« Si le Prophète Muhammad était vivant, il marierait des homosexuels » déclarait Ludovic-Mohamed Zahed en marge du débat sur le mariage pour tous. La citation résume à elle seule le combat du premier imam français ouvertement homosexuel, lui-même marié religieusement.
Ludovic-Mohamed Zahed, 37 ans, fondateur de l’association HM2F (Homosexuels musulmans de France) qui se bat pour réconcilier islam et homosexualité, avait marié un couple d’Iraniennes, en 2014 en Suède, s’attirant au passage les foudres de salafistes en Algérie, sa terre natale. Il est également à l’initiative de la première mosquée inclusive de France (ouverte à tous), près de Paris, accueillant des croyants LGBT et des femmes non voilées.
Mais au-delà de son activisme progressiste pour le moins singulier, qui a fait les choux gras des médias, le jeune homme est capable, références historiques, anthropologiques et théologiques à l’appui, de démontrer la compatibilité de la religion du Prophète avec la pratique assumée de l’homosexualité. Il a d’ailleurs quitté le milieu associatif pour se consacrer plus pleinement à ses recherches.
À quelques semaines de la thèse qu’il soutient en avril à l’École des hautes études en sciences sociales, nous avons soumis quelques passages du Coran et de la Sunna qui nous semblent homophobes à l’expertise de cet empêcheur de penser en rond.
L’islam est-il homophobe ?
Rappelons pour commencer qu’en France, on brûlait vif les « sodomites » sur la place de l’Hôtel de ville jusqu’en 1750, tandis qu’au même moment, les califes de l’Empire ottoman s’affichaient régulièrement dans des relations homo-érotiques voire homosexuelles, ce qui n’a pas posé de problème pendant des siècles. Mais en ce qui concerne les institutions religieuses d’aujourd’hui, je dirais que l’on peut mieux faire. Le Conseil français du culte musulman (CFCM), ne représente que les plus dogmatiques parmi les croyants de France. Il n’existe pas de mouvement progressiste institutionnalisé. Il y a certes des associations, des individus, des intellectuels, mais le Consistoire pour les juifs, le CFCM, ou l’Église catholique, même s’ils ont évolué, prêchent encore un discours homophobe : ne pas punir le pécheur (en l’occurrence, l’individu attiré par une personne du même sexe), tout en continuant à condamner ce qu’ils présentent comme un péché (la pratique de l’homosexualité). Cela reste de l’homophobie. Les musulmans s’adaptent très bien au discours actuel de l’Église catholique, et perpétuent la peur de la sexualité humaine. Ce principe de « punir le péché, mais pas le pécheur » n’existait pas dans l’Empire ottoman, qui est pourtant considéré comme le dernier des califats islamiques.
Comment expliquer un tel revirement ?
L’écroulement de la civilisation arabo-musulmane – qui correspond au démantèlement de l’Empire ottoman et à la colonisation au XIXe siècle –, ont conduit à la montée des nationalismes et des islamismes. Ils traduisent tous deux une crise identitaire qu’on voit encore exploser régulièrement au sein des sociétés arabo-musulmanes, comme le montre l’exemple récent des Printemps arabes, marqués par des révolutions plus ou moins avortées, plus ou moins démocratiques. Rappelons à ce propos qu’en France, après avoir coupé la tête du roi, il nous a fallu cent ans pour trouver un système politique fiable. Ce que je veux dire, c’est que, plus qu’un problème de culture arabe ou d’islam, c’est un problème de politique fascisante et totalitaire : fascisante en ce sens qu’elle impose un faisceau identitaire unique, et totalitaire car appliquée dans la totalité de l’espace public et même dans l’espace privé. Tout cela s’accompagne d’un repli sur des valeurs très machistes, homophobes et misogynes, qui n’étaient pas majoritaires avant la fin de l’Empire ottoman.
Le Coran ne semble pas condamner l’attirance homosexuelle en tant que telle – le mot « homosexualité » n’y étant inscrit nulle part –, mais il condamne la « pratique des hommes de Loth », à savoir le peuple des cités de Sodome et Gomorrhe, qui s’étaient rendus coupables de sodomie.
Le mot « sodomie » n’y est jamais employé non plus. Le péché de Sodome n’était pas la sodomie, mais le viol rituel. L’historien antique Hérodote (484-420 avant notre ère) décrivait les pratiques – considérées comme barbares à son époque – des tribus de la plaine mésopotamienne. À Sodome et à Gomorrhe, pour être un fils ou une fille de bonne famille, il fallait faire don de sa virginité au temple, offrir sa semence quand on était un homme, sa virginité quand on était une femme. Cette représentation sadomasochiste de la sexualité est condamnée par le Coran et la Bible. Cela n’a rien à voir avec le fait que des personnes LGBT demandent à ce que leur mariage, éventuellement leur filiation, soit reconnus par la République.
Aujourd’hui, malgré cela, l’Arabie saoudite exporte dans le monde entier des exemplaires du Coran traduits dans tous les langues, avec entre parenthèses, suite à la citation de Sodome et Gomorrhe : « la cité des homosexuels ». Ils font donc exactement ce que le Coran interdit, c’est-à-dire travestir les mots du Coran.
