#Russie : Qui boycottera les Jeux de #Sotchi ?

L’organisation américaine de défense des droits des homosexuels All Out a organisé des manifestations ce mercredi, dans le monde entier dont trois en France.

«L’objectif, c’est de pousser les sponsors à sortir de leur silence, explique Guillaume Bonnet, de l’antenne française d’All Out. On dénonce leur double discours : d’un côté, les sponsors comme McDo disent défendre l’égalité dans leurs publicités, du style « venez comme vous êtes », et de l’autre, ils refusent de s’exprimer clairement contre ces lois anti-gays. C’est pourtant maintenant qu’on a le plus besoin d’eux, car ils ont un vrai poids économique en Russie, d’autant que Poutine veut attirer les entreprises étrangères.»

Les personnalités politiques et publiques sont aussi concernées. Si, en France, les chefs d’Etat ont peu l’habitude d’assister aux jeux olympiques, préférant s’y faire représenter par un ministre, la question du boycott reste chargée symboliquement. Alors, boycottera, boycottera pas, feintera ? Tour d’horizon des prises de position, à quelques jours du lancement des Jeux.
Les responsables politiques, entre réserve et pieds de nez

Il y a ceux qui iront, diplomatie oblige.

Ainsi le roi des Pays-Bas Willem-Alexander et son Premier ministre Mark Rutte, qui a estimé : «Nous ne sommes pas favorables à un boycott, nous pensons qu’il est préférable de chercher le dialogue». Même position chez le président de la Confédération helvétique, Ueli Maurer. Egalement ministre des Sports, le Suisse a déclaré au journal SonntagsBlick : «Il ne faut pas politiser le sport», ajoutant que la Russie pouvait être critiquée à l’ONU mais pas dans le sport car ce «serait mesquin». Quant au président de la Lettonie, Andris Berzins, il a estimé que les appels au boycott relevaient d’une mentalité de «Guerre froide».

Il y a celles, peu nombreuses, qui assument frontalement leur absence. Telle la vice-présidente de la Commission européenne Viviane Reding, qui a tweeté en décembre : «Je n’irai sûrement pas à Sotchi tant que les minorités seront traitées comme elles le sont sous l’actuelle législation russe». La présidente de la Lituanie, Dalia Grybauskaité, assume, elle aussi – son boycott n’est pas exclusivement lié aux lois homophobes. «Quand je vois les violations des droits de l’Homme, le comportement (de la Russie) envers ses partenaires de l’Est, les sanctions économiques, y compris contre la Lituanie, je ne vois aucune possibilité politique d’assister aux Jeux de Sotchi», a-t-elle dit à des médias lituaniens à Bruxelles.

Il y a ceux qui bouderont Sotchi, mais jurent leurs grands dieux qu’il ne s’agit pas de boycott. Ainsi François Hollande n’assistera pas aux jeux. Cependant, comme le rappelle le Journal du Dimanche, le dernier président français à s’être rendu à des Jeux d’hiver était François Mitterrand, en 1992. Il en va de même pour le Premier ministre anglais David Cameron, qui a évoqué «des problèmes d’emploi du temps». Outre-Rhin, la chancelière Angela Merkel est restée évasive sur les raisons de son absence : «Je suis chancelière depuis huit ans maintenant, et pas une seule fois je ne suis allée à quelques Jeux Olympiques que ce soit», a-t-elle dit en décembre. Quant au président Joachim Gauck, qui ne s’est jamais rendu en Russie depuis sa prise de fonction en 2012, il a annoncé qu’il n’irait pas à Sotchi, assurant qu’il ne s’agissait pas d’une décision politique.

Il y a aussi ceux qui n’iront pas, et qui font un pied de nez à Vladimir Poutine, en envoyant à leur place des personnalités ouvertement gays. Barack Obama a ainsi convié deux athlètes lesbiennes, la hockeyeuse Caitlin Cahow et l’ancienne championne de tennis Billie Jean King, à faire partie de la délégation américaine, qui ne comportera, en outre, aucune personnalité politique majeure.

