Des policiers russes LGBT se confient à leur collègue suédois, Göran Stanton. Ce dernier, aussi policier, s’est rendu à Saint-Pétersbourg pour partager avec cinq de ses amis russes son combat pour la tolérance. Pour eux, aucun coming out n’est envisageable, ils n’espèrent d’ailleurs même pas participer un jour à une gay pride en uniforme.
Sur leur quotidien au travail
Anna, fonctionnaire de police : « Quand tu travailles avec les mêmes personnes pendant 15 ans, parler de ta vie privée devient un vrai problème. Si une collègue arrive en larmes parce qu’elle s’est disputée avec son mari, je la réconforte, évidemment. On boit du thé, et puis on finit par en rire. Mais moi, je ne peux pas me confier, je dois me taire. Quand je commence à raconter mes-vacances-avec-Macha, on me demande : « Macha, c’est qui ? Une amie ? Et sinon, tu te maries bientôt ? ».
Tu passes avec ces gens entre 12 et 15 heures par jour, c’est-à-dire qu’ils te deviennent presque plus proches que ta propre famille. Pourtant, tu ne peux pas leur demander conseil, sur quoi que ce soit. J’ai même un enfant, qui vit avec nous, avec ma partenaire. Mais j’ai si peur de les perdre qu’il n’est pas question que j’en parle à mes collègues. »
Marina, patrouille de jour : « À la fin de la patrouille, j’entends parfois dire Donnez-moi du pédé, que je puisse donner du bâton. Je réponds que ce n’est pas la peine. J’ai des amis homosexuels, et ce sont des gens merveilleux. »
Maria, fonctionnaire de police « Je travaille dans la police depuis plus de dix ans. Je n’ai jamais eu de problème concernant mon orientation sexuelle. »
Sveta, ancienne stagiaire au Parquet : « Je n’avais encore jamais raconté à personne pourquoi j’ai dû quitter le Parquet. Un jour, nous effectuions un contrôle dans un poste de police. Une rumeur disait qu’un de leurs officiers était homosexuel. Mes collègues ont commencé de le rabaisser, avec mauvaises blagues et sarcasmes à la clé. Je m’y suis opposée, mais j’étais la seule : Allez, un peu de respect. Vos galons et vos titres ne vous donnent pas le droit d’humilier les gens comme ça. Ensuite, ils ne m’ont pas laissé le choix : Soit tu démissionnes, soit c’est nous qui allons te faire partir. »
Andreï, ancien agent de la police judiciaire : « Quand j’ai rejoint la police, dans les années 1990, il existait encore un article du Code pénal punissant l’homosexualité. Après que l’article a été aboli, l’attitude à l’égard des homosexuels n’a pas beaucoup changé. Je devais constamment mentir sur ma vie privée, jamais je n’aurais osé dire que j’avais un copain et que nous vivions ensemble.
Le plus pesant, c’était lors des soirées au travail. Les hommes venaient tous avec leurs épouses ou petites amies. Et moi, j’avais le droit à un tas de questions du genre Mais pourquoi est-ce que les femmes t’intéressent si peu ? Peu à peu, mes collègues ont commencé d’avoir des soupçons, c’est devenu de plus en plus pénible. Je n’ai pas subi d’humiliations – plutôt des railleries. J’ai travaillé neuf ans dans la police judiciaire. Mais ensuite, j’ai compris que je n’en pouvais plus, et je suis parti. »
Sur leurs collègues
Maria : « J’ai fait l’objet de chantage de la part d’un de mes supérieurs. Je n’ai jamais pu m’entendre avec lui. Il me disait Je vais tout raconter. Et moi, je me disais Bah, qu’il le fasse. Il a effectivement tout révélé. Ce qui lui a valu, en fait, la perte du respect de tous. »
Marina : « J’ai des collègues homosexuelles qui passent leur temps à montrer des photos de maris inventés. D’autres s’habillent exprès de façon très féminine, pour que surtout personne ne puisse supposer qu’elles vivent avec des femmes depuis dix ans, qu’elles ont même des enfants ensemble… »
Andreï : « Pour entrer dans la police, il fallait passer des tests psychotechniques qui comportaient des questions très directes sur l’orientation sexuelle. Évidemment, j’ai menti – comme n’importe qui l’aurait fait à ma place. Le psychologue s’est alors approché de moi et m’a demandé s’il n’y avait pas quelque chose dont je voulais lui parler. De quoi ?, j’ai dit. Mais de votre homosexualité, pardi ! J’ai cru que j’allais mourir sur place. Il m’a assuré que tout ça était confidentiel, que c’était juste pour l’ordonnance. Il m’a donné son numéro, pour discuter. Je ne l’ai jamais revu. »
Sur la gay pride
Anna : « Nous demander si on veut participer à une gay pride en uniforme, c’est à peu près la même chose que de proposer de la brioche à des gens qui n’ont même pas de pain ! Ça me semble parfaitement absurde ! »
Sur le coming out
Maria: « J’ai décidé d’arrêter de me cacher lors de ma deuxième année de service. Les collègues ont appris qui j’étais vraiment au bout de trois ans. Ceux qui avaient l’habitude de voir en moi un être humain avant tout n’ont pas changé d’attitude. Mais il y en avait d’autres qui s’adressaient plutôt à la femme en moi – ceux-là ont arrêté de m’adresser la parole. »
Andreï : « J’ai un ami qui travaille toujours dans la police, il est au courant pour moi. Les autres, j’ai cessé de leur parler. Car je sais que s’ils apprennent la vérité, leur réaction sera très négative. »
Maria : « Chez les flics, il y a plus d’indifférence que d’homophobie. Il y a des gens tolérants, aussi. Vous avez déjà croisé un médecin homophobe ? Un vendeur ou un concierge homophobes ? »
Marina : « Je suis entrée dans la police en ayant conscience que j’aurai à me cacher. Mais le jour où je trouve un travail plus intéressant, je rends mon uniforme. Je suis photographe dans le milieu de l’enseignement : peut-être que je pourrai trouver un emploi stable avec un salaire correct. Je considère que l’acceptation de soi est plus importante que ma carrière dans la police. »
Sur la loi contre la propagande homosexuelle auprès des mineurs
Marie : « La deuxième partie de la loi sur l’interdiction de la propagande homosexuelle et de la pédophile légalise tout bonnement, en pratique, la pédophilie dans notre pays. Si, avant, je pouvais arrêter n’importe quel pédophile, aujourd’hui, c’est fini. Avant, par exemple, un type pouvait être accusé de délit et aller en prison pour avoir correspondu avec un enfant sur le Net ; maintenant, avec un avocat expert en la matière et capable d’une bonne rhétorique, le type s’en sortira, au mieux, avec une petite amende. Quand cette loi est passée, on s’est arraché les cheveux, ici. Parce que nous voyons, nous, ce qui leur arrive, à tous ces gosses et à leurs parents. »