Huit mois après le premier mariage gay célébré en France, en mai 2013, trois jeunes de la banlieue parisienne témoignent de la difficulté d’être homosexuel dans leurs cités, en décalage avec Paris.
Les Nike aux pieds et la ceinture G-Star en évidence, Hicham (tous les prénoms ont été modifiés) reconnaît être un cliché. Âgé de 22 ans, ce résident de Sevran (Seine-Saint-Denis, nord-est de Paris) a appris à se fondre dans la masse pour ne pas évoquer de soupçons quant à sa sexualité. A la cité des Beaudottes où il a grandi, ses voisins et connaissances ignorent la double vie qu’il mène. « Je me cache pour me protéger. Ici, l’homosexualité est difficilement acceptée », explique-t-il.
A Sevran comme à La Courneuve voisine (respectivement 50 000 et 39 000 habitants), aucun couple homosexuel ne s’est marié à ce jour. Un seul mariage gay (deux femmes) a été célébré à Clichy-sous-Bois qui compte 30 000 âmes. Dans le IIe arrondissement de Paris (23 000 habitants), trente-huit couples de même sexe se sont d’ores et déjà dit oui.
Adolescent, alors que ses copains collégiens vivaient leurs premiers flirts, Hicham s’était inventé des petites amies, un mensonge qui a duré jusqu’au lycée. « Quand j’ai eu 18 ans, j’ai osé me connecter sur un site de rencontres pour homosexuels et j’y ai cherché ceux qui, comme moi, vivent dans les cités. C’est comme ça qu’on procède pour faire des rencontres », confie-t-il.
A 20 ans, il se met à fréquenter les bars gays de la capitale. « Au début, je sortais dans le quartier des Halles, à portée du RER B. Je m’habillais classe pour plaire et séduire. Quand je rentrais au petit matin, je me changeais dans les toilettes de la gare afin de me fondre à nouveau, dans la foule des cités cette fois « , dit-il. Le vote de la loi sur le mariage pour tous, en avril 2013, le convainc presque de faire son coming-out auprès de ses parents : “J’y ai renoncé à la dernière minute. Je craignais qu’ils me mettent dehors”…
Zachary, 24 ans, vit à la cité des 4000 de La Courneuve. A 13 ans, il met des mots sur ce qui lui arrive en écoutant la chanson Comme ils disent de Charles Aznavour. Sa mère est arrivée du Sénégal en 1987, deux ans avant la naissance de son fils. Professeur de lettres à Dakar, elle devient auxiliaire de vie à Saint-Denis. Il estime avoir eu de la chance : « Ma mère est une femme instruite. Je lui ai rapidement avoué mon homosexualité. Cela n’a pas posé de problème »
Son calvaire débute au lycée. En seconde, il se confie à une camarade de classe qui éclate de rire et s’empresse de mettre un maximum d’élèves au courant. Les insultes pleuvent : Zachary devient « la pédale du bahut ». Les humiliations s’enchaînent : « Certains ne voulaient pas s’asseoir à côté de moi quand d’autres refusaient de me choisir dans leur équipe en cours d’éducation physique ». Rapidement, une idée l’obsède : partir. Il trouve dans les études le moyen d’y parvenir. Son diplôme d’ingénieur en poche, il décroche un contrat à Berlin, où il vit depuis janvier 2013, soulagé d’avoir quitté La Courneuve.
« L’homosexualité féminine est encore plus taboue que l’homosexualité masculine dans nos quartiers « , affirme Camélia, 24 ans. Cette habitante de la cité du Chêne-Pointu à Clichy-sous-Bois était allée avec sa copine, le 21 mai, Place de la Bastille à Paris pour fêter la promulgation de la loi sur le mariage pour tous et quatre années de militantisme acharné dans le milieu associatif gay.
Passée l’euphorie, la jeune femme rentre chez elle avec le Noctilien (bus de nuit) qui relie la Gare de l’Est à Clichy-sous-Bois (93). Sur le trajet, elle se fait draguer par des garçons. Elle aimerait leur crier qu’elle est homo pour qu’ils la laissent tranquille. Elle ne le fera pas car de l’autre côté du périphérique, la militante se mure systématiquement dans le silence. « Être lesbienne dans une cité, c’est être invisible. A l’école, Il n’y avait rien pour désigner une fille homo, pas même un mot péjoratif. J’avais l’impression d’être déshumanisée. Il n’y a rien de pire lorsque l’on se cherche encore », dit-elle.
Des longs débats qui ont précédé le vote du mariage gay, la jeune femme retient une intervention de Marie-George Buffet, députée communiste de Seine-Saint-Denis. Répondant à un de ses collègues UMP aux yeux duquel le mariage pour tous était surtout destinés aux « bobos », elle avait déclaré : « Cette loi est encore plus importante pour des homosexuels qui vivent dans des quartiers ou des zones où l’on leur conteste plus qu’ailleurs le droit à ce choix de vie ».
Camélia s’interroge: « A quand le mariage pour tous, et partout ? »
Hovig Cancioglu (Monde Académie)
Illustrations d’Hélène Goutany (Monde Académie)
http://mondeacsoc.blog.lemonde.fr/2014/01/31/a-lheure-du-mariage-gay-quelle-place-pour-lhomosexualite-dans-les-cites/