La journaliste ougandaise Patience Akumu raconte la difficulté de donner une voix aux gays dans important quotidien de son pays. Un engagement qui lui vaut menaces et du insultes. Extraits.
L’homosexualité est illégale en Ouganda. En 2009, un projet de loi prévoyant la peine de mort pour certains actes homosexuels a été déposée devant le Parlement. Voilà qui exprime la brutalité de la discrimination contre les minorités sexuelles qui ronge mon pays. Je suis tombée sur cette question à 22 ans. Mon diplôme de droit en poche, j’étais une jeune journaliste désireuse de laisser son empreinte et disposée à traiter ce qu’aucun autre de ses collègues ne voulait traiter. C’était une époque héroïque pour remettre en question le vieux régime. Si on cassait votre appareil photo ou si vous deviez dormir en prison pour avoir couvert une émeute, les médias sociaux chantaient vos louanges pendant des semaines et diffusaient fièrement les photos attestant de votre bravoure.
Mais que le Ciel vous aide, si vous écrivez sur les homosexuels – à moins bien sûr que vous ne condamniez les ravages qu’ils produisent sur la culture et sur la religion, que vous fassiez des «recherches» sur comment ils propagent des maladies sexuellement transmissibles, ou comment ils enrôlent des mineurs dans leur «armée gay». Ecrire autre chose éveillerait immédiatement des soupçons: «Etes-vous gay vous-même? Devriez vous faire un séjour à Butabika (un hôpital psychiatrique, ndlr.)? Est-ce que des Blancs vous paient pour écrire ça?»
Territoire interdit et passionnant
Pendant longtemps, quand je pensais aux homosexuels, je ne voyais que des personnes masquées qui témoignaient parfois à la télévision. Et aussi le garçon à l’air innocent qui avait été expulsé de l’école secondaire. Soi-disant parce qu’il était gay. C’était un territoire interdit et passionnant, et j’ai plongé dedans sans la moindre hésitation. Puisque c’était le genre d’histoire que mon éditeur était prêt à publier, alors pourquoi pas? Je me souviens encore de ma première rencontre avec les militants des droits des homosexuels Pepe Onziema et Frank Mugisha dans un restaurant, près de mon lieu de travail. J’avais pris un ami avec moi pour cette mission «dangereuse». Nous avons partagé une assiette de frites – mon ami a dit que la pire partie de l’interview était d’avoir à manger avec les homosexuels.
Ils ont aussi parlé des choses que je n’avais jamais imaginées: des gays et des lesbiennes violées avec des bâtons, des parents qui jettent dehors leurs enfants gay, qui se retrouvent au bord du suicide…
Nous avons parlé de beaucoup de choses que j’avais entendu en cours de droits de l’homme, à l’université: le droit à l’égalité, la non-discrimination, la vie privée. Ils ont aussi parlé des choses que je n’avais jamais imaginées: des gays et des lesbiennes violées avec des bâtons, des parents qui jettent dehors leurs enfants gay, qui se retrouvent au bord du suicide, un père qui avait tenté de battre à mort la partenaire de sa fille lesbienne. Ce sont des choses que les médias devaient couvrir! Des histoires qui parlent des droits des femmes et des enfants, de celles qui avaient fait de moi une voix pour les sans-voix.
Du venin dans les yeux
Pour moi, couvrir les droits des homosexuels était simplement une manière de bien faire son travail. Je ne m’attendais vraiment pas à des e-mails orduriers, à des messages de haine sur Facebook ou à des insultes en face-à-face. Personne ne m’avait prévenu qu’il y aurait des regards soupçonneux des collègues, des amitiés perdues et des avertissements sévères de ne pas écrire trop d’histoires gay car ce ne serait pas bon pour les ventes du journal. Et personne ne m’avait prévenue que le fait d’avoir un bébé me rendrait encore plus détestable aux yeux de certains. Quelle hypocrite! Elle fait campagne pour les droits des homosexuels alors qu’elle-même a un mari!
Parfois je rêve d’une vie où je serais une héroïne facile. Je parlerais des femmes et des enfants, dont nous nous sommes tous d’accord qu’ils méritent une meilleure existence. Je tournerais le dos aux homosexuels…
Parfois, je contemple mon diplôme universitaire et je songe à postuler pour un emploi dans le droit. Je rêve d’une vie où je serais une héroïne facile. Je parlerais des femmes et des enfants, dont nous sommes tous d’accord qu’ils méritent une meilleure existence. Je tournerais le dos aux homosexuels parce que, eh bien, pourquoi devrais-je m’inquiéter? Je ne suis pas homosexuelle et je n’ai pas de parents gay (du moins que je sache). Ils vont survivre, ces homosexuels! J’en suis sûre. Et je vais au lit en me disant, c’est fini, je n’écrirai pas un autre article sur l’homosexualité. Mais ensuite vient le matin, et une autre histoire d’un homme gay tabassé à mort. Ou un SMS de Frank qui me dit que l’une des personnes homosexuelles à laquelle j’ai rendu visite est morte du sida et qu’il y en a beaucoup d’autres qui vont suivre. Ou cet appel aux Ougandais à «pendre» les homos, et personne ne semble s’en soucier. Je me rends compte que, contrairement à moi, les gays ne peuvent pas se réveiller un matin et laisser tomber la question de l’homosexualité.
Un grand malentendu
Mon histoire au cours des cinq dernières années a été l’histoire de leurs vies et de leurs morts. Je les entends et je sais que c’est une histoire qui doit être racontée. Si je me taisais, les médias du reste du monde pourraient faire le travail, et encore dire que nous sommes le pire endroit de la Planète pour être gay. Et pourtant, nous ne le sommes pas vraiment. Il y a juste un grand malentendu. Je dois trouver un moyen de le montrer, tout en faisant comprendre à mes compatriotes et aux femmes que les homosexuels ne mordent pas. Il est temps de réprimer mon désir humain de tout embrasser de raconter des histoires qui doivent être racontées.
» Lire la version complète (en anglais) dans «The Observer» http://www.theguardian.com/world/2013/aug/25/gay-rights-uganda