Outing : une vie privée à deux vitesses

Après l’outing par un jeune auteur de dix-sept ans de deux responsables du Front national (cf. l’entretien avec Christophe Martet à ce sujet), la presse hétérosexuelle (pardon : «généraliste»), qui se targue d’universalisme mais dont le regard sur les questions LGBT n’est pas toujours dénué d’hétéro-centrisme, est tombée à bras raccourcis sur le jeune homme, sur le thème «ces choses-là ne se font pas, protégeons la vie privée». Rien de bien surprenant à cela : déjà, en 1999, lorsque Act Up-Paris avait menacé d’outing le député UDF Renaud Donnedieu de Vabres (qui participait à des manifestations contre le Pacs où l’on pouvait entendre «les pédés, au bûcher !»), cette même presse s’était répandue en anathèmes contre l’association de lutte contre le sida en des termes dont la grandiloquence le disputait au ridicule : «dictature de la transparence», «terrorisme communautaire», «totalitarisme homosexuel», «procès de Moscou», «technique fascisante», «relents d’inquisition»…

Quinze ans plus tard, l’homosexualité appartient toujours, aux yeux de cette presse majoritaire, au domaine de la «vie privée» ; seule l’hétérosexualité a droit aux honneurs de la «vie publique». Parler de l’homosexualité d’un homme politique, fût-ce pour étayer une analyse politique et stratégique, paraît toujours plus inconvenant que d’abreuver le public de détails people : ainsi n’a-t-on pas entendu les mêmes cris d’orfraie lorsqu’en 2003, Laurent Fabius avait cru bon de faire partager aux Français sa triple passion pour la moto, les carottes râpées et la Star Academy ; ni lorsqu’en 2011, Dominique Strauss-Kahn, alors candidat non-déclaré à la présidentielle, invitait des cameramen de Canal + à le filmer dans sa cuisine en train de faire cuire un steak… C’est que, lorsqu’il s’agit d’hétérosexualité, chacun fait bien la distinction entre l’orientation sexuelle (qui peut être évoquée sans qu’on y voit scandale) et la vie intime (le noms des amants et/ou maîtresses, leur nombre et autres secrets d’alcôve). Mais dès qu’il est question d’homosexualité et d’outing, cette gradation essentielle disparaît ; ne reste alors plus que le scabreux :

«on a le droit d’aimer se faire sodomiser sans que cela soit sur la place publique…» observait ainsi avec finesse et élégance un commentateur anonyme en réponse à un article des Inrocks.fr sur le sujet. Après tout, nous connaissons l’orientation sexuelle de François Hollande, de Nicolas Sarkozy, de Jacques Chirac ou de Martine Aubry ; les noms de leurs conjoint(e)s sont publics sans que personne ne s’en offusque ni ne crie à l’outing intempestif. Concernant le Front national, qui se targue d’être très scrupuleux au sujet de la vie privée de ses membres, on sait même que Marine Le Pen (elle ne l’a jamais caché) est deux fois divorcée, mère de trois enfants et actuellement en couple avec son vice-président Louis Aliot. Et, malgré sa forte propension à traîner devant les tribunaux les journalistes qui ne partagent pas ses idées, elle n’a jamais attaqué les médias qui rappelaient ces preuves évidentes de son hétérosexualité. Que Steeve Briois et Bruno Bilde se rassurent : même après cet outing, ils ne seront donc pas plus exposés à l’opinion publique que leur présidente.

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