Cette Chinoise d’une trentaine d’années a « un secret » : elle porte des pantalons, se présente comme un homme au bureau et son fils l’appelle « papa ». Née homme, elle a subi une opération pour changer de sexe mais préfère rester discrète dans une société où les transsexuels restent largement discriminés.
Très jeune, Pipi (son nom a été changé à sa demande) se considérait comme une fille malgré son corps de garçon. Une identification qui l’a plongée dans une grave dépression après la naissance de son fils.
« Je voulais me tuer. Puis j’ai finalement décidé: quitte à mourir, je préférais encore que ce soit sur une table d’opération chirurgicale » en tentant de changer de sexe, a-t-elle expliqué à l’AFP.
Depuis cette opération, elle dissimule pourtant soigneusement sa nouvelle identité sexuelle quant elle apparaît en public, continuant de revêtir des tenues masculines et coiffée d’une queue de cheval asexuée.
Interrogée, elle demande que ne soient pas divulguées des informations trop précises sur son environnement professionnel: « Ce serait très facile de me retrouver, je perdrai mon boulot », s’inquiète-t-elle.
L’ONG américaine Asia Catalyst estime à environ 4 millions le nombre de personnes transsexuelles ou transgenres en Chine, et celles-ci sont victimes de discriminations tenaces, nourries par une large méconnaissance de ce sujet dans la société.
Les opérations chirurgicales de réattribution sexuelle sont certes légales.
Mais si les personnages sexuellement ambigus et les épisodes de travestissement abondent dans la littérature chinoise comme sur les scènes d’opéra, la pression sociale moderne est intense et le risque d’être rejeté par sa famille reste important, tout comme l’incitation à se marier pour avoir des enfants.
– ‘Être courageux’ –
« J’ai épousé ma femme alors que j’avais encore un corps d’homme, je pensais que je pouvais vivre avec elle sans pour autant me transformer physiquement », raconte Pipi.
La pression sociale pour se marier était telle qu’elle et son épouse ont décidé de s’unir « même si (leurs) personnalités ne s’accordaient pas », poursuit Pipi. « Mon épouse vient d’une petite ville. Elle s’est accommodée du fait que je m’identifie à une femme », dit-elle.
Pipi refusait farouchement d’avoir des enfants mais a fini par céder aux injonctions de ses parents. Et ensuite le couple ne s’est pas séparé, « pour le bien de (leur) fils ».
« Je dis aujourd’hui à mon garçon de neuf ans: +Papa a un petit secret, en fait papa n’est pas un homme !+ », raconte Pipi. « Il n’est pas encore assez âgé pour que cela le dérange ».
Désormais, Pipi tente d’aider d’autres Chinois confrontés aux mêmes difficultés. Depuis son domicile de Jinzhou (nord-est de la Chine), elle anime un réseau sur internet destiné à connecter les personnes transgenres entre elles et à les mettre en relation avec des médecins, des psychiatres, ainsi que des avocats susceptibles de les aider dans des procédures de divorce.
« A mesure que j’essayais de surmonter les problèmes dans ma vie, je me suis construit progressivement un environnement protecteur autour de moi », expliquait Pipi, lors d’un récent évènement du LGBT Center de Pékin.
Pour une opération chirurgicale, « il faut trouver assez de courage pour en parler à d’autres personnes. Si un médecin ne vous comprend pas, parlez-en à un autre. Vous finirez par trouver quelqu’un », soulignait-elle.
– Une aide inattendue –
La question des transgenres, bien que largement taboue, a fait l’objet fin 2014 d’un coup de projecteur inattendu en Chine et de débats animés sur les réseaux sociaux, suite à une confidence de Li Yinhe, la sexologue la plus renommée du pays.
Dans un long message sur son blog, Mme Li a révélé que son conjoint, avec qui elle vit depuis 17 ans et qu’elle considère comme son « mari », était une personne transgenre, née femme mais s’identifiant comme homme.
Désireuse de dissiper des malentendus, Li Yinhe a insisté sur le fait qu’elle-même se sentait totalement « hétérosexuelle ».
Un magazine national s’est alors intéressé au couple, et même le très officiel Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, s’est fendu d’un microblog appelant à « respecter les choix de gens comme Li Yinhe ».
Autre figure emblématique, le danseur transsexuel Jin Xing – né homme, devenu femme – qui apparaît avec succès dans de nombreuses émissions télévisées grand public.
Mais ces exemples, de l’avis général, sont l’arbre qui cache la forêt: de nombreux médecins et psychiatres chinois, insuffisamment formés à la question, ignorent comment aborder les personnes transgenres, indique à l’AFP Xin Ying, directrice du LGBT Center.
Ceux qui changent leur apparence physique rencontrent des difficultés pour obtenir un emploi, recevoir des soins ou même embarquer à bord d’un train, explique-t-elle. Car changer le genre figurant sur leurs papiers d’identité est presque mission impossible, faute de procédure légale établie.
De son côté, Fang Yuran, née fille mais se considérant de sexe masculin, a préféré faire son coming out auprès de sa famille… mais comme lesbienne. « Si je confie la vérité à mes parents, ils penseront que je suis malade », soupire-t-elle.
AFP