>> Le Figaro publiait sur son site internet, le 24 septembre 2014, une tribune intitulée « PMA : la Cour de cassation a rendu un avis émotionnel contraire aux droits de l’enfant » et réalisée par un Maître de conférence spécialiste du droit de la famille. Devant le parti pris évident de la démonstration, il semblait utile de se recentrer sur le Droit mais également de s’intéresser à la délicate question de l’objectivité des juristes face aux sujets de société.
En effet, à la lecture de ce texte, il semble que l’argumentaire développé contre les avis de la Cour de cassation du 24 septembre 2014 affirmant que « le recours à la procréation médicalement assistée ne fait pas obstacle à l’adoption de l’enfant du parent biologique par son conjoint de même sexe » était – sous une apparente rigueur juridique – particulièrement marqué par la sensibilité de son auteur, très proche du mouvement la « Manif pour tous », aspect essentiel pourtant totalement éludé par le Figaro.
Quelques modestes éléments de contradiction peuvent être proposés.
Une fraude à la loi ? Peut-être, mais pas au moment déterminant.
Invoquer la fraude à la loi pour refuser de valider les adoptions en cause apparaît peu pertinent, tant cela manifeste une confusion entre, d’une part le recours à la PMA à l’étranger et, d’autre part, la procédure d’adoption, seule aspect sur lequel s’est prononcée la Cour de cassation :
Par deux fois, l’article L.2141-2 du Code de santé publique évoque « l’homme et la femme ». Cette rédaction, issue de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique ne laisse aucun doute : seuls peuvent bénéficier d’une PMA, sur le sol français, les couples hétérosexuels.
Dès lors le fait, pour un couple homosexuel, de se rendre à l’étranger pour avoir recours à une PMA avec la ferme intention de contourner ces dispositions légales est constitutif d’une fraude à la loi.
Deux arguments viendront toutefois limiter la portée de cette argumentation.
D’abord, aucun texte ne vient sanctionner cette pratique, l’article L2141-2 du Code de santé publique n’étant cité dans le Code pénal que par l’article 511-24 qui se borne à sanctionner le fait de détourner les activités d’assistance médicale à la procréation de ses fins, à savoir « répondre à la demande parentale d’un couple », la formule relative à « l’homme et la femme » n’étant ici pas reprise.
Éventuellement, pour refuser de reconnaître en France les conséquences d’une PMA pratiquée à l’étranger par un couple homosexuel, une juridiction pourrait être tentée de recourir à la notion d’ « ordre public international » qui permet au juge national de refuser de reconnaître un acte étranger lorsque celui-ci heurte les valeurs et principes fondamentaux de son État.
Deux éléments rendent cette solution peu sérieuse : en premier lieu, dans un pays venant tout juste de légaliser le mariage homosexuel, il est peu probable qu’un juge en vienne à se scandaliser de voir deux femmes élever un enfant. En second lieu – et surtout – tant que l’adoption n’est pas sollicitée par le conjoint auprès d’un Tribunal de grande instance, la PMA réalisée à l’étranger n’a, en elle-même, aucune conséquence juridique en France étant donné qu’à aucun moment il n’a été demandé la reconnaissance de cette procédure en tant que telle.
A titre d’exemple, la situation est différente lorsqu’il est demandé au juge de reconnaître un mariage polygame célébré à l’étranger, puisque c’est ici l’acte frauduleux en lui même qui constitue l’objet de la demande.
Ici réside donc le cœur du raisonnement de la Cour de cassation : dans l’affaire ayant donné lieu aux deux avis du 23 septembre 2014, l’éventualité d’une fraude ne devait pas être appréciée au regard des conditions légales de la PMA, mais bien de celles de l’adoption.
A ce propos justement, l’article 343 du Code civil prévoit : « L’adoption peut être demandée par deux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans. »
L’autre base des deux avis, l’article 345-1 du même Code, prévoit, en son premièrement que « l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint. »
Dans ces conditions, il apparaît légitime d’affirmer que la procédure d’adoption n’a été entachée d’aucune fraude.
Surtout même si l’existence d’une fraude devait encore être discutée, il semble que la notion d’intérêt supérieur de l’enfant puisse permettre de passer outre.
La question de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La notion d’intérêt supérieur de l’enfant est issue de la convention de New-York de 1989, signée et ratifiée par la France. Ce concept, en raison de sa valeur supra-constitutionnelle et du fait qu’il n’est délimité par aucune définition, se révèle un outil précieux de protection des droits des enfants en permettant la levée de nombreux blocages.
