Il fallait prendre une photo. Elle est arrivée perchée sur des talons hauts et rose framboise, un gros blouson à poils de mouton blanc sur le dos, une robe rose à pois noirs. C’était une vision un peu folle. C’est donc elle qui avait galvanisé dans ses discours les catholiques très sérieux qui manifestaient cet hiver ?
On ne la verra pas ce week-end au Parc floral de Vincennes (Val-de-Marne), où se réunissent les associations qui constituent le mouvement de La Manif pour tous pour leur université d’été. Frigide Barjot n’a pas été invitée. Ludovine de la Rochère ne conteste pas :
« C’est vrai. On avait prévu qu’elle intervienne dans un forum et compte tenu des critiques qu’elle a répété tous l’été dans les médias, on l’a annulée. »
Au cœur de cette absence, beaucoup d’histoires, mais surtout deux mots : union civile. Le nouveau cheval de bataille de Frigide Barjot et de son mouvement tout neuf, L’avenir pour tous. Elle veut réformer la loi Taubira (pas l’abroger) et répète inlassablement ses deux propositions :
« soumettre par référendum au peuple français l’inscription du mariage et de la filiation comme norme constitutionnelle » ;
« une loi d’union civile sans adoption plénière ».
La Manif pour Tous demande le retrait le retrait pur et simple de la loi. Ludovine de la Rochère :
« On en avait toujours parlé mais à un moment donné, Frigide a beaucoup voulu parler de l’union civile. Nous, nous ne prenons position ni pour ni contre l’union. Mais maintenant que la loi est passé ce débat n’est plus d’actualité. […] Nous, on aime beaucoup Frigide. »
Voilà pour le socle de la discorde. On a rencontré Frigide Barjot pour qu’elle en parle davantage.
Les catholiques bien peignés l’écoutaient
Elle reconnaît :
« C’était improbable que des catholiques bien peignés avec des chevalières, qui se vouvoient et qui se mettent à genoux, suivent Frigide Barjot. Y a eu un peu un miracle… »
Elle dit qu’elle a été virée de La Manif pour tous lors d’un défilé à Lyon, le 5 mai :
« J’ai dit nous allons continuer le combat contre la loi Taubira, mais nous n’avons qu’une seule solution, c’est de la réformer en demandant la “constitutionnalisation” par référendum.[…]
A ce moment-là, le truc qui n’était pas prévu, c’est que de grandes banderoles préparées ont été levées dans la foules, où il était marqué “union civile, arnaque civile”. »
Elle accuse ses anciens copains de s’être radicalisés. A Rémi Noyon, mon collègue qui l’a vue à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), elle a déclaré :
« La Manif pour tous est en train de devenir un PCD [le Parti chrétien-démocrate, fondé par Christine Boutin, ndlr] élargi et ça ne marche pas. »
Ludovine de la Rochère réfute. Rien n’a changé, dit-elle.
Auteur de « L’Empire des papes », Olivier Bobineau est sociologue des religions. Il s’est beaucoup intéressé au mouvement anti-mariage pour tous, et a travaillé dernièrement sur les veilleurs.
« Ces gens-là ont une conception manichéenne du monde. Et bien qu’ils disent qu’ils ne font pas de la politique, ils sont dans une posture morale profondément politique.
Il y a le bien et le mal, et le gouvernement, c’est le mal. Frigide Barjot a une vision plus complexe. Elle voit gris. Elle conçoit plus de complexité dans ce monde-là. »
Quand les premiers mariés ont été unis, elle les a félicités. On a pensé alors que c’était le comble de l’incohérence, elle dit que non :
« J’ose espérer que lorsque la loi est votée, elle s’applique. C’est pour cela que j’ai félicité les premier mariés. Ce sont des gens qui sont heureux de vivre ensemble, et je conteste le fait que ce soit [avec] un statut de mariage, qui devrait être réservé à l’homme et la femme, et non une union. C’est une union que j’applaudis. »
Olivier Bobineau parle de son parcours.
« Voilà une femme qui ne vient pas du monde politique. C’est une starlette qui s’est convertie. »
Pas enracinée dans les réseaux cathos
L’ancienne « starlette » est différente. Elle parle de cette famille dont elle ne fait pas partie, de son « non enracinement » dans les réseaux cathos.
« Ludovine [de la Rochère], elle a été dix ans attachée de presse de la conférence des évêques de France. Elle connait tout le monde, c’est un réseau, une famille une grande population. Ce n’est pas ma famille. »
Quand elle a voulu être présidente du mouvement, on le lui a refusé. Ludovine de la Rochère a fini par être élue à ce poste. A Barjot est revenue la présidence d’honneur. Elles formaient un binôme qui s’est détruit une fois la loi votée. Olivier Bobineau :
« Frigide Barjot a joué le rôle du bouffon : faire rire, prendre de la distance. Aujourd’hui, ça n’est plus d’actualité, on entre en guerre. »
De reine des médias, elle est devenue… autre chose. Celle qui propose de négocier. Son appartement est menacé de lui être retiré par une procédure judiciaire, elle doit lever des fonds pour son mouvement et elle a perdu une vraie rentrée d’argent avec cette « rupture » :
« Je faisais des notes d’honoraires à la Manif ou à des associations associées, je faisais “conseiller en communication”, “relations presse”. Ce que je ne pouvais pas facturer c’était ce que je représentais. »
« Aujourd’hui, je vends ma maison »
Elle assure, sincère, qu’elle va très bien et honnêtement, on se demande comment, puisque de son aveu :
« Aujourd’hui, je vends ma maison, ce qui me restait de mon héritage, je vends des trucs. J’ai que ça. On est dans la précarité, c’est très clair. »
Elle est lucide, sait que La Manif pour tous est devenue « une marque ». Je lui demande qui il lui reste à part ses proches, en terme de militants. Elle répond, sûre d’elle et paisible :
« Les Français. »
Elle est certaine qu’« ils » la suivront dans son combat sur la filiation, la procréation médicalement assistée (PMA), la gestation pour autrui (GPA) :
« Je suis en phase avec les Français, je ne suis dans une aucune catégorie. Continuons comme ça avec des gens de tous bords. »
Renée Greusard | Journaliste Rue89
(Photo : Audrey Cerdan)