Anaïs n’est plus, vive Adrien. Ce jeune vient de subir plusieurs opérations pour oublier qu’il est né fille. Il a saisi une avocate du barreau de Rouen pour accélérer ses démarches
Adrien aimerait oublier Anaïs mais, malgré toute la testostérone qu’il a déjà prise, les opérations qu’il a subies et les démarches qu’il a eues à entreprendre, seul, cette femme qu’il n’est plus se rappelle toujours à son (mauvais) souvenir : « Quelle que soit la situation, quel que soit le coup de fil que j’aie à passer, par exemple à mon opérateur de téléphonie, je me retrouve obligé de justifier de mon identité… et donc de mon sexe ». Son apparence, sa voix : Anaïs est encore là, cachée mais là.
Le prénom, l’état civil : l’urgence
Au cabinet de l’avocate au barreau de Rouen, Me Céline Gibard, que le jeune homme a saisie début novembre 2013 pour changer définitivement de prénom et la mention « sexe » sur ses papiers d’identité, Adrien livre des bouts de sa vie. En vrac et en résumé.
Mais d’abord, le conseil explique pour lui : « J’ai lancé deux requêtes en urgence car mon client se retrouve contraint, au quotidien, de justifier de son intimité, des interventions chirurgicales et de l’intérêt légitime qu’il a eu à vouloir les subir puisque, sur le plan médical, la transsexualité est reconnue comme étant un syndrome ». C’est le « syndrome de Benjamin ».
Et pour l’établir, ce syndrome, il lui en a fallu, des allers-retours à Paris… Du temps, de l’argent, et des questions, auxquelles il a dû, en solitaire, trouver les réponses. Son avocate : « Je ne comprends pas que, dans un département aussi grand que la Seine-Maritime, il n’existe aucun accompagnement pour ces personnes, aucun endroit où effectuer toutes les démarches ».
Pas simplement homosexuel : « Je voulais changer de sexe »
Derrière ses lunettes, le jeune homme aux cheveux coupés courts et arborant une barbe de plusieurs jours ne se défile pas. D’emblée et sans que qui que ce soit ne le lui demande, comme par automatisme, mais fier, il soulève son tee-shirt pour dévoiler sa virile poitrine : son « rêve est devenu réalité ». « Ablation des glandes mammaires, des ovaires, de l’utérus. Hystérictomie totale. » Pour en arriver là – « et je me sens quelqu’un d’autre depuis » -, quel combat.
D’abord, vis-à-vis des parents. Cet enfant unique, ayant toujours vécu à la campagne, confronte rapidement sa mère à sa vérité, si évidente qu’elle ne nécessite aucune explication. Pas de détail, pas plus de formule. Il raconte simplement : « Elle m’a dit que ce n’était pas un problème, si j’étais homosexuel. Je lui ai répondu que je n’étais pas simplement homosexuel, que je voulais changer de sexe. Elle pleurait tout le temps. Dans tout ce que nous faisons, nous commettons des erreurs. J’en suis peut-être une mais, plus le temps passera, et plus il y en aura, des gens comme moi. Le tout est d’en parler. » Et de surmonter…
« Les gens comme vous se suicident »
Enfant, j’étais pour ainsi dire un garçon manqué. À la puberté, lorsque mes seins ont poussé, j’achetais des bandes et des tee-shirts compressifs, quitte à suer, l’été. J’ai commencé à voir des spécialistes dès l’âge de 16 ans, pour avoir mon autorisation hormonale et pouvoir modifier le dessin de mes muscles, ma libido, avoir des poils, changer ma voix… D’après ce que je lisais sur internet et de ce que j’entendais par le bouche-à-oreille, il fallait que je me rende à Paris, ville la plus proche de Normandie où les médecins sont agréés et les opérations, remboursées. Il m’a fallu avoir un suivi de deux ans avec un psychiatre. Mais avant de rencontrer le mien, alors que j’avais 17 ans, un praticien m’a dit cette phrase que je n’oublierai jamais : “Les gens comme vous se suicident”. »
Adrien se blinde. C’est qu’il a déjà arrêté l’école pour suivre, à l’âge de 15 ans, un CAP de poseur – canalisateur et travailler dans l’entreprise de son père, avant de passer ses permis de conduire des engins de travaux. Il travaille dans le bâtiment. En intérim. « Au début, je n’expliquais pas mon cas. J’étais simplement “la fille garçon manqué”. Et ça ne se passait pas trop mal : j’allais au travail et j’étais content. Aujourd’hui, les boîtes d’intérim savent, on comprend ma situation. On dit à mes patrons que j’ai subi une opération et la discussion s’arrête là. »
La question en débat, au Sénat
Du boulot, tout ça. Du caractère, beaucoup. Et du flegme, pour garder son sang froid. Le jeune homme est arrivé presqu’au bout de ses rêves. Mais sans un changement d’état civil, rapide, il restera dans cette drôle de transition « où à force, on se demande de nouveau et en permanence qui on est ». Anaïs est devenue Adrien, c’est irréversible désormais. Le transsexuel attend maintenant de pouvoir laisser chez lui le certificat qui le prouve, pour tendre sans rougir ou avoir à se justifier, sa carte d’identité.
Un groupe de travail est actuellement en train de plancher sur l’identité de genre, au Sénat, pour faciliter les démarches. Et, ce, face à « un casse-tête juridique » venant d’être suscité par un transsexuel allemand https://www.stophomophobie.com//retour-sur-info-le-casse-tete-juridique-suscite-par-un-transexuel-allemand-qui-a-donne-naissance-a-un-enfant/, qui a donné naissance à un enfant.
http://www.76actu.fr/portrait-le-parcours-du-combattant-dadrien-24-ans-transsexuel_61748/