Dans quelques semaines, début juillet, François Hollande doit se rendre en Tunisie. Ce sera sa première visite officielle dans ce pays qui traverse une période de transition incroyablement complexe et difficile, partagée entre les espoirs soulevés par la révolution et l’angoisse de voir un régime autoritaire succéder à un autre. Au moment où il foulera le sol de Tunis, il aura en tête ce contexte, éminemment délicat, mais nous lui demandons de garder en tête quatre visages et prénoms. Amina, Pauline, Joséphine et Marguerite. Une Tunisienne, une Allemande et deux Françaises. Quatre Femen. Elles croupissent actuellement en prison à cause de sanctions totalement disproportionnées au regard de leurs actes et contraires aux normes attendues d’un Etat de droit.
Trois d’entre elles, dont deux activistes françaises, viennent d’écoper de quatre mois de prison ferme pour avoir manifesté seins nus devant le Palais de justice. Un acte considéré comme une « atteinte à la pudeur, aux bonnes mœurs et trouble à l’ordre public », alors qu’il s’agissait d’une protestation pacifique, demandant la libération d’Amina, la première Femen tunisienne, elle-même détenue de façon arbitraire depuis plusieurs semaines.
Son crime ? Un simple tag. Avoir tracé le mot Femen sur un muret. Quelques lettres tracées pour défier la rage obscurantiste de 40 000 salafistes qui prétendaient se rassembler en toute illégalité à Kairouan, le 19 mai dernier. Ces manifestants-là, qui ont fait plusieurs blessés parmi les policiers anti-émeutes, ont été relâchés. Les terroristes ayant attaqué l’ambassade américaine et causé des millions de dégâts n’ont écopé que de peines avec sursis. Les assassins de Chokri Belaïd courent toujours. Les extrémistes qui attaquent des cinémas, des expositions d’artistes ou brûlent régulièrement des mausolées ne sont presque jamais retrouvés. Mais Amina risque six à douze ans de prison pour « atteinte aux bonnes mœurs », « profanation de tombeau » et « association de malfaiteurs ».
Amina, Pauline, Joséphine et Marguerite sont des prisonnières politiques. La lourdeur des jugements qui les frappent, de la prison ferme et non une simple amende, ne laisse aucun doute à ce sujet. Elles ne sont pas les seules à endurer cette forme de répression depuis la révolution. Ghazi Beji et Jabeur Mejri, deux blogueurs, ont été condamnés à sept ans et demi de prison pour blasphème. L’un par contumace. Il a dû se réfugier en France. L’autre purge sa terrible peine dans l’indifférence générale. La journaliste france-tunisienne, Hind Meddeb, est poursuivie pour avoir dénoncé la lourdeur de la condamnation du rappeur Weld el 15 : deux ans de prison ferme pour une chanson irrévérencieuse envers la police.
Quant à la réalisatrice Nadia El Fani, elle ne peut plus retourner dans le pays de son enfance, où elle risque jusqu’à six ans de prison pour avoir réalisé un film sur la laïcité : Laïcité Inch’Allah ! Son avocat a également récemment été persécuté pour « sodomie »… A travers ces jugements, éminemment politiques, la justice tunisienne montre un terrible visage : faible avec les terroristes et dur avec les esprits libres. Le pire des lois de Ben Ali contre le meilleur des acquis de Bourguiba. Toutes ces affaires trahissent un climat irrespirable et préfigurent un Etat religieux et non civil, autant dire le renoncement à la démocratie réelle en Tunisie. Elles ne peuvent laisser indifférent.
Nous ne demandons pas au président de renoncer à aller en Tunisie. Bien au contraire, il doit s’y rendre pour demander la libération de ces prisonniers politiques. Sans se laisser intimider par ceux qui crieront à l’ingérence ou convoqueront le passé. Rien, ni la « stabilité » des relations franco-tunisienne ni les intérêts économiques ne justifient de fermer les yeux sur ces lois iniques et la façon dont elles sont appliquées. François Mitterrand, en son temps, a su oublier les pudeurs diplomatiques pour défendre la cause des dissidents lors de son voyage à Moscou.
Aujourd’hui, les dissidents sont à Tunis, au Caire, à Alger, à Doha, à Riyad, partout où l’internationale théocratique tente de gagner du terrain sur la démocratie et les valeurs universelles.
Au nom de ses dissidents sans voix, nous lui demandons d’interpeller son homologue, le président tunisien, qui se targue d’être un ancien activiste des droits de l’homme, qui a pu se réfugier en France lorsqu’il était lui-même persécuté sous l’ancien régime, mais se tait face aux violations du droit élémentaire à la liberté d’expression par son propre gouvernement.
A François Hollande d’exiger à Tunis la libération d’Amina (18 ans), de Pauline (27 ans), de Joséphine (19 ans) et de Marguerite (22 ans). Non pas parce deux de ces prisonnières politiques sont des ressortissantes françaises, mais bien parce que les droits des femmes et le droit à la liberté d’expression sont des valeurs universelles, et que François Hollande avait promis d’en faire le cœur de sa diplomatie. Ce voyage sera pour nous un test : savoir si ces mots ont un sens.
Darina Al Joundi, auteure-comédienne ; Elisabeth Badinter, philosophe ; Faouzia Charfi, universitaire ; Djemila Benhabib, journaliste et essayiste ; Lina Ben Mhenni, cyberdissidente tunisienne ; Sadok Ben Mhenni, activiste tunisien ; Raja Ben Slama, psychanalyste et universitaire ; Karim Ben Smail, éditeur ; Nédra Ben Smail, psychanalyste ; Abdennour Bidar, philosophe ; Dounia Bouzar, auteure et anthropologue ; Rachida Brakni, comédienne ; Caroline Eliacheff, psychanalyste ; Cherif Ferjani, professeur universitaire ; Caroline de Haas, activiste féministe ; Françoise Héritier, anthropologue ; Salah Horchani, universitaire, militant des droits humains ; Abdelwahab Meddeb, écrivain, universitaire ; Nine Moati, écrivaine ; Said Sadi, ancien député algérien, fondateur de la Ligue algérienne des droits de l’homme ; Martine Storti, présidente de Féminisme ; Maya Surduts, collectif national pour les droits des femmes.
Caroline Fourest (Ecrivaine et journaliste), Nadia El Fani (Cinéaste), Aliaa El Mahdy (Cyberdissidente égyptienne ), Taslima Nasreen (Ecrivaine) et Inna Shevchenko (Porte-parole de Femen)