Passibles de prison à vie, les homosexuels ougandais se retranchent dans la clandestinité. Le projet de loi adopté le 20 décembre par le Parlement de ce pays conservateur d’Afrique de l’Est prévoit une peine de quatorze ans de prison pour toute relation homosexuelle, et la perpétuité en cas de récidive.
Quiconque ayant eu vent de relations homosexuelles dans son entourage et ne l’ayant pas signalé aux autorités dans les 24 heures est aussi menacé de finir derrière les barreaux.
Interdiction du port de la minijupe, ou même de se rendre à pied au travail… l’Ouganda n’en est pas à ses prémices en matière de lois liberticides. En 2009, le député David Bahati avait proposé la peine de mort pour les homosexuels dans un projet de loi très sérieux. L’indignation de la communauté internationale avait fait barrage à son adoption.
Avant d’entrer en vigueur, la peine de prison à vie pour les homosexuels doit encore être ratifiée par le président Yoweri Museveni dans les 30 jours. Pour autant, elle précarise d’ores et déjà les kuchus ougandais.
« Je suis dans l’illégalité »
Contacté par Rue89, Frank Mugisha dirige l’association LGBT Sexual Minorities Uganda (SMUG, Minorités sexuelles d’Ouganda). Le 20 décembre dernier, il « tweetait » :
« Je suis officiellement dans l’illégalité : le parlement ougandais a adopté la loi anti-homosexualité. »
Choqué, il nous décrit l’angoisse qui étreint les kuchus du pays – « kuchu », a longtemps été un terme identitaire secret qui permettait aux homosexuels ougandais de s’identifier entre eux.
Comme dans les 38 des 54 pays africains ou l’homosexualité est illégale, des lieux souterrains de sociabilité se sont développés en Ouganda : bars, restaurants dédiés à certaines heures, ou même… toilettes publiques des grandes villes. Les encouragements du parlement ougandais à la délation les menacent grandement, déplore l’activiste LGBT.
Propagande bien ficelée
Répétés en boucle, les arguments des députés conservateurs (protéger les enfants et les traditions familiales et claniques) alimentent un climat de terreur orchestré par les prêcheurs évangélistes très en vogue dans le pays, ainsi que par les tabloïds.
Depuis des années, des médias comme le Rolling Stone local épinglent façon avis de recherche les photos, les noms et les adresses d’Ougandais supposément gays en double page. Virulents, ces tabloïds vont même parfois jusqu’à exhorter leurs lecteurs à passer la corde au cou aux militants LGBT.
Mi-décembre, Chris Mubiru, un homme d’affaires ougandais s’est par exemple retrouvé les menottes aux poignets pour sodomie présumée après la publication de rumeurs non vérifiées à son sujet. Les photos de son arrestation ont fait la une des grands titres du pays et des appels pour recueillir des preuves ont été lancés dans Kampala, la capitale.
Résistance souterraine
Condamnés au silence dans l’espace public, les militants du SMUG échangent sur la Toile, anonymement. Ils s’y retrouvent parfois aussi, grâce à des sites de rencontres gays, lesbiens ou bisexuels. Cybermen.com est le plus populaire d’entre eux, le plus fréquenté aussi, et débouche parfois sur des idylles avec des occidentaux.
Pour Frank Mugisa, la perpétuité ne pourra jamais faire disparaître l’homosexualité en Ouganda. Il estime que si elle est ratifiée par le Président, cette peine est d’autant plus absurde, qu’elle se purgera dans des conditions de promiscuité propices aux relations entre détenus.
Réconforté par les condamnations et soutiens internationaux, le directeur du SMUG ose espérer que Yoweri Museveni apposera son veto à cette loi. Verdict sous trente jours. La menace de suspension possible des aides au développement pourrait l’y contraindre, car avec 2,3 milliard d’euros d’aide publique par an, l’Ouganda est l’un des pays les plus aidés d’Afrique.
Charlotte Cieslinski | Rue89