays ont autorisé le mariage homosexuel et dans aucun de ces pays il n’y a eu de problème particulier. Les enfants se portent bien et les mariages sont heureux.
*Michel Dorais est l’auteur de « Etre homo aujourd’hui en France » avec Isabelle Chollet. Enquête Le Refuge auprès de 500 jeunes gays et lesbiennes. Ed. H&O, 2012.