Enfin, il y a ceux qui iront, non sans faire un clin d’œil aux militants LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transexuels). C’est le cas du ministre norvégien Bent Hoie, marié à un homme. Assurant qu’il viendrait à Sotchi pour soutenir les athlètes pendant les épreuves paralympiques, il a ajouté : «cela étant dit, je pense que, pour la plupart des gens, ce qu’un ministre homosexuel marié pense de la situation des LGBT et de leurs familles est une évidence».

Les personnalités médiatiques, les plus engagées

Les appels au boycott d’organisations telles qu’Amnesty International ou de groupes politiques comme les Pussy Riot étaient attendus. Ce qui l’était moins, c’est la lettre que 27 lauréats du Prix Nobel ont adressée à Vladimir Poutine. «Cette lettre est destinée à montrer la solidarité de nombreux membres éminents de la communauté scientifique mondiale avec les personnalités politiques, les artistes, les sportifs et les autres qui ont déjà exprimé leur horreur face aux actions du gouvernement russe contre ses citoyens homosexuels», écrivent les signataires.

Rédigée par le Britannique Harold Kroto, Nobel de chimie 1996, et son ami de longue date Ian McKellen, acteur britannique connu pour son engagement en faveur des droits des homosexuels, la lettre a été signée en majorité par des Prix Nobel de physique, chimie et médecine. Des écrivains comme J.M. Coetzee et Herta Muller s’y sont associés.

Autre appel au boycott, celui du comédien britannique Stephen Fry. «Un boycott absolu des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi en 2014 est tout simplement essentiel. Organisez-les dans l’Utah, à Lillehammer [Norvège, ndlr], où vous voulez. Mais, à aucun prix, Vladimir Poutine ne peut être vu comme recevant l’approbation du monde civilisé», a-t-il estimé dans une lettre ouverte au Comité olympique et à David Cameron.

D’autre part, plusieurs popstars, telles que Madonna, Lady Gaga ou Elton John, ont profité de concerts donnés à Moscou pour affirmer leur opposition aux lois homophobes russes, sans aller jusqu’à se prononcer sur un éventuel boycott des Jeux d’hiver. Au contraire, l’opposant russe récemment libéré de prison Mikhaïl Khodorkovski a déclaré être opposé au boycott.
Les athlètes, interdits de parole

Leur situation est délicate. Le Comité international olympique (CIO) a rappelé que toute forme de publicité ou de propagande politique leur était interdite, sous peine d’être disqualifié. Ce sont donc les anciens sportifs qui s’expriment. La championne de tennis américaine Martina Navratilova, lesbienne militante, a d’ailleurs critiqué le CIO pour sa passivité face aux lois homophobes russes. Elle estime qu’il a adopté «la politique de l’autruche».

Par ailleurs, 15 athlètes nord-américains et européens ont écrit au nouveau président du CIO Thomas Bach, lui demandant de prendre position et estimant que la loi russe «violait clairement» la charte olympique, qui interdit «toute forme de discrimination». Ils n’ont manifestement pas été entendus.

Les entreprises, peu nombreuses à protester

Ce sont elles que l’organisation All Out vise. Une dizaine des manifestations de ce mercredi aura d’ailleurs lieu devant des enseignes McDonald’s, notamment à Paris. Guillaume Bonnet estime que «si les sponsors dénoncent aujourd’hui clairement les lois anti-gays, cela impactera les prochains JO, rendant impossible leur organisation dans des pays ayant des législations homophobes».

Pour l’heure, très peu d’entreprises ont pris position. Mardi, le géant des télécommunications AT&T est sorti du bois. S’il ne fait pas partie des sponsors des jeux de Sotchi, il a longtemps parrainé le comité olympique américain. «Nous nous opposons aux lois anti-LGBT en Russie, a écrit sur son site AT&T. La loi russe est nocive pour les personnes et les familles LGBT, et nuit à une société de la diversité». Le groupe a exprimé son «espoir que d’autres (entreprises) impliquées dans les jeux olympiques feront la même chose».

Kim HULLOT-GUIOT
avec AFP et Liberation.fr