« Ni garçon ni fille ou les deux » : La mention « sexe neutre » à nouveau devant la justice française

Une personne intersexuée, âgée de 64 ans, qui avait obtenu en août 2015 d’être déclarée de « sexe neutre », a de nouveau plaidé sa cause ce vendredi, à huis clos devant la Cour d’appel d’Orléans.

Née, selon son médecin, avec un « vagin rudimentaire », un « micropénis », mais pas de testicules, ce sexagénaire, marié et papa d’un fils adopté, avait accordé en octobre dernier une unique interview au quotidien 20 Minutes : « J’ai compris à l’adolescence que je n’étais pas un garçon », avait-il déclaré. « Je n’avais pas de barbe, mes muscles ne se renforçaient pas… En même temps, il m’était impossible de croire que j’allais devenir une femme. Il suffisait que je me regarde dans un miroir pour le savoir. »

« Il est sorti très éprouvé de l’audience », a confié son avocate, Me Mila Petkova. « Son combat pour faire reconnaître sa singularité lui tient particulièrement à cœur, et il ira jusqu’au bout, parce qu’il s’agit de sa vie privée », a t-elle ajouté, suggérant une requête éventuelle devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), si ces recours internes en France restent vaines.

Dans son jugement d’août ordonnant à l’officier d’état civil de la mairie de Tours de modifier l’acte de naissance, le juge du tribunal d’Indre-et-Loire estimait que « le sexe qui (lui) a été attribué à sa naissance apparaît comme une pure fiction (…) imposée durant toute son existence (…) Il ne s’agit aucunement de reconnaître l’existence d’un quelconque troisième sexe, mais de prendre acte de l’impossibilité de rattacher l’intéressé à tel ou tel sexe ». Mais, craignant que « cette requête renvoie à un débat de société générant la reconnaissance d’un troisième genre », le parquet de Tours a fait appel de ce jugement sans précèdent, « non pas par esprit d’opposition forcenée (…) mais simplement pour connaître également la position d’un autre niveau de juridiction », a expliqué à l’AFP le vice-procureur de la République de Tours, Joël Patard.

« Toute compréhensible que soit cette demande, elle vient quand même heurter le corpus législatif et réglementaire tel qu’on en dispose actuellement et tel qu’on l’applique », a déclaré M. Patard, qui a rencontré le demandeur et reconnu que cette personne était en souffrance. « Ça relève de situations minoritaires, mais qui existent néanmoins et avec lesquelles des personnes se sont accommodées bon gré mal gré pendant des périodes non négligeables » de leur vie, a-t-il souligné.

A la sortie de l’audience, Me Petkova s’est félicité de la « réceptivité des magistrats », indiquant avoir invoqué devant les juges d’appel le droit au respect de la vie privée et la nécessité d’une évolution du droit français. « Nous avons pu développer nos arguments et nous sommes très contents du déroulement des débats ».

« Vu la complexité du dossier », la cour, siégeant en chambres « civile et de la famille » réunies pendant près de deux heures, a mis sa décision en délibéré, sans préciser la date à laquelle elle rendra son arrêt.

Si la cour d’appel d’Orléans confirme le jugement, la décision pourrait créer une jurisprudence ouvrant la voie à la reconnaissance officielle des personnes intersexuées.

Plusieurs pays reconnaissent déjà un « troisième sexe ». C’est le cas de l’Allemagne, qui depuis 2013, autorise la reconnaissance des bébés intersexués, qui n’ont plus la mention « F » ou « M » sur leur état civil. En avril 2014, la justice australienne a elle aussi franchi le pas, la cour suprême décidant de reconnaître l’existence d’un « genre non spécifique », marqué « X » sur les passeports. L’Inde a elle reconnu l’existence d’un troisième genre pour la communauté transgenre. Les personnes qui ont changé de sexe par opération chirurgicale constituent une catégorie à part, et ont désormais le droit comme les autres minorités à des aides sociales et des emplois réservés.

En mai dernier, un rapport du Conseil de l’Europe préconisait la suppression des classifications binaires homme/femme dans les documents administratifs, et l’autorisation pour les personnes hermaphrodites de choisir librement leur sexe.

stophomophobie.org
avec l’AFP