Reportage : A l’ombre d’une abbaye, un village de l’Indre se déchire sur le mariage gay

« Nous faisons bien la distinction entre le temporel et le spirituel », assure le père Bernard Trémolet de Villers, moine bénédictin et conseiller municipal de Fontgombault (Indre), et à ce dernier titre l’un des votants d’une délibération invoquant « une loi naturelle » contre le mariage homosexuel.

Ces protestations de neutralité font bondir André Antigny, l’un des « indignés » du village de Fontgombault, qui vit depuis le XIe siècle dans l’ombre de son abbaye, joyau de l’art roman et haut-lieu de la messe en latin chantée en grégorien.

« Le village est sous l’influence des moines », tempête ce technicien aéronautique retraité âgé de 62 ans qui, six ans après une première tentative infructueuse en solitaire, tentera de nouveau de faire son entrée à la mairie en mars prochain.

Cette fois, dix autres « indignés », galvanisés par la délibération controversée contre le mariage homosexuel, devraient former avec lui une liste complète. Des hommes en robe de bure noire siègent au conseil municipal de cette commune de l’Indre « depuis toujours » selon le père Trémolet de Villers. Pour le religieux, « c’est une tradition », justifiée par le rôle historique de l’abbaye et le poids des moines dans la population… et l’électorat.

Entre 67 et 74 religieux figurent parmi les 258 électeurs inscrits. « Les moines ont été les premiers ici », relève l’épicier du village, peu désireux d’entrer dans la polémique. Une primauté qui n’est contestée par personne, pas même par les « indignés ». « On ne se bat pas contre les moines, mais la mairie c’est la maison du peuple: on doit laisser ses convictions à la porte lorsqu’on est élu », commente Frédérique Prudhomme, l’une des opposantes, dont le « Garage des Falaisières » occupe une position stratégique, face à la mairie à conquérir.

Plus que l’abbaye et ses habitants, c’est le maire de Fontgombault, Jacques Tissier, premier magistrat depuis 1977, et réélu depuis dès le 1er tour, qui focalise les critiques des tenants de la laïcité.

Jacques Tissier affiche sans détour ses convictions: lors de la cérémonie des vœux du maire en 2010, il avait demandé à l’assistance de réciter avec lui un « Je vous salue Marie » et un « Notre Père » pour les victimes du séisme en Haïti. Interloqués ou pris au dépourvu, ses administrés s’étaient exécutés, mais un beau tollé avait suivi ce mélange des genres.

« Le Vatican de la France »

En 2012, Tissier avait proclamé urbi et orbi que, pour lui, il était « hors de question de marier des pédés »… Une virile détermination entérinée officiellement le 24 octobre par une délibération du conseil municipal annonçant qu’il démissionnerait en bloc si un couple homosexuel voulait s’unir à Fontgombault. Le texte, qui a mis le feu aux poudres, invoquait « une loi naturelle, supérieure aux lois humaines ».

« Les moines sont là depuis 1091. La commune, elle est comme ça… Quand on n’est pas d’accord avec ça, on ne vient pas habiter ici. Quand on habite Fontgombault, on sait à quoi s’en tenir », déclare le maire à l’AFP.

« Pour le maire, Fontgombault c’est le Vatican de la France ! », s’insurge Mme Prudhomme, en assurant que l’épicerie du village, sur injonction de M. Tissier, ne propose plus de DVD jugés trop lestes. Interrogé par l’AFP sur le concept de « loi naturelle », le père Trémolet de Villers, avec une onction toute monastique, juge que celle-ci « est quelque chose sur laquelle tout le monde, toutes les religions, peuvent se retrouver ».

Une opinion sur laquelle devront trancher le tribunal administratif de Limoges, saisi par le préfet de l’Indre d’une requête en annulation de la délibération, et les juges de Châteauroux, qui ont reçu des plaintes pour discrimination de deux « indignés ». D’ici là, les électeurs de Fontgombault se seront prononcés… Mais même si les « indignés de Fontgombault » obtiennent en justice la radiation de la liste électorale d’une dizaine de moines domiciliés à l’abbaye et qui résideraient en fait dans le nord de la France, « ce sera dur. C’est presque impossible: il faut 130 voix pour faire entrer un élu d’opposition au conseil municipal », soupire M. Antigny, pas découragé pour autant.

AFP