L’église catholique, au mépris du droit ? Dans un pays où nul ne s’avoue homophobe (ou presque), a-t-on le droit de s’interroger sur l’homophobie de l’Eglise catholique sans se voir taxé aussitôt d’une intolérance moyenâgeuse ? Le problème n’est pas tant que, malgré un ciel défavorable, elle mobilise avec la droite et l’extrême droite contre le « mariage pour tous ». Après tout, au sein même du Parti socialiste, les « Poissons roses », appelant à la manifestation du 13 janvier, l’ont jugée « égalitaire » et « radicalement anti-homophobe » ! D’ailleurs, les intégristes de Civitas s’emploient à blanchir les autres opposants au projet de loi, auxquels ils reprochent leurs slogans… anti-homophobes.
La kitschissime Frigide Barjot est en effet assortie, non seulement de Laurence Tcheng, repentie supposée du hollandisme à la tête d’un groupe Facebook (« La gauche pour le mariage républicain »), mais aussi du président d’une association ad hoc : « Plus gay sans mariage« . S’affirmant homosexuel, Xavier Bongibault récuse toute contradiction. Mieux, il renverse l’accusation : « Ceux qui pensent ça sont eux-mêmes homophobes », avant de conclure : » Dire que les homosexuels devraient être pour le mariage homosexuel parce qu’ils sont homosexuels est une idéologie dans la droite ligne de celle d’Hitler » – une « reductio ad hitlerum » qui n’épargne pas François Hollande.
L’homophobie aurait donc changé de camp – sinon l’homosexualité elle-même. De fait, après l’ange androgyne en Lycra, qui à l’automne déployait ses ailes entre des « papas » et des « mamans » d’Alliance Vita, et depuis que la « manif pour tous » impose un code vestimentaire (« carrés Hermès et serre-tête prohibés »), voire un déguisement (« troquer le tweed contre le cuir »), on en vient à se demander si, comme les chansons d’Abba, le travestissement n’aurait pas abandonné la Marche des fiertés pour les kermesses en rose contre l’égalité des droits…
Ainsi, depuis les tee-shirts « Touche pas à mon pape », s’interroger sur l’homophobie de l’institution catholique serait faire preuve d’intolérance et de ringardise. Les saillies du cardinal Barbarin, primat des Gaules, mériteraient l’indulgence : « Après, ils vont vouloir faire des couples à trois ou à quatre. Après, un jour peut-être, l’interdiction de l’inceste tombera. » Et le porte-parole du Vatican, Federico Lombardi, ferait juste preuve d’ironie : « Pourquoi ne pas envisager aussi une polygamie librement choisie » ?
Bref, ces maladresses n’auraient aucun sens – même si le cardinal Bertone, numéro deux du Vatican, allait en 2010 jusqu’à attribuer l’épidémie de pédophilie révélée dans l’Eglise… à l’homosexualité. Et si, au contraire, ces « dérapages » disaient la vérité ultime de l’homophobie institutionnelle, comme de la xénophobie d’Etat lors du « grand débat » sur l’identité nationale ? L’homophobie n’est pas tant une affaire d’individus que d’institution. Le problème, c’est moins tel ou tel que l’Eglise elle-même.
Il suffit de relire son catéchisme. » S’appuyant sur la Sainte Ecriture, qui les présente comme des dépravations graves, la Tradition a toujours déclaré que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés ». Ils sont contraires à la loi naturelle. » Bref, « ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas ». C’est pourquoi « les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté ». Le catéchisme distingue donc les « actes » des « tendances homosexuelles foncières » : ces hommes et femmes « doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse », car pareille « propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart une épreuve ».
Peut-on en conclure que l’Eglise catholique ferait montre d’homophobie envers les actes seulement, mais de charité à l’égard des personnes ? Hélas, leur abstinence ne suffit pas à absoudre les homosexuels. Certes, « on évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste ». Est-il donc des discriminations justes ? De fait, les évêques français se sont opposés à la pénalisation de l’homophobie. Quant au Vatican, il revendique ouvertement, dans une instruction de 2005, d’écarter les homosexuels du sacerdoce.
Or les actes – également défendus aux prêtres hétérosexuels – ne sont pas seuls visés, mais aussi les « tendances » : « L’Eglise, tout en respectant profondément les personnes concernées, ne peut pas admettre au séminaire et aux ordres sacrés ceux qui pratiquent l’homosexualité », ni bien sûr ceux qui « soutiennent ce qu’on appelle la culture gay », mais surtout ceux qui « présentent des tendances homosexuelles profondément enracinées ». Et de protester à nouveau contre toute « discrimination injuste », au moment d’exclure des personnes pour ce qu’elles sont, et non pour ce qu’elles font. On n’imaginerait pas de refuser l’ordination à un juif converti ; en revanche, pour les homosexuels, respecter l’injonction de chasteté ne change rien.
Ainsi, l’Eglise catholique est aujourd’hui, en tout cas en France, le seul employeur qui affiche fièrement une discrimination homophobe à l’embauche – au mépris du droit. Pire : l’Etat ne se contente pas de fermer les yeux ; il s’en fait le complice en terre concordataire, puisque les prêtres sont rétribués par l’argent public en Alsace-Moselle. Dira-t-on que la liberté religieuse échappe à la loi commune ? Mais qu’est-ce qui empêcherait alors une religion blanche de bannir les Noirs ou les Arabes ? Surtout, en quoi cette Eglise décomplexée est-elle en surplomb de la société, et donc en dehors du droit, dès lors qu’elle s’engage, à la messe et dans la rue, dans le combat politique ? N’est-elle pas aujourd’hui un lobby comme les autres ?
L’Eglise catholique est-elle homophobe ? Ce sera aux tribunaux d’en juger, dès qu’un séminariste alsacien ou mosellan, écarté de la carrière ecclésiastique, aura porté plainte contre une telle discrimination dans l’emploi. Ce pourrait être l’occasion de contester une autre exclusion, tellement familière que la justice oublie de s’en soucier : les femmes sont interdites de sacerdoce. Peut-être le Vatican aura-t-il intérêt à moins se mêler de politique, s’il ne veut pas qu’en retour l’Etat se mêle davantage de ses affaires. Il faut rendre à César…
Eric Fassin, Sociologue (université Paris-VIII, auteur de « Démocratie précaire. Chroniques de la déraison d’Etat »(Ed. La Découverte) et 2012).