Reportage : Les gays de Singapour sous la menace d’une loi archaïque

A mesure que la très rigoureuse Singapour se transforme en capitale régionale de la nuit, les homosexuels se font de plus en plus accepter. Mais ils vivent encore sous la menace d’une loi répressive issue de l’ère coloniale, véritable épée de Damoclès.

La cour du bar à la lumière tamisée déborde de clients habillés au dernier cri, la plupart des hommes. Certains sont plongés dans des conversations, d’autres se déhanchent au son de la musique dansante, tandis que deux écrans plats géants diffusent des images de jeunes hommes torse nu au corps sculpté.

Bienvenue à Tanjong Pagar, le quartier gay de Singapour.

Contrairement à une opinion largement répandue, selon laquelle la cité-Etat serait aussi conservatrice qu’ennuyeuse, Singapour peut aujourd’hui se targuer d’être la capitale de la nuit d’Asie du Sud-Est, illuminée par ses nombreux bars, ses multiples boîtes et soirée branchées où la communauté gay trouve dorénavant sa place.

L’an dernier, le festival « Pink Dot » (« Le point rose »), défendant la liberté sexuelle, a rassemblé 15.000 personnes, soit six fois plus que lors de la première édition en 2009.

Mais, tandis que les mentalités évoluent, une loi que les gays estiment « archaïque », adoptée au XIXe siècle alors que Singapour était encore une colonie britannique, condamne toujours d’un maximum de deux ans de prison toute relation sexuelle entre hommes.

La loi n’est plus appliquée depuis longtemps mais elle représente une menace latente sous laquelle les homosexuels ne veulent plus vivre.

« Beaucoup ont peur d’appeler la police, quand ils sont victimes de vol, de violences ou de viol, car ils pourraient se retrouver poursuivis », souligne Gary Lim qui, avec son partenaire Kenneth Chee, ont lancé une procédure judiciaire contestant la constitutionnalité de la loi.

La Haute cour a rejeté la plainte du couple, estimant que l’abrogation de la loi dépendait du Parlement. Mais MM. Lim et Chee ont décidé de se pourvoir devant la Cour d’Appel, qui doit se prononcer en dernier ressort.

Une deuxième procédure judiciaire distincte est également en cours de traitement à la Haute cour.

La contestation grandissante a suscité une levée de boucliers au sein de l’Eglise.

« La famille est formée d’un père, d’une mère et d’enfants », avait estimé en janvier le pasteur Lawrence Khong, de l’Eglise baptiste de Singapour, qualifiant les recours de « menace imminente à ce socle de notre société ».

Les autorités assurent que la loi n’est plus appliquée et que les homosexuels n’ont rien à craindre. Mais elles estiment que la « Section 377A », comme elle est appelée, doit subsister, les Singapouriens n’étant pas encore prêts à son abrogation, selon le gouvernement.

« Le gouvernement considère probablement que le maintien de la 377A, sans l’appliquer, est un compromis politique, offrant une concession aux deux lobbies », explique Michael Hor, professeur de criminologie à l’Université nationale de Singapour (NUS).

Mais la communauté homosexuelle ne se satisfait pas de ce qu’elle considère comme une demi-measure.

La Section 377 A « ne criminalise pas les homosexuels mais justifie un large éventail de comportements abusifs tout en institutionnalisant la discrimination », estime Jean Chong, co-fondatrice de l’organisation de défense des lesbiennes Sayoni.

« Cela envoie le faux message selon lequel Singapour est rétrograde ».