Le despote, ancien héros de l’indépendance, aura donc été réélu au terme d’un scrutin contesté. «Seul Dieu me fera partir», a-t-il lancé un jour. Grand vainqueur sans surprise d’un scrutin entaché de fraudes massives, Robert Mugabe, héros de la révolution zimbabwéenne, longtemps surnommé le «lion d’Afrique», est de plus en plus souvent comparé à un «vieux crocodile». Regard sévère, visage impassible marqué d’une petite moustache hitlérienne presque caricaturale, à 89 ans, le despote infatigable est au pouvoir depuis trois décennies. Mais il n’a pourtant pas toujours été un dictateur.
Robert Mugabe mena un long combat contre le régime raciste de la minorité blanche de Rhodésie et il fut emprisonné pendant onze ans, avant d’être élu à la tête du nouvel Etat indépendant, le Zimbabwe. C’est un libérateur adulé et porteur d’immenses espoirs qui devient Premier ministre, en 1980. Mais «Camarade Bob», le révolutionnaire marxiste, avait perdu ses idéaux depuis déjà longtemps. «Au lieu de mener son peuple à la terre promise, il a amassé une fortune pour lui, sa famille et ses alliés», constate l’historien Andrew Norman.
Gentleman. Petit à petit, alors qu’il s’accroche à son fauteuil présidentiel (obtenu en 1987), Mugabe se transforme en tyran. Un homme violent qui harcèle et fait assassiner ses opposants. Un vieillard borné qui éructe des insultes envers les «colonisateurs» ou les homosexuels. Un dirigeant déconnecté de la réalité, qui organise de dispendieuses fêtes d’anniversaire alors que la population vit dans la misère. Sa personnalité est complexe. Gentleman cultivé, à l’anglais châtié et aux tenues impeccables – ses vestes bariolées ornées de son portrait sont réservées à ses campagnes électorales -, Mugabe a autrefois fréquenté les grands de ce monde. La reine d’Angleterre, Elisabeth II, séjourna même chez lui. Et on dit qu’il aurait été très peiné lorsque, en 2008, en raison des violences électorales dirigées contre l’opposition, elle lui retira le titre honorifique de chevalier dont elle l’avait gratifié quatorze ans plus tôt. Le président zimbabwéen entretient un lien d’amour-haine avec l’Occident et, surtout, la Grande-Bretagne. Il a un faible pour le cricket, le thé et les costumes anglais. «Son ressentiment envers les Britanniques semble venir de ce qu’il perçoit comme des tentatives volontaires de l’humilier», écrivait Heidi Holland, journaliste et auteure de la biographie Dinner with Mugabe« complexe d’infériorité ».
Dans les accords de Lancaster House, signés à l’indépendance, la Grande-Bretagne s’était engagée à soutenir financièrement une redistribution progressive des terres. Mais, la plupart des fermiers blancs refusaient de vendre et le système s’est enrayé. Avec l’arrivée au pouvoir des travaillistes de Tony Blair, en 1997, l’aide au Zimbabwe a cessé. Mugabe s’est senti trahi. L’engagement de nombreux fermiers blancs auprès de l’opposition est aussi vécu comme un coup de poignard par celui qui estime leur avoir fait une faveur en les autorisant à rester dans le pays après l’indépendance. Il laisse s’exprimer sa rage en permettant aux «vétérans de guerre» de saisir les exploitations agricoles, souvent de manière violente. «Le Zimbabwe ne sera plus jamais une colonie», martèle-t-il, alors qu’il annonce son intention de saisir aussi les mines et les usines.
L’hyperinflation, les sanctions internationales et les pénuries alimentaires qui suivront vont plonger le Zimbabwe dans le marasme. La population meurt de faim, une épidémie de choléra ravage le pays, mais Mugabe s’obstine. Pour s’assurer des soutiens, il laisse la corruption et le népotisme prendre des proportions gigantesques. Sa police secrète sème la terreur.
Mégalomanie. Lors de la présidentielle de 2008, l’opposition est si violemment réprimée que son rival, Morgan Tsvangirai, se retire du deuxième tour. «Dès le début, il voulait que le pays soit dirigé par un parti unique», pense Itai Zimunya de la fondation Initiative pour une société ouverte en Afrique australe. «Et il n’a jamais accepté que quiconque se mette sur son chemin», dit-il, rappelant que le penchant du héros de la révolution pour le totalitarisme avait émergé dès 1983 : Mugabe écrase alors une rébellion ndébélé (ethnie minoritaire du Zimbabwe), faisant des milliers de morts. Le Président est un homme aigri et inflexible, qui ne supporte aucune critique et ne fait confiance à personne. Sa mégalomanie l’empêche de passer la main. «Le fait que j’ai 89 ans ne signifie rien», a-t-il affirmé il y a quelques jours devant des journalistes à Harare.
Assis entre des lions et des léopards empaillés, celui que les Zimbabwéens surnomment «Mudhara» (le vieux, en langue shona), apparaît pourtant affaibli. Ses cheveux et sa moustache teints en noir – et même les injections de botox que la rumeur lui prête – n’effacent pas aussi bien les marques du temps que ses affiches électorales «photoshopées». Mais Mugabe n’est pas sénile. Il est fou de pouvoir, et prêt à tout pour le conserver.
Par PATRICIA HUON Envoyée spéciale à Harare – Liberation.fr