Le 21 juin dernier, à quelques jours seulement de la Gay Pride parisienne, le site du «Figaro» publiait un bref article sur la parution du premier roman lesbien par les éditions Harlequin, établissant un lien direct entre cette nouvelle et le débat houleux qui a agité la France ces derniers mois: la fameuse loi sur le mariage pour tous.
Le journaliste s’interrogeait sur les motivations qui ont poussé cet éditeur, grand manitou de la romance depuis 35 ans, à une telle décision. Les éditions Harlequin ont-elles pris un risque courageux, que l’on pourrait considérer comme engagé ? Ou s’agit-il d’un choix marketing cynique s’appuyant sur la vague arc-en-ciel qui déferle en France ? Auteur de ce roman et lesbienne moi-même, j’avais donc toutes les raisons de me pencher sur cette question.
En premier lieu, il m’apparaît important de revenir un peu sur cette fameuse vague, la «gay attitude» comme on dit. Si les réactions des lectrices habituelles de l’éditeur ont été dans l’ensemble tout à fait favorables à la publication d’une romance lesbienne, j’ai pu voir dans les commentaires des articles parus à ce sujet un autre son de cloche. «Faut-il vraiment voir des homosexuels partout ?», s’agacent certains lecteurs. Un peu comme si être gay et le revendiquer était en quelque sorte à la mode, et que les médias en tout genre en profitaient pour «bourrer le crâne» des hétérosexuels.
Or depuis quelques mois, j’ai pu assister, depuis l’autre côté de la Manche où je réside, à la folie qui semble s’être emparée de la France. Pas une semaine sans qu’un article ne relate une manifestation, un incident, un commentaire de tel politicien, politicienne, homme ou femme publique, dans le cadre de l’opposition à la loi sur le mariage gay. Dans les journaux français, c’est sans aucun doute le cas, mais pas seulement: les journaux britanniques rapportent également les frasques des militants de la Manif pour Tous et de ses sympathisants.
Les conséquences sont multiples. A mes yeux par exemple, la vague qui traverse la France en dépit du passage de cette loi (en force et dans la douleur) ressemble d’avantage à une déferlante anti-homosexuelle que pro. Nombre de mes amis en France, qui n’avaient jamais eu à faire face à une homophobie directe, ont pris comme un coup de poing à l’estomac la mobilisation qu’a engendrée le mouvement protestataire. Entre 150.000 et 1 million de personnes venant de toute la France pour marcher contre une loi, qui a pour but de donner le même droit aux gays qu’aux hétéros, c’est un véritable choc pour ceux qui pensaient que la France n’en était plus là. La Manif pour Tous a beau se définir comme «absolument pas homophobe», il est difficile de ne pas se sentir amer quand, semaine après semaine, des milliers de personnes défilent dans la rue pour vous interdire le droit au mariage.
D’autre part, j’ai pu constater qu’au sein de la communauté homosexuelle londonienne l’image de la France a souffert de cette période. Londres est une ville extrêmement ouverte et cosmopolite, où les nationalités ne se comptent plus. Et entendre une de mes amies, originaire du Zimbabwe, me demander : «Mais que se passe-t-il en France ? Ils sont devenus fous, je croyais que c’était le pays des droits de l’Homme ?». Ça aussi, c’est un choc. Les manifestations anti-mariage gay dans les rues de Paris ne sont pas passées inaperçues dans le quartier de Soho, et je pense que le regard sur notre pays en a été durablement changé.
Tout cela pour dire que surfer sur une vague arc-en-ciel dans ce climat, me paraîtrait personnellement un choix à double tranchant, puisque le moins qu’on puisse dire est que la France est divisée sur le sujet. D’ailleurs, en imaginant que le choix des éditions Harlequin s’appuie effectivement sur un tel calcul marketing, y aurait-il quelque chose à reprocher à cela ? Je n’ai vu nulle part Harlequin clamer qu’il s’agissait d’une prise de position engagée.
Quoiqu’il en soit, cette publication est pour moi avant tout le fruit d’une rencontre. Un concours a été organisé pour sélectionner de nouveaux auteurs. J’ai répondu à cet appel, et mon texte a fait partie des lauréats. Harlequin a choisi de donné sa chance à une romance qui ne répondait pas au cadre habituel de ses publications. Et j’ai décidé de tenter de faire publier mon texte par une maison d’édition qui n’était pas labellisée LGBT. Nous avons pris l’un comme l’autre un chemin un peu en dehors des sentiers battus, et c’est ainsi qu’est né «Nadya & Elena», et qu’a commencé pour moi une belle aventure.
Enfin, pourquoi s’interroger autant sur les motivations des éditions Harlequin ? Est-ce vraiment ce qui importe dans cette annonce ? Qu’elle soit due à un heureux hasard ou à l’atmosphère sociale du moment, l’ouverture d’une maison d’édition historique comme Harlequin à des romances à caractère lesbien est en soit une bonne nouvelle.
La représentation des homosexuel(le)s dans les médias, contrairement à ce qu’on peut lire dans certains commentaires irrités, est loin d’être une chose acquise. Chaque victoire est donc à savourer à sa juste valeur. Construire son identité n’est pas une chose aisée. Elle l’est encore moins lorsque vous faites partie d’une minorité. Voir des couples lesbiens à la télé, lire des romances lesbiennes, ne rendra aucune adolescente homosexuelle. Mais pour celles qui se savent, qui se sentent différentes, et qui s’interrogent en silence, c’est une aide précieuse. Comment se définir, comment mettre un mot sur ce que l’on ressent sans un minimum de modèles ? C’est, croyez-moi, extrêmement difficile.
De plus, cette représentation remplit un autre rôle, presque aussi important. Elle permet à ceux qui ne partagent pas cette orientation sexuelle d’avoir une chance de comprendre de quoi il s’agit. C’est l’inconnu qui bien souvent provoque la peur. En présentant la communauté homosexuelle dans un contexte commun, la différence s’estompe d’elle-même. Bien sûr, il y aura toujours des homophobes, mais pour ces personnes, beaucoup plus nombreuses je pense, pour qui il s’agit plutôt d’incompréhension, c’est une opportunité d’ouvrir la porte.
C’est en changeant le regard de cette partie de la population pour qui être gay n’est qu’un concept étranger, qu’on arrivera un jour, je l’espère, à vaincre l’homophobie. J’ai lu de nombreux commentaire sur mon roman relevant que, bien que ce soit une romance sans prince charmant, les vieilles recettes d’Harlequin semblaient rester les mêmes… Et c’est vrai ! Je le reconnais et le revendique même. Tout simplement parce qu’une romance lesbienne n’est qu’une histoire d’amour comme une autre, où les princesses embrassent des grenouilles et non des crapauds.
Sylvie Géroux