Le Printemps français ? « Rien à voir avec nous », jure Barjot. Ces ultradroitiers ont d’abord défilé avec la « Manif’ pour tous ». Qu’ils veulent aujourd’hui radicaliser.
C’est le mouvement avec lequel il vaut mieux prendre ses distances ces dernières semaines. Même Christine Boutin, exaltée des anti- « mariage pour tous » (elle souhaite « tout faire péter »), ne veut pas entendre parler d’eux :
« Je ne sais pas qui ils sont, je ne sais pas qui les dirige, je n’ai pas de lien avec eux. »
Frigide Barjot, infatigable leader de la Manif pour tous, va porter plainte contre eux « pour vol d’affiches, pour agression ». « Ils n’ont rien à voir avec nous », affirme-t-elle.
« Ils », ce sont les quelques centaines d’agités du « Printemps français », qui, depuis la dernière grosse Manif’ pour tous, engagent, dans toute la France, des opérations coups de poing sous cette dénomination, référence évidente aux printemps arabes. Mais qui sont-ils ? Qui dirige ce mouvement ultradroitier ?
Bourges, l’ultracatho prête à en découdre
Officiellement, le Printemps français est un mouvement « spontané », né de la volonté de manifestants de la Manif’ pour tous d’aller plus loin et de revendiquer davantage que le renoncement au « mariage pour tous ». Bref, de se radicaliser.
Béatrice Bourges, avec des membres du Printemps français, le 27 mars 2013 à Paris (VINCENT WARTNER/20 MINUTES/SIPA)
En tête, Béatrice Bourges, ancienne copine de Frigide Barjot, qui, lassée côté « Bisounours », revendique une ambiance plus catho-tradi et rêve d’un « printemps français ». C’est elle qui a d’ailleurs déposé le nom de domaine PrintempsFrancais.com.
Au lendemain de la grosse manifestation du 24 mars, elle quitte la Manif’ pour tous. Point de désaccord : le franchissement du barrage policier pour accéder aux Champs-Elysées par une poignée d’ultras a entraîné des débordements, condamnés par Frigide Barjot.
C’est d’ailleurs le 24 mars que l’expression « Printemps français » s’est installée dans le vocabulaire des militants contre le mariage homosexuel. Jusque-là, elle était restée circonscrite à une poignée de blogs de catholiques intégristes.
Civitas, l’Action française, les Identitaires…
Mais ce mouvement n’est pas structuré. Il est composé d’un tas de petits groupes aux contours flous. Leur point commun : ils s’agit de groupuscules issus de l’extrême droite catholique.
On retrouve ainsi les illuminés de Civitas. Se revendiquant du Printemps français, ils se retrouvent tous les soirs devant le Sénat pour prier contre le mariage gay. Généralement pas plus d’une petite vingtaine, accompagnés de leurs enfants, ils chantent genoux à terre puis s’en vont.
Dans le même genre, les royalistes de l’Action française squattent les Manifs pour tous en rêvant à un changement de régime. Le secrétaire général Olivier Perceval assure qu’ils seront présents à toutes les manifestations pour « aider le régime à tomber ».
Très actifs également, les jeunes du Bloc identitaire, du Groupe union défense (GUD) et de l’Union nationale interuniversitaire (UNI) relaient les appels à manifester du Printemps français et semblent en initier certains.
Ainsi, ils sont responsables du saccage de l’Espace des Blancs-Manteaux à Paris et de la perturbation musclée d’une intervention d’Erwann Binet à Saint-Etienne (Loire).
Après ce qu’il a qualifié « d’émeutes violentes », le rapporteur du projet de loi a décidé d’annuler ses interventions sur le sujet. Sur leur site, les Jeunesses nationalistes, émanation des Identitaires, se félicitent de ce « succès » :
« Les Jeunesses nationalistes se félicitent de cette victoire obtenue sur un système ayant décidé de détruire tout ordre naturel en lui substituant une perversité sans limite.
Les JN continueront jusqu’à la révolution nationale salvatrice les Actions Coup de Poing (ACP), les manifestations, ou toute forme de lutte contre la mise à mort programmée de la famille. »
« Non au mariage pour les paires homosexuelles »
Outre les Identitaires, le gros de la fachosphère, représentant des mouvements minoritaires, soutient ce mouvement. Pour s’informer, il faut lire le Boulevard Voltaire de Robert Ménard, Les Nouvelles de France ou Novopress.
Selon une enquête du Monde, l’expression « Printemps Français » a d’abord été utilisée après la manifestation du 13 janvier. Les premières occurrences se retrouvent dans des blogs de militants chrétiens, notamment celui d’un « militant chrétien de la “Manif’ pour tous”, Cyril Brun, historien catholique et animateur d’un groupe baptisé Résistance éthique.
Dans un texte datant de début février, paru dans le mensuel catholique Présent et repris sur Le Salon beige, blog catholique tendance ultra, l’avocat royaliste Jacques Trémolet de Villers, écrit :
“ Le Printemps français qu’il nous appartient de faire éclore aux premiers jours du printemps de cette année ne demande pas une volonté politique à la disposition très élaborée. Il ne s’agit ni de changer de président, ni encore moins de changer de régime. […]
Il s’agit d’obtenir, par un effet de masse, le retrait d’un funeste projet de loi, et si le projet est voté, la non-promulgation de cette loi, et si elle et promulguée, son retrait ou sa suspension, ou sa non-application, en bref, non au mariage pour les paires homosexuelles. ”
Ichtus et la patte d’un ex-para
Là où ça devient complexe, c’est que derrière ces groupes affichés se cachent des influences discrètes. Deux ont été identifiées : l’institut Ichtus et un ancien parachutiste de 52 ans, reconverti dans l’intelligence économique :
- le blog Droites extrêmes soupçonne, derrière le Printemps français, l’influence de l’institut Ichtus, “un institut catholique traditionaliste, héritier de la Cité catholique, un mouvement d’extrême droite, contre-révolutionnaire, qui connut une certaine influence dans les années 50 et 60”. Lequel institut dément mais reconnaît suivre “avec intérêt” l’évolution du Printemps français ;
- Mediapart de son côté identifie Philippe Darantière comme l’un des marionnettistes du mouvement. Selon le site qui s’appuie sur un de ses textes publiés sur Nouvelles de France, il aurait “impulsé les débordements de la manifestation du 24 mars, visant à envahir les Champs-Elysées. Les affrontements avec les forces de l’ordre n’avaient, semble-t-il, rien de spontané”.
Mais si cette agrégation de petits groupes très bruyants donne l’impression que l’on assiste à la naissance d’un mouvement important, il faut garder à l’esprit que ceux qui passent à l’acte ne représentent qu’une poignée d’individus. Pour l’instant.