Le samedi 14 octobre dernier, je me rends dans un centre de santé sexuelle, en vue d’obtenir le traitement post-exposition (TPE), après un rapport sexuel à risques. Rien de plus banal, pour un homme bisexuel noir vivant en Ile-de-France et qui travaille dans le secteur de la santé publique et de la prévention notamment en santé sexuelle. Pourtant, il n’a pas été aisé d’y accéder à Paris et j’ai dû engager une vraie course contre la montre pour qu’on daigne me donner un traitement.
Comme beaucoup de gens, il peut m’arriver de me retrouver face à une situation à risques, en termes de santé sexuelle : on n’est pas chez soi, la configuration des lieux et la façon dont va se dérouler le rapport sexuel n’est pas exactement celui espéré et puis on ne peut pas tout contrôler, même quand on a des préservatifs sur soi.
Puis vient ensuite le temps du doute, de la culpabilité, du remord puis du déni, avant que l’on ne se décide à raconter son histoire ou « sa connerie » à un professionnel en qui l’on puisse faire confiance, surtout si l’on n’est pas du tout habitué à ce type de situation.
La sexualité, c’est un espace intime et ça reste toujours un jardin secret sur lequel il est souvent difficile de lever un voile de pudeur. Mais tandis que l’on réfléchit au bon comportement adopter, l’heure tourne et il se présente alors deux possibilités :
- J’ai pris un risque et tant pis, dans un mois et demi, je me ferai dépister en laboratoire et puis je verrai bien. Le mec au feeling avait l’air « bien », je vais le croire et lui faire confiance, « il ne faut pas dramatiser ».
- Il existe le TPE, je n’ai jamais eu à prendre ce traitement, mais j’ai entendu dire qu’il existe et puis je suis bien placé pour le savoir puisque j’anime des actions collectives « d’aller-vers » pour vérifier et accroître le degré de connaissance des jeunes concernant les risques sexuels, notamment concernant le vih/sida.
Finalement, j’ai refusé la solution de facilité et d’attendre ou de remettre à demain la prise en main de mon état de santé et je vois bien que ce n’est pas tout à fait anodin. J’ai eu beau essayé d’entreprendre un dialogue autour du dépistage avec les différentes personnes avec lesquelles j’ai pris des risques, les réponses ont presque été invariablement les mêmes : « je sais ce que je fais », « je sais que je suis clean », « tu as le vih? », « es-tu malade? », « ne me parle plus de ça! », « tu me fais peur ».
Pas rassuré par ces brefs échanges, rongé par le poids des regrets quant à ma prise de risques sexuels, je me décide à me rendre dans un centre de santé sexuelle à Paris, de peur aussi de me couvrir de honte dans ma ville de banlieue, dans le Val de Marne.
Me sachant proche du timing limite pour pouvoir bénéficier du traitement post-exposition, je franchis plein d’espoir les portes du Checkpoint à Paris, à 10H00, qui est un centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CEGIDD) dédié aux communautés LGBT+.
Là j’explique naïvement que ma dernière exposition remonte à 49H00, avant que mon interlocuteur ne m’interrompe en me disant qu’il est déjà trop tard pour mon cas et que l’on ne peut plus rien faire. Coupant court à la discussion, il m’objecte même un argumentaire juridique en me rappelant qu’il ne fait qu’appliquer la loi et qu’il ne peut se placer dans l’illégalité et qu’il advenait que je vienne un peu plus tôt, si j’eus souhaité bénéficier du traitement post-exposition, sous 48H00 en vertu de la circulaire interministérielle du 13 mars 2008, relative aux recommandations de prise en charge des personnes exposées à un risque de transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Je lui rétorquai pourtant qu’entre 48H00 et 49H00, il n’y a que l’épaisseur d’un trait et que je doute que cela change grand chose quant à l’efficacité des principes actifs du traitement. Voyant que mon interlocuteur n’en démordait pas, estomaqué et outré, je ne fis pas d’esclandre, gardant mon anxiété et mon indignation pour moi.
J’eus espéré au moins qu’il me propose de converser avec un psychologue, face à cette absence de solution pour que je puisse évacuer mon stress, mais que nenni, il n’en fut rien. Alors je suis reparti Gros-Jean comme devant dans un autre CeGIDD, sachant qu’on en trouve assez peu d’ouverts à Paris le samedi matin. Peut-être trois au plus, selon mon décompte.
Au CeGIDD de Belleville, l’accueil fut bien meilleur. On m’a expliqué que les dépistages se faisaient sur rendez-vous alors que l’objet de ma venue était différent. Une dame m’a ensuite orienté vers l’hôpital référent le plus proche et j’ai ainsi pu me rendre aux Urgences de l’Hôpital Tenon où après quelques heures d’attente, l’on s’est occupé de moi, correctement.
Là, on m’a demandé si ma dernière exposition remontait à moins de 72 heures et c’était toujours le cas et j’ai enfin pu bénéficier du traitement post-exposition, à mon grand soulagement.
En rentrant chez moi, à 18H00, j’étais presque en train de pleurer, la larme à l’œil en me disant que si je n’avais pas eu le réflexe de me rendre dans un autre CeGIDD, on ne m’aurait jamais orienté à l’hôpital et l’on m’aurait laissé à mon désarroi sans autre forme de procès, en quelque sorte. J’étais encore en état de choc.
Au Checkpoint, au terme de mon échange avec le personnel, l’on m’a proposé de me rendre le lundi 16 octobre sur place, pendant mes heures de travail, afin d’obtenir une date de rendez-vous pour la fin du mois, en vue de faire un test de sérologie poussé pour savoir si j’ai le VIH, mais à aucun moment je n’ai senti qu’on allait parvenir à un « Paris sans sida », au contraire. On m’a laissé sans traitement et sans orientation.
Encore une fois et j’en ai parlé à d’autres acteurs de la lutte contre le VIH, ainsi qu’à des collègues : si je ne travaillais pas dans le secteur de la santé publique moi-même, je n’aurais probablement pas bénéficié du traitement post-exposition, car je n’aurais pas eu les outils et les ressources pour me « démerder » et m’en sortir au milieu de tout ça. Pire encore, peut-être que j’aurais continué à avoir des pratiques à risques en me disant que si de telles situations se présentent, de toute façon l’on ne peut rien y faire.
Enfin, jusqu’à aujourd’hui, je ne peux pas faire l’économie de me dire que cette situation désagréable et de refus de soins m’est peut-être arrivée parce que je suis un homme noir. Le racisme est ambiant et aucune sphère de la société n’y échappe. Et bien que je ne sois pas issu de l’immigration, en tant qu’antillais, je n’y échappe pas non plus en raison de mon faciès.
Aussi, je n’ignore pas que le racisme puisse se cacher derrière une application zélée des lois, des règles et des règlements qui rende difficile l’expression de sa dénonciation. Cependant, comment ne pas exprimer mon ressenti quand on mesure le fossé entre ma prise en charge à l’hôpital Tenon et l’absence de solution apportée par le Checkpoint ?
Au final, mon témoignage s’inscrit dans un récit plus large des atteintes à la santé des Noir.es, qu’il s’agisse de santé sexuelle, environnementale (chlordécone aux Antilles) ou de santé psychologique dans le cas des violences policières, à l’instar du traumatisme vécu par Michel Zecler.