Un de nos fils âgé de 22 ans vient de nous annoncer, à mon mari et à moi, que depuis l’âge de 10 ans, il ressent une attirance homosexuelle, au point d’avoir en cachette consulté des sites porno pendant plusieurs années. Cherchant lui-même à se réfréner à plusieurs reprises jusqu’à renoncer, vers 17 ans, à avoir un ordinateur dans sa chambre pendant plusieurs mois « pour mieux travailler » pour l’école nous avait-il dit à l’époque.
Finalement, il nous a confié avoir passé à l’acte une fois, par l’intermédiaire d’un site de rencontres, et il est sorti profondément blessé par cette expérience nous a-t-il dit. Il en a parlé à un prêtre qui lui a simplement dit qu’il « rechuterait » probablement, ce qui l’a beaucoup angoissé. Du coup, il n’a pas osé aller voir un psychothérapeute par peur d’être encouragé dans cette tendance ou d’en sortir encore plus confus.
Puis, très amoureux d’une jeune fille, au bout de quelques mois il lui a confié cette expérience de vie par souci de vérité, alors qu’il ne ressentait plus cette tendance à ce moment-là, mais la fille a préféré mettre fin à leur relation, ce qui lui a causé un grand chagrin.
C’est alors que n’en pouvant plus, il nous a confiés avec grande douleur et confiance ce qui le tourmentait depuis des années. Nous sommes tombés de haut car nous n’avons pas imaginé une seule seconde les doutes et les souffrances qui l’ont assailli pendant des années à nos côtés, ayant par ailleurs des relations proches et chaleureuses avec lui – il est d’un naturel très ouvert et a plein d’ami(e)s.
Tout au plus avions nous remarqué que lorsqu’il était tout petit vers 3-5 ans il prénommait toujours ses peluches avec des prénoms de filles, vers 5-7ans, il manifestait une nette préférence pour les jeux de filles, ce que nous lui offrions de temps en temps pour ne pas entrer dans des « stéréotypes de genres » au milieu des jeux de garçons de ses frères avec lesquels il jouait aussi. Ayant un gout artistique assez prononcé, nous avions fait attention à lui faire partager des activités dites « artistiques » avec son papa, comme la peinture, et tout nous semblait alors être « rentré en ordre » naturellement…
Nous réfléchissons beaucoup sur ce qui a pu se passer, ce qui a pu bloquer dans son processus de croissance affective, ce que nous n’avons pas clarifié avec lui ou ce que nous aurions induit sans nous en rendre compte. Avec mon mari, nous formons un couple uni et fidèle, il ne nous semble pas avoir de problématique particulière sur le plan de la sexualité dont nous parlons librement avec nos enfants au fur et à mesure de leur âge et de leurs questions.
Notre fils nous a aussi confié cela dans l’espoir explicite que nous pourrions l’aider à « s’en sortir ». Quelles explications sont possibles ?
Quelles lectures pouvez-vous nous conseiller ? Quel thérapie ? Judith. »
>> La réponse de Jacques Arènes
Votre lettre campe une situation et pose de nombreuses questions. Ce bouleversement est compréhensible chez des parents qui font cette découverte de l’homosexualité, en tous cas de « tendances » homosexuelles chez un jeune. Ceux-ci se posent alors de nombreuses questions sur la manière dont tout cela est arrivé. Ce coming out de votre fils n’en est, en revanche, pas tout à fait un. Votre fils se pose des questions, et il vous les pose, ce qui vous prouve une vraie confiance. Il ne vous fait cependant pas valoir une orientation sexuelle complètement déterminée, mais il vous fait part d’attirances, de sentiments, d’attraits qui se sont effectivement traduits une fois dans la réalité. Dans la mesure où l’homosexualité se pose d’abord comme « question », cela incite le jeune à avoir des expériences affectives et/ou sexuelles pour tenter d’avoir une réponse. La fréquentation de sites pornos fait aussi partie d’une manière d’expérimenter, de « tester » ses sensations. Le fait que les personnes homosexuelles aient une initiation plus précoce (les enquêtes sur les comportements sexuels le montrent) tient peut-être à ce désir de « tester » pour comprendre.
