Longtemps perçu comme une forteresse homophobe, le rap s’ouvre aux gays et aux lesbiennes, constate le quotidien britannique «The Guardian». Plusieurs artistes résolument out sont en train de percer.
«Il y a dix ans, se souvient la journaliste Hattie Collins, j’interviewais Missy Elliott juste après que Madonna, Christina et Britney s’étaient payé un moment lesbien pendant les MTV Video Music Awards. Je lui avais demandé pourquoi elle n’avait pas rejoint le roulage de pelle collectif. Elle m’avait regardé, stupéfaite, et s’était presque étouffée avec un M&M’s. “Non, non, non, s’était-elle étranglée, dans le hip-hop, on ne ferait jamais une chose pareille. jamais, jamais en un million d’années.”» Et de fait, rappelle Collins, l’incrédulité règne toujours quant à la diversité sexuelle dans le monde impitoyable du hip-hop. Preuve en est une récente déclaration du pape Snoop Lion (né Dogg): «Le rap est tellement masculin. Tu peux pas être dans un vestiaire plein de gros durs et soudain sortir: “Eh mec, je t’aime bien!”»
«C’est comme un père qui aurait dit à tout le monde que son fils ne serait pas gay, et évidemment le gamin finit homo, commente la rappeuse Angel Haze, désabusée. C’est dingue: je pense qu’il a de la place pour des tonnes de rappeurs gay. Et je suis sûre qu’il y en a déjà plein, qui ont trop peur pour sortir du placard.» Haze fait partie de cette petite clique d’artistes qui ne cachent pas leur orientation sexuelle, et qui retiennent l’attention du public et des critiques. Dans ce domaine comme dans d’autres (les sports d’équipe, par exemple), les femmes donnent l’exemple: Syd Tha Kid (Odd Future) a fait son coming-out, tout comme la Britannique MC RoxXxan. Quant à la bouillante Azealia Banks , elle a déjà parlé de ses relations avec des hommes avec des femmes.
Maudite étiquette «rap gay»
Faire du rap tout en état ouvertement homo, ce n’est bien sûr pas neuf. Une poignée d’artistes gay comme Yo! Majesty et QBoy ont tenté de se créer une niche, mais leur musique n’a jamais bénéficié de la reconnaissance du milieu rap. Ils sont restés des curiosités largement cantonnés aux scènes LGBT. Les artistes émergents doivent imposer leur propre univers sans finir avec l’étiquette forcément réductrice de «rappeur gay». C’est la hantise d’un artiste qui a refusé de répondre à la journaliste du «Guardian». Lesbienne décomplexée au look trash, la Californienne Brooke Candy comprend les réticences de ses collègues «Ce qui m’ennuie, c’est ce genre “queer hip-hop. A quoi ça rime? C’est la même musique. La moitié des types qui rappent sont gay, et les gens ne le savent même pas. Je comprend les gens qui en ont marre d’être étiquetés, mais qui continuent.»
Une mythologie à soi
Quelques garçons ont aussi relevé le défi, et tournent en ce moment avec succès. Parmi eux Zebra Katz et Mykki Blanco. Ce dernier se singularise par un goût marqué pour le transformisme, par des paroles au caractère sexuel et par des lives explosifs. Sa vidéo «Wavvy», où il apparaît tantôt en dealer, tantôt en gogo-girl décadente, en livre un aperçu diablement entraînant. «Cela a pris du temps et ça n’a pas été facile, raconte-t-il. Si je peux être fier de quelque chose, c’est que j’ai été capable de surmonter mes craintes face à moi-même, face à ce que certains, dont ma familles et mes proches, n’aimaient pas chez moi. Bref, de faire juste ce que je voulais. Le plus important c’est que je me suis mis à explorer la vie à ma manière: naturellement gay, homosexuelle et masculine, et en même temps de cette nouvelle manière, féminine. Les thèmes auxquels je pense les motifs . Je pense que j’ai trouvé ma place comme personnage et je le rapproche à des gens comme le Wu-Tang Clan ou Nas, et d’autres rappeurs, qui ont construit une mythologie dans leur propre domaine.»
Adoubement
Au final, tous les ingrédients sont là pour une prochaine explosion queer dans un monde qui a trop longtemps célébré le machisme le plus crasse. Adele Roberts, présentatrice de la chaîne musicale 1Xtra, estime qu’elle ne passera pas sans l’adoubement de l’une ou l’autre des grandes figures du rap actuel, comme un Jay-Z ou un 50 Cent. «Prenez le coming-out de Frank Ocean, par exemple. Certes, c’est un chanteur de R’n’B, mais il fait partie d’un énorme collectif hip-hop, note Roberts. C’est ce qui fait toute la différence: ça a donné de l’élan à d’autres gens pour se mettre en avant, et je pense que d’autres vont suivre à cause de ça.»
Brooke Candy, ex-stripteaseuse déjantée, confie à Hattie Collins que pour l’instant «c’est foutrement dur»: «Je suis blanche, femme et homo dans le hip-hop. Je suis aux antipodes de cette industrie homophobe et misogyne. Mais ça va le faire. Qu’importe si c’est moi ou quelqu’un d’autre, mais quelqu’un va éclater dans le milieu du hip-hop mainstream.»«
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