La sourate 27 du Coran, verset 55, dit : « Vous allez aux hommes au lieu de femmes pour assouvir vos désirs? Vous êtes plutôt un peuple ignorant. »
Encore une fois, c’est une question de traduction. On rencontre le même problème avec la Bible : elle pourrait permettre de justifier l’esclavage ou le mariage avec des filles pré-pubères ! Il ne faut certainement pas lire les textes de manière littérale, même quand la traduction ne pose pas de problème, et toujours remettre dans le contexte social de l’époque. Il faut adopter une double distance : contextuelle et étymologique. Le terme utilisé ici par le Coran est shahwa : désir bestial, concupiscence, et c’est cela qui est interdit, ce qui fait clairement référence au viol rituel. Un autre verset du Coran précise : « Aucun peuple avant vous ne s’était donné à cette turpitude. » Dieu n’est pas stupide au point de croire que ce sont Sodome et Gomorrhe qui ont inventé l’homosexualité ! Certains musulmans affirment en vous regardant droit dans les yeux : « l’homosexualité n’existait pas avant que Sodome et Gomorrhe ne l’inventent. » Or elle existe chez plus de quatre cents espèces animales. Elle fait donc partie de la nature. Le Coran ne peut pas contredire cela, ou alors ce n’est pas un texte intéressant à prendre en compte.
Mais en tant qu’imam, je présume que vous ne reniez pas la sainteté du Coran ?
Il est saint justement parce qu’il nous apporte une vérité qui est contextualisable en permanence. Comme Dieu dit à Moïse : « Cette vérité n’est pas au ciel, cette vérité est parmi vous. » C’est à vous de vous l’approprier, de la sanctifier, mais aussi de la comprendre, de l’intégrer dans vos vies, donc de la faire évoluer.
La Sunna, à savoir l’ensemble des hadiths (paroles prêtées au Prophète), constitue la seconde source de l’islam après le Coran. Un de ces hadiths dit : « Celui que vous trouvez qui pratique l’acte du peuple de Loth, alors tuez celui qui pratique l’acte et celui sur qui il est pratiqué. »
Maintenant, vous savez que le peuple de Loth n’était pas homosexuel mais violeur, puisque les habitats de Sodome et Gomorrhe voulaient violer des jeunes gens. La femme de Loth a été tuée en même temps que la destruction des deux cités, parce qu’elle aussi avait des pratiques criminelles. Elle n’était pas une homosexuelle, puisqu’elle était mariée à Loth. Cela ne colle pas avec l’histoire.
Un autre hadith, rapporté par Ibn Abbas, un Compagnon du Prophète, laisse peu de place à l’interprétation : « Allah ne regarde pas un homme qui a un rapport avec un homme ou avec une femme par son derrière. »
Ce hadith évoque la sodomie entre couples hétérosexuels, ce qui est d’autant plus intéressant que cette forme de sexualité était rejetée par les gens à Médine, mais pratiquée par les gens de La Mecque du temps du Prophète. Un verset du Coran vient contredire clairement ce hadith, que le Prophète n’a probablement jamais prononcé : « Vos femmes sont comme des champs de labour, cultivez vos champs comme vous le voulez. » Selon certains exégètes de l’époque (les premiers à avoir interprété le Coran), ce verset serait en rapport avec cette pratique, laquelle, d’une tribu à l’autre, n’était pas vue de la même façon. Certains Arabes considéraient que, même au sein d’un couple hétérosexuel, elle n’était pas permise. Et donc le Coran s’est prononcé en affirmant qu’il n’y avait là rien de mauvais.
De plus, plusieurs hadiths rapportent comment le Prophète protégeait les mukhannathun, ces hommes efféminés devant lesquels les femmes ne se voilaient pas car ils n’avaient pas de désir pour le sexe opposé. Toujours selon les mêmes sources, Aïcha, l’épouse préférée du Prophète, rapporte après la mort de Muhammad que ce dernier accueillait chez lui ces mukhannathun, et qu’il interdisait qu’on les tue.
Les hadiths ont été rapportés par les sahaba, les compagnons du Prophète, soit les premiers à avoir adhéré à la religion nouvelle. Ils font autorité en islam. Peut-on douter de leur bonne foi sur la question de l’homosexualité ?
L’un des sahaba, Abu Hurayra, était lui-même mukhannathun. Pourtant, il a dénoncé un de ses semblables, en demandant son exécution. Mais le Prophète a refusé de le tuer car il priait comme tous les musulmans. Par ailleurs, sachant que l’islam ne prévoit pas de vie monacale, et que tout homme doit se marier, Abu Hurayra est venu auprès du Prophète en demandant : « Je ne peux me marier avec une femme. Que dois-je faire ? » Et le Prophète, très probablement conscient qu’Abu Hurayra refoulait son genre féminin, voire son homosexualité, lui a répondu : « Eh bien, ne te marie pas ». Abu Hurayra a rapporté près de sept mille hadiths, bien plus que n’importe quel autre Compagnon ou femme du Prophète. Cela voudrait dire qu’il en aurait rapporté deux par jours, pendant deux ans, ce qui est humainement impossible. Quand Aïcha, la femme du Prophète, lui demande : « Comment peux-tu rapporter autant de hadiths? », il lui répond : « Le Prophète a mis mon manteau par terre, a récité une incantation magique, et c’est pourquoi j’ai une bonne mémoire. » Aïcha a rétorqué : « Voilà pourquoi tu es un menteur. Le Prophète ne pratique ni magie, ni sorcellerie. » Malgré cela, les musulmans les plus dogmatiques passent leur temps à rapporter les hadiths d’un probable homosexuel refoulé à l’homophobie intériorisée ! Abu Hurayra n’acceptait ni son genre ni sa sexualité, mais il a fini par se marier et avoir des enfants, afin de bénéficier d’avantages politiques, et sans doute, pour essayer de « guérir » de son homosexualité…
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