Aurélie s’en souvient encore. Un jour de mars 2014, elle ouvre avec son épouse, Sophie, une lettre du tribunal de Montpellier. Après quelques secondes, c’est l’explosion de joie, Camille, 2 ans et demi, a enfin, aux yeux de la loi, deux mamans. « Nous avons reçu une bonne nouvelle », répondent les deux femmes à leur petite fille, surprise. Si cette décision ne va pas provoquer de grands changements dans leur quotidien, elles sont heureuses que leur « famille soit enfin reconnue ».
« Lorsque nous avons inscrit notre fille à l’école cette année, nous avons pu mettre que Sophie et moi étions ses deux parents, comme les autres familles », raconte fièrement Aurélie. Tous les couples lesbiens ne connaissent pas cette joie. La Cour de cassation a débattu lundi 22 septembre de l’adoption d’enfants conçus par procréation médicalement assistée (PMA) à l’étranger au sein de couples lesbiens. La majorité des tribunaux en France répondent favorablement à ce genre de demandes.
« Je pourrais t’appeler nounou »
Mais dans certaines régions, ces demandes d’adoption peuvent être refusées. La Cour de cassation était donc appelée à trancher sur cette « instabilité juridique » pour éviter les jugements contradictoires s’est prononcée ce mardi en faveur de l’adoption quand le couple a eu « recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle avec donneur anonyme à l’étranger ». Selon une étude commandée par la Chancellerie, à la mi-juillet 2014, sur 295 décisions référencées, 281 avaient accordé l’adoption, dont 254 adoptions plénières, par opposition à l’adoption simple plus restrictive.
C’est le cas de Catherine et Hélène*, ensemble depuis 15 ans. Le fille Mathilde* a six ans et pour l’État, elle n’a qu’une maman. Le tribunal du centre de la France en charge de leur dossier a pour l’instant ajourné sa décision. Le couple attendait donc avec impatience le jugement de la Cour de cassation. Mais le mal est fait, « Je pourrais t’appeler nounou », a demandé Mathilde à Catherine quelques semaines plus tôt, raconte-t-elle avec émotion.
Un Pacs, un enfant, un mariage, une adoption
Si, à Montpellier, Aurélie, 34 ans et Sophie, 33 ans, ont eu plus de chance, leur parcours n’a pas été facile. Ensemble depuis huit ans, les deux trentenaires ont décidé de fonder une famille trois ans plus tôt. Elles rêvent d’enfant et alors que « certaines cliniques proposent des procréation médicalement assistées à quelques kilomètres de chez nous », déplore Aurélie, elles se rendent aux Pays-Bas. En France, la PMA est interdite pour les couples homosexuels. Pourquoi être allées si loin? « Aux Pays-Bas, le don de gamètes est semi-anonyme, si notre fille le souhaite, elle pourra demander à sa majorité à connaître l’identité du donneur », affirme Aurélie.
Même chose pour Catherine et Hélène qui ont choisi la Belgique. Lorsque la loi pour le mariage pour tous a été adoptée, le couple est passé devant le maire et une demande d’adoption a été déposée dans la foulée. Catherine et Hélène savaient qu’elles n’étaient pas dans une région favorable à cette loi. « J’ai été convoquée au commissariat pour répondre à une enquête, le commissaire paraissait aussi surpris que moi, se souvient Catherine. Il fallait que j’apporte la preuve que j’étais mariée, que je gagnais des revenus suffisants pour élever ma fille, » raconte-t-elle encore. « Cela ne m’a pas franchement posé de problème, modère-t-elle cependant. J’ai aussi été soumise à deux enquêtes sociales comme n’importe quel parent qui adopte. Il était hors de question pour moi de mentir ».
Le problème sera le même pour le deuxième enfant
Cette cadre médico-social de 40 ans a donc expliqué aux autorités que sa compagne avait eu recours à une PMA en Belgique. « Contrairement aux couples hétérosexuels, nous devons réfléchir à la façon dont nous allons ‘faire’ notre enfant. Je ne vois pas pourquoi j’aurais dû cacher ça. » Si dans la région de Montpellier, la PMA de Camille n’avait posé aucun problème, dans le centre de la France, ce n’est pas la même histoire. « Nous avons pu lire le PV de la police comme les enquêtes sociales, elles n’étaient pas défavorables à notre demande d’adoption. C’est au niveau du juge que le dossier n’est pas passé, on nous a reproché d’avoir fait une PMA à l’étranger », dénonce-t-elle.
Dans la vie quotidienne, impossible donc pour Catherine d’aller retirer le passeport de sa fille, impossible aussi de la faire sortir de l’hôpital si Mathilde tombait malade. « Lorsque nous n’avions pas le droit de nous marier, c’était un état de fait, c’était comme ça. Aujourd’hui tout dépend de la région en France dans laquelle vous vous trouvez, c’est insupportable », s’agace-t-elle en se demandant si elle n’est pas dans « une catégorie de sous-citoyen ». Si la Cour de cassation ne rend pas un avis favorable, nous ferons appel, nous irons jusqu’à la cour Européenne des droits de l’Homme », menace-t-elle encore.
Si Aurélie et Sophie de Montpellier attendent aussi cette décision de justice, elles ont les yeux tournés vers le futur. Elles aimeraient beaucoup offrir à Camille un petit frère ou une petite sœur, mais craignent d’avance le parcours du combattant qui les attend. De la PMA aux Pays-Bas jusqu’à la reconnaissance de Sophie comme parent de ce nouvel enfant.
*Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.