Le 25 avril dernier, Mgr Barbarin réunissait les prêtres du Rhône à Ecully pour évoquer les « affaires » en cours. Dans l’assistance, l’un d’eux, qui a souhaité rester anonyme, s’est levé et a lu une lettre dans laquelle il explique avoir été victime d’un prêtre et d’un ancien séminariste voilà 40 ans… Et d’opposer la volonté d’ouverture des papes Benoît XVI, puis François, à l’argumentation d’un Monseigneur Barbarin qui selon lui n’est pas avec les victimes, et qui lâche au détour d’une interview « la majorité des faits, grâce à dieu, sont prescrits ».
« Chers frères,
J’ai été victime, il y a une quarantaine d’années, de deux pédocriminels, un prêtre et un ancien séminariste alors marié et père de famille. Je ne cherche pas votre compassion ; pour sortir de ces drames, il importe de sortir de la définition de soi (par soi ou par les autres) comme victime. J’espère juste parler en connaissance de cause. Il faut aux victimes des années pour prendre conscience des conséquences dévastatrices de tels agissements qui peuvent, c’est le comble, conduire à la reproduction.
Lorsque j’ai pris conscience du mal, comment cela m’avait pourri la vie notamment dans la relation avec les autres, il était trop tard pour porter plainte, pas assez pour penser au suicide. J’ai prévenu l’évêque du prêtre en question qui a été convoqué et a reconnu les faits. J’ai aussi contacté les deux agresseurs qui ont fait un chèque. Cela valait reconnaissance du dommage et m’a aidé à payer la psychanalyse. Le Cardinal Billé m’avait reçu et écouté.
On pourra penser que notre évêque est victime d’une campagne injuste voire revancharde. L’affaire Preynat est sortie dans la presse parce que les victimes ne s’estimaient pas entendues. Mais la médiatisation, à laquelle l’évêque a lui-même participé jusqu’à récemment, est d’abord la conséquence de son manque d’écoute et une tentative pour le forcer à sortir de son immobilisme et de sa logique défensive. Or si l’on se défend, on ne peut écouter. Que nos éventuelles réserves quant à la presse ne nous détournent pas de l’écoute.
Ne nous trompons pas, le mal vient aussi de chez nous. Je cite Benoît XVI (11 mai 2010) : « Les attaques contre le Pape et contre l’Église ne viennent pas seulement de l’extérieur, mais les souffrances de l’Église viennent proprement de l’intérieur de l’Église, du péché qui existe dans l’Église. […] La plus grande persécution de l’Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais naît du péché de l’Église […] ; l’Église a un besoin profond […] d’apprendre d’une part le pardon, mais aussi la nécessité de la justice. Le pardon ne remplace pas la justice. »
La demande de pardon de l’évêque lors de la messe chrismale emprunte les mots de François. Mais elle se termine par un ajout qui le disculpe au moment même où il demande pardon : « quand bien même je n’étais pas évêque au moment de ces faits abominables ». Le Pape n’avait pas eu besoin de minorer sa responsabilité. On ne plaide pas les circonstances atténuantes au moment même où l’on demande pardon.
Même reçu comme parole malheureuse, le fameux « la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits », révèle, malgré toutes les dénégations, que notre évêque ne pense pas avec les victimes. Seul l’agresseur se réjouit de la prescription.
L’écoute est autre chose que les mesures qui doivent être mises en place pour lutter contre la pédocriminalité, à tel point que, sans l’écoute, ces mesures risquent de paraître comme autant de gesticulations. C’est pourquoi l’Eglise n’en aura jamais assez fait. Notre Eglise doit d’abord écouter l’horreur, s’arrêter, désarmée, au côté des victimes. C’est difficile, parce que devant l’horreur on se protège et, si l’on se protège, on n’écoute pas. L’écoute doit témoigner d’une bonté inconditionnelle qui déborde le gouffre de souffrance. Seule la bonté permet à ceux qui ont été handicapés une rééducation dans leur capacité à aimer. Les chrétiens se doivent de manifester cette bonté.
Il semble que l’évêque ne reçoive que difficilement les victimes. Cela donne l’impression qu’il s’en méfie. Mais l’écoute ne se délègue pas. L’embauche d’un cabinet conseil en communication est aussi désastreuse qu’inutile, comme on l’a vu. Elle manifeste en effet et encore qu’il s’agit de se défendre. Les avocats suffisent à cela. Je préconise que l’évêque s’en sépare.
Que penser de l’épisode qui réunit Régine Maire, Bernard Preynat et une victime ? Nous atteignons un sommet dans la violence et la manipulation, digne du pervers lui-même ou d’une secte : obliger la victime à tenir la main de son agresseur et à pardonner (comme nous pardonnons aussi), tout cela sacralisé par des prières. C’est un second viol qui dénonce soit le cynisme de ceux qui ont pensé le dispositif soit leur incompétence criminelle. L’évêque pouvait-il l’ignorer ? Espérait-il qu’ensuite les victimes, guéries, se tairaient ?
Nous ne pouvons pas faire le dos rond ni user de la langue de bois : « on laisse travailler la justice, pas de commentaires ». Notre loyauté même vis-à-vis de l’évêque passe par une prise de parole qui lui dise clairement qu’il fait fausse route. Le travail de la justice sera long, surtout s’il y a appel, peut-être plusieurs années. Les victimes ne peuvent attendre l’issue de la procédure pour que nous prenions position. »