Garçon ou fille ? Si sans le secret du ventre maternel, le doute peut toujours subsister, il se dissipe au moment de l’accouchement. D’un simple coup d’œil sur la partie la plus intime de notre anatomie, la question est tranchée : Affaire génitale classée ! Alors, quand le médecin a annoncé : « C’est une fille ! » à la famille Zamora d’Irún, originaire du Pays basque espagnol, personne n’a mis en cause son diagnostic.
Cependant, Ane, leur création, n’a jamais vu son genre sous cet angle-là. Elle est un garçon. Malgré ses deux chromosomes X, l’enfant n’en démord pas depuis son plus jeune âge. Au point, à 11 ans, de se faire désormais appeler « Leo », dans sa famille et à l’école. Dans la communauté autonome d’Euskadi, il est le premier mineur transgenre à recevoir un traitement pour stopper le développement de sa puberté.
Les injections de Decapeptyl tous les 28 jours ont commencé en octobre dernier. Elles doivent freiner l’apparition des caractères sexuels secondaires. En l’occurrence, la poussée des seins et l’apparition des règles. Le traitement peut paraître lourd. À juste dose, les spécialistes assurent qu’il est réversible. Le préadolescent peut en effet décider de l’arrêter à tout moment.
« Le but de ces injections est de lui donner du temps », commente sa mère, Monika Zamora sur sudouest.fr, qui consacre un dossier à Leo. « Du temps pour être convaincu de son choix : devenir un garçon. Mais aussi pour comprendre quelles seront les prochaines étapes s’il souhaite changer de sexe. » Un processus que l’on appelle « transition ».
Les différentes phases vont du changement d’état civil aux injections d’hormones, voire jusqu’à la chirurgie. Leo ne pourra se lancer dans une phalloplastie, si tant est qu’il le désire, avant 16 ans, âge de « majorité sanitaire » en Espagne.
Comme il est complexe, ce dilemme de genre qui tourmente certains enfants en pleine construction d’identité ! Pour autant, un petit de 11 ans peut-il vraiment faire la distinction entre un questionnement passager et la conviction persistante et constante d’être en inadéquation avec son sexe anatomique ?
À cette question, le jeune Basque répond tout de go : « Je sais ce que je suis. » Une main posée sur la poitrine, Leo explique les raisons qui l’ont poussé à avoir recours à un traitement pour stopper sa puberté. « Ça, ça va arrêter de pousser. » « Ça », ce sont ses seins. Avec des mots de gamin empreints de pudeur, l’écolier va jusqu’au bout de son raisonnement. « C’est quand même plus logique. Je n’aurai pas besoin de me les faire enlever quand je serai grand… »
Aussi loin que Monika Zamora se souvienne, Leo a toujours ressemblé à un garçon. « Dès l’âge de 2 ans, c’était tous les jours la guerre pour l’habiller. Impossible de lui faire porter les vêtements de sa grande sœur. » Nagore, deux ans de plus, a un goût prononcé pour le rose, les froufrous, les paillettes. « Un moment, j’en ai eu marre de me battre. Je l’ai amené dans un magasin pour choisir sa garde-robe. Il m’a fait acheter des shorts, des baskets, des caleçons. »
Très tôt, ses parents le laissent exprimer sa différence. Sortir de la norme, dans une société espagnole encore très conservatrice et stéréotypée. Mais, pour Leo, l’acceptation de soi a sans doute été « facilitée » par l’expérience de sa mère. Après avoir eu deux enfants avec son mari, Monika vit désormais avec une femme. « J’essaie de montrer que je m’assume telle que je suis. Si ma situation personnelle a pu influencer Leo, j’espère que c’est dans ce sens-là », dit-elle.
Du jour au lendemain
Sur son ordinateur, la mère retrouve des photos de vacances d’il y a deux ans. Leo, cheveux courts, sourire d’ange, pose en short de bain aux côtés de sa sœur en bikini. Ce corps ne semble pas le gêner. Tout a changé, du jour au lendemain, fin 2014 : « Leo a cessé de s’alimenter. Il pleurait en permanence, disait qu’il avait mal au ventre. Les examens médicaux ne montraient rien. J’étais très inquiète ». Mais elle se laisse guider par une intuition.
À Madrid, Monika Zamora assiste à une conférence organisée par l’association Chrysallis qui accompagne les familles de mineurs transgenres. « Les intervenants ont parlé des “symptômes” qui pouvaient mettre les parents sur la piste. Et, notamment, la dépression et l’anxiété qui provoquaient des maux de ventre. » En rentrant à la maison, elle décide de visionner avec Leo un documentaire sur la question de la « transidentité ». Au bout de quelques minutes, les yeux du petit s’écarquillent. « C’est exactement ça qui m’arrive ! » dit-il à sa mère.
« Dans les jours qui ont suivi, j’ai parlé de tout cela avec son père. Puis avec le reste de la famille. Personne n’a semblé surpris. Tout le monde percevait son mal-être, même si on n’en parlait pas », reconnaît Monica. Un malaise qui conduit parfois au drame. En décembre dernier, un adolescent « trans » catalan de 17 ans a mis fin à ses jours. « On sait que ces jeunes sont plus fragiles car exposés à différentes sortes de violence. Quand vous savez que votre enfant pense, ne serait-ce qu’un fragment de seconde, au suicide, vous mettez tout en œuvre pour qu’il se sente bien. »
Leo est suivi depuis un an par une équipe médicale spécialisée (psychiatre, psychologue, endocrinologue et même chirurgien plastique), dans un hôpital public proche de Bilbao. Dans un premier temps, elle lui a prescrit un traitement de six mois. Les médecins appelleraient cette période d’essai « l’épreuve de la vie ».
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