Ainsi il a notamment été jugé dans un arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2010 (soit bien antérieur à la triste hystérie vécue en 2013) que l’intérêt supérieur de l’enfant étant « une considération primordiale […] doit primer sur la nécessité de sanctionner les déclarations erronées de ces personnes qui ont fait dresser un acte de naissance établissant la filiation de cet enfant à leur égard sur le fondement de ces fausses déclarations. »
L’établissement de fausses déclarations constitue incontestablement une fraude. Pourtant l’intérêt supérieur de l’enfant permet de passer outre et de faire établir une filiation.
En raisonnant par analogie, il apparaît douteux qu’un tel jugement ne puisse bénéficier aux couples homosexuels s’étant rendus à l’étranger pour recourir à la PMA.
Une telle position semble d’ailleurs pouvoir être confortée par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme du 26 juin 2014 ayant condamné la France en raison de son refus de transcrire à l’état civil national les actes de naissance d’enfants nés de mères porteuses aux Etats-Unis.
Un donneur de sperme ne saurait être considéré comme un parent.
Cette partie de l’exposé ne méritera pas d’attention particulière, tant l’argument ici combattu apparaît peu sérieux.
Dans sa tribune, le Maître de conférence se lamentait de la violation de l’article 7 de la Convention de New-York aux termes duquel tout enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » puisque « pour que deux hommes ou deux femmes « aient » un enfant, cela suppose en pratique de commencer par priver cet enfant de père ou de mère. »
Ainsi tous les donneurs de sperme ou d’ovules anonymes seront certainement ravis qu’ils sont, selon la Manif’ pour Tous, des parents à part entière avec l’ensemble des droits et obligations inhérents à ce statut.
Le raisonnement est d’autant plus cocasse que dans l’hypothèse même où un couple hétérosexuel aurait recours, en France et en toute légalité, à un donneur de sperme anonyme, l’enfant à naître aurait donc, selon leur juriste attitrée, une mère et… deux pères.
Situation certainement délicate à gérer pour une organisation qui communique sur le slogan « Une maman, un papa. »
Ce que le Conseil constitutionnel… n’a pas dit.
Toujours selon l’auteur de la tribune, le Conseil constitutionnel « a clairement dit, dans la décision qui a déclaré la loi Taubira conforme à la Constitution, que le fait de se rendre à l’étranger recourir à la PMA ou la GPA en fraude à la loi française, pour demander ensuite l’adoption en France, constitue un détournement de la loi » et l’auteur de préciser que cette « affirmation » se trouve au paragraphe 58 de la décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013.
En réalité ledit paragraphe est ainsi formulé :
« Considérant, en troisième lieu, que l’éventualité d’un détournement de la loi lors de son application n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité ; qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques ; »
Ainsi le Conseil constitutionnel, à aucun moment, n’affirme que la PMA à l’étranger suivie d’une procédure d’adoption constitue « détournement de la loi » : les sages ne font ici qu’énoncer un principe de portée générale uniquement relatif à la méthode d’appréciation du caractère constitutionnel ou non d’une loi.
En outre l’auteur de la tribune déduit de son interprétation très personnelle de la décision du Conseil constitutionnel que la Cour de cassation visiblement « rend un avis inconstitutionnel. »
Cette affirmation est plutôt obscure : comment déduire de ce fameux « détournement de la loi » une moindre violation de la Constitution, d’autant plus que les conventions internationales ne sont pas prises en compte dans le contrôle de constitutionnalité ?
Quand le militantisme dépasse le raisonnement objectif.
L’objectif premier de cette réponse à l’article publié sur le site internet du Figaro n’était pas forcément de confronter les objectifs juridiques.
En réalité, la simplicité des réponses ici apportées n’était qu’un moyen de mettre en lumière le risque de se laisser convaincre par l’objectivité de façade d’interventions complètement guidées par les convictions de leurs auteurs.
Ainsi il est regrettable que le Figaro n’ait pas jugé utile de préciser que l’auteur de sa tribune soit une juriste ayant milité activement contre le mariage homosexuel, la fameuse « théorie du genre » ou plus généralement la Présidence de François Hollande.
Par Dimitri Seddiki
http://www.village-justice.com/articles/PMA-couples-homosexuels-entre,17837.html