Votre fils est en fait en plein travail intérieur d’évaluation de soi : les réactions de ses proches, les discussions que vous pouvez avoir avec lui l’aideront à réfléchir à ce qu’il vit. Ce « presque coming out » est évidemment troublant, pas seulement à cause d’une homophobie ambiante. Dans la mesure où je pense que l’homosexualité n’est pas une affaire de gènes, elle s’inscrit dans l’histoire de la personne, et les parents se demandent immanquablement pourquoi leur enfant est devenu homosexuel. Il vous faut tout d’abord ne pas céder – après les premiers temps angoissants – à une forme de panique. Une relation de confiance existe entre vous trois, et il s’agit de la conserver. Il faut laisser à votre fils le temps du cheminement. L’orientation sexuelle est une chose complexe, qui n’est pas toujours binaire. Les « tendances » ou les « questions » sur l’homosexualité sont courantes, notamment chez les garçons adolescents, en une période de la vie où l’identité est en mouvement. De plus en plus de jeunes, qui deviennent ou non ensuite homosexuels, s’interrogent, sur l’homosexualité. En notre époque, le processus normatif ne va plus de soi. L’hétérosexualité elle-même n’est plus considérée comme « naturelle ».
La question de l’homosexualité est donc complexe. Vous vous souvenez des jeux « de fille » qu’il aurait aimés, tout en soulignant, à juste titre, que vous n’avez pas cherché à l’enfermer dans des stéréotypes de genre. Le thème de ce qu’on appelle l’identité de genre – qu’est-ce que pour moi, être un homme ou être une femme ? – se recoupe pour partie avec celle de l’orientation sexuelle sans se recouvrir avec elle. Ce que les psychanalystes appellent le choix d’objet, avec sa dimension homosexuelle ou hétérosexuelle, est l’enjeu d’une construction composite, en combinaison avec l’identité de genre, mais aussi les identifications masculines ou féminines, et bien entendu le rapport que la personne entretient avec l’autre sexe, notamment à travers le conflit œdipien. Chaque trajectoire est originale : il est illusoire de chercher précisément un trauma, un dysfonctionnement, une souffrance facile à cerner.
Il vous faut surtout faire en sorte que le cheminement de votre fils ne soit pas trop envahi par l’angoisse : le jeune chrétien qui découvre ses tendances homosexuelles expérimente une cascade de questions, qui tient d’abord au sentiment d’exclusion des deux milieux (catholique et homosexuel pour faire vite). Des jeunes gens très investis dans leur foi sont parfois dans un secret total par rapport à leur entourage familial ou amical, même si leur homosexualité est complètement « sublimée ». C’est donc très heureux que votre fils se soit confié à vous. Ces jeunes sont tentés de forcer une vie qu’ils veulent « normale » (en se mariant par exemple). Votre fils a ainsi fait preuve de maturité en évoquant son questionnement à la jeune fille dont il était amoureux.
En attendant, il lui est nécessaire de cheminer, non pas seulement pour résoudre sa « question » sur l’homosexualité, mais pour entrer dans la vie d’adulte, trouver sa manière d’être un homme, faire ses choix professionnels et amoureux. Un psychothérapeute peut lui être très utile pour tout cela, afin de l’aider à créer son espace personnel de pensée et de décision. « S’en sortir », ce sera d’abord sortir de l’angoisse, pour vous comme pour lui. Que l’homosexualité soit une hypothèse qui se confirme pour lui est du domaine du possible : si c’est le cas, cela ne sera peut-être pas simple pour vous ni pour lui. Mais la vie d’une personne, et sa fécondité ne se résument pas à ce qui est parfois une « étiquette ».
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M. Jacques Arènes
La Vie
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