Mame-Diarra Niang ne manque pas de courage. Invitée d’une exposition off de Dak’Art, la Biennale d’art contemporain de Dakar organisée jusqu’au 8 juin, l’artiste sénégalaise s’est inspirée d’un fait divers : l’exhumation, en 2009, d’un jeune Sénégalais présumé homosexuel. Faute de pouvoir l’enterrer dans un cimetière, ses parents se sont résolus à l’inhumer chez eux.
L’HOMOSEXUALITÉ EST PASSIBLE DE PRISON
Pour redonner au défunt une dernière demeure symbolique, Mame-Diarra Niang a creusé une tombe dans le jardin de l’ancienne galeriste Aïssa Dione. Bien qu’issue d’une famille musulmane très religieuse, l’artiste ne veut plus se cacher. Le risque qu’elle encourt n’est pas bénin. Au Sénégal, comme dans bien d’autres pays africains, l’homosexualité est passible de prison.
Originaire de Zambie, Milumbe Haimbe aborde aussi cette question dans The Revolutionist, présenté dans l’exposition internationale de la Biennale. Prenant le contre-pied des BD où les super-héros sont des mâles blancs, elle a imaginé une super-héroïne noire et lesbienne. Le photographe nigérian Andrew Esiebo explore aussi ce tabou avec ses portraits d’Africains gays.
Saisis chez eux, ils nous regardent droit dans les yeux, défiant calmement les affronts. « Il y a une montée de l’homophobie en Afrique, qui passe par l’intimidation et la délation », déplore la Sénégalaise Koyo Kouoh, fondatrice du centre d’art Raw Material Company à Dakar. Celle-ci organise en parallèle de Dak’Art une exposition sur la visibilité gay en Afrique. Ne redoute-t-elle pas des attaques homophobes ? « La société sénégalaise est très conformiste, mais des expositions comme celles-là peuvent se faire, constate-t-elle.Le contexte artistique n’est pas perçu comme influent ou menaçant, contrairement à un contexte scolaire ou sportif. »
INTOLÉRANCE
C’est l’essor plus large de l’intolérance que fustige le Malien Abdoulaye Konaté dans l’accrochage que lui consacre l’Institut français de Dakar. Ses patchworks de tissus semblent a priori inoffensifs. Pourtant, au détour de motifs abstraits, apparaissent mosquées, sabres de croisés, femmes voilées. « Les Occidentaux ont négligé le fanatisme, et ils se réveillent tout juste, regrette-t-il. L’Afrique aussi, alors qu’il y a une floraison de mosquées et de medersa, qui s’infiltrent sous prétexte d’aider les défavorisés. » Son pays a échappé de peu à une main basse des intégristes musulmans. Mais la lutte contre les djihadistes est loin d’être achevée.
De telles oeuvres ont plus de portée à Dak’Art que dans les biennales occidentales. C’est là qu’elles peuvent susciter réflexions et frictions. Malgré ses manques et son chaos, la Biennale de Dakar reste éminemment précieuse.
Par Roxana Azimi
LeMonde.fr