Le 26 décembre dernier, s’inquiétant d’avoir frôlé une erreur médicale et pour « sensibiliser ses collègues », le Dr Jean-Roch Huet, médecin généraliste dijonnais, exposait dans un forum d’entraide sur facebook le cas d’un patient homosexuel atteint d’une syphilis. Mais, « pas un homo de type « fofolle » avec des manières surjouées, plutôt un monsieur tout le monde… » Il lui avait d’abord diagnostiqué une « fissure anale », nécessitant une opération, mais le bilan sanguin a révélé l’IST (infection sexuellement transmissible).
« Ne pas avoir compris que le patient était homosexuel m’a poussé à ne pas demander certains examens et potentiellement faire une erreur », d’où le post « pour poser la question de savoir s’il y avait d’autres cas. »
Outre l’intention et les informations partagées, interpellé par ses confrères sur la « connotation » et les « clichés véhiculés » par son message, il reconnaissait que « le terme « fofolle » était sans doute choquant mais évocateur » :
« Il y a des homos hommes qui ont des mimiques d’hommes, ceux-là je ne suppose rien et des homos hommes qui ont des mimiques de femmes, ceux-là c’est écrit sur leur front. C’est pour ça que dans la culture populaire ont dit qu’il y a en un qui fait l’homme et l’autre qui fait la femme », « je ne vais pas rentrer dans le détail génétique et neurologique mais je suis sûr que vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’un homme qui ‘surjoue’ des comportements féminins : façon de parler avec intonations vers le haut, expressions faciales exagérées, main à 90° en marchant (posture de la théière que l’on décrit en théâtre), marche avec les pieds sur une ligne en balançant les hanches, etc. »
Malgré d’autres commentaires ironiquement homophobes, il retirait sa première publication, dénonçant « d’importantes pressions exercées à l’encontre des administrateurs du groupe », « souvent de la part de gens très mal dans leur peau. Mais surtout de la part de gens qui se posent en juge, juré et bourreau, qui pensent avoir le droit de décider ce qui est de l’homophobie ou non (avec une définition totalement variable) et de condamner comme ils le veulent… Ce sont ces « combattants de l’homophobie » qui sont les plus homophobes sans le savoir. Car ils refusent d’accepter qu’il puisse exister la moindre différence entre un homo et un hétéro, pour eux chacun doit être logé à la même enseigne… »
Alertée par les signalements et notamment l’Amicale des jeunes du Refuge et la Dilcrah, le Conseil Départemental de Côte d’Or de l’Ordre a pris la décision ce 9 janvier, après en avoir délibéré et à la majorité des membres présents, de déposer plainte devant la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne de l’Ordre des médecins à l’encontre du praticien, estimant qu’il avait « contrevenu » à ses missions, selon les articles R. 4127-2, R.4127-7 et R.4127-31 du code de la santé publique.
Un médecin est au service de l’individu, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité, qui ne cesse pas de s’imposer après la mort. Il doit écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quelles que soient leur origine, leurs mœurs et leur situation de famille, leur appartenance ou leur non- appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, leur handicap ou leur état de santé, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard. En leur apportant son concours en toutes circonstances, sans jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée.
Et puis, il doit par dessus-tout « s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci » : « Dès lors qu’un médecin poste un commentaire personnel, humeur ou récit, il doit veiller à ne pas manquer de respect tant à l’égard des patients que de ses confrères ou de tout public visé par sa publication. Si l’humour et l’émotion sont caractéristiques de ces écrits, ils ne doivent pas déraper vers la moquerie, l’ironie blessante, la stigmatisation d’une catégorie sociale, l’injure publique voire la diffamation. »
Rappelant que le conseil national avait déjà émis des recommandations dans son livre blanc « Déontologie sur le Web », le conseil départemental précise par ailleurs, « selon l’article r.4127-31 du CSP portant déontologie médicale », que « tout médecin qui agirait ainsi de manière à déconsidérer la profession doit être averti qu’il pourrait devoir en répondre devant les juridictions disciplinaires, même si l’acte a été commis en dehors de son exercice professionnel mais en faisant usage de sa qualification ou de son titre. »
« Une décision exemplaire, courageuse, à la hauteur de la gravité des faits reprochés », s’est réjouie l’Amicale, saluant la réactivité de l’Ordre : « Un médecin n’est pas un internaute comme les autres. Sa parole, quand elle est publiquement exprimée, a un impact fort sur le lecteur… un éventuel et potentiel patient et qu’un jeune LGBT+ en plein questionnement peut être réticent à se livrer, par peur d’être jugé par une personne qui ne le devrait pas. Ces attitudes marginales jettent l’opprobre sur toute une profession. »
Joëlle Berthout
stophomophobie.org