Quelles conséquences le « mariage pour tous » a-t-il eu sur les relations homosexuelles ? Ils (elles) se sont déjà marié(e)s, ont décidé de le faire, ou sont encore trop jeunes pour l’envisager. Quatre homosexuels témoignent, six mois après l’adoption de la loi.
Kevin, 23 ans
« Je peux rire en imaginant le nom de mes enfants »
« Inconsciemment, on devient peut-être plus sage. » Kevin a rencontré son « mec » actuel après l’adoption de la loi. A 23 ans, c’est sa première relation sérieuse.
« Avant, je ne me projetais pas, je n’en avais pas vraiment envie, je préférais m’amuser. »
« J’ai plus envie de me poser avec quelqu’un »
La possibilité du mariage et de l’adoption a considérablement fait évoluer sa vision du couple.
« J’ai pris conscience que je pouvais réellement fonder une famille. C’est un changement formidable, parce que le but d’une vie est d’éduquer des enfants. Maintenant, j’ai plus envie de me poser avec quelqu’un. Je me sens plus impliqué dans ma relation, je me projette davantage, je peux rire en imaginant le nom de mes enfants, penser à où je me marierai. »
Sans vouloir généraliser – « ceux qui veulent s’amuser le font toujours » – Kevin a remarqué que cette tendance s’installe dans son entourage.
Yann, 20 ans
« On se sent moins pointé du doigt »
Yann et Thomas ont tous les deux 20 ans. Ils se sont rencontrés il y a un an, en plein débat. Si Yann ne veut pas entendre parler de mariage – « je suis trop jeune » – sa relation est rapidement devenue sérieuse. Et au bout de quelques mois, Thomas est venu habiter dans son petit studio.
« La loi nous a permis de parler de l’avenir de manière concrète, d’évoquer plus facilement et plus rapidement de projets futurs. Je suis jeune, mais l’idée de pouvoir adopter est déjà importante. »
Pour « un plan contre les discriminations »
Dans son groupe d’amis, aussi, la parole s’est libérée. « On écoute les projets des uns et des autres. Ça fait réfléchir. »
Yann estime que la loi sur le mariage peut avoir une influence sur les coming out.
« On se sent moins pointé du doigt quand on marche à deux dans la rue, alors on s’assume plus. Mais pour que le changement soit profond, il faut que cela soit accompagné d’un plan contre les discriminations. »
Lionel, 33 ans
« Les gens voient que l’on s’aime comme tout le monde »
« Avant, on avait un “ami”. Maintenant, je parle de mon mari. Il y a un monde entre les deux situations. »
Des figurines de mariées et mariés, salon du mariage gay, Paris, 27 avril 2013 (Jacques Brinon/AP/SIPA)
Lionel, 33 ans, a fait le premier pas un soir d’avril. Après le dîner, il s’est mis à genoux et a demandé à Jean-Luc, 51 ans, de l’épouser. « J’aimais le côté burlesque de la mise en scène. »
Le mariage a bouleversé la vie en société du couple.
« Il a fallu assumer notre homosexualité à 100%, l’avouer à tout le monde, se dévoiler au grand jour. Au travail, les gens vont voir mon alliance, me poser des questions. C’est un engagement plus fort que pour un mariage classique. Alors forcément, ça a engendré du stress. »
« S’assumer plus tôt »
« Je pense que ça va permettre aux homosexuels de s’assumer plus tôt. Le mariage change l’avis des gens. Ils voient que l’on s’aime et se marie comme tout le monde. »
Lionel évoque la joie et l’émotion que la cérémonie a suscité :
« Notre mariage a même réconcilié ceux qui au sein de nos familles ne se parlaient plus. J’étais vraiment surpris. »
Véronique, 43 ans
« L’engagement fout la trouille »
Le 31 décembre 2010, Véronique (43 ans) et Natasha (50 ans) fêtent la nouvelle année chez des amis. Soixante personnes sont présentes, le champagne coule à flot, l’ambiance est festive. Peu avant minuit, Natasha prend sa compagne à part :
« Est-ce que tu aimerais te marier ?
– Pourquoi pas…
– Alors veux-tu m’épouser ?
– Oui. »
A l’époque, Nicolas Sarkozy est encore président de la République.
« C’était une demande symbolique, une pulsion et une envie intime, très romantique. Mais je ne n’imaginais pas qu’elle deviendrait réalité », dit Véronique. Alors depuis que l’Assemblée nationale a voté la loi, elle est partagée entre la joie et l’appréhension.
« Le désir est toujours là, mais la réalité de l’engagement fout la trouille. Je me suis posée un tas de questions sur moi et ma compagne. »
« Autant capable que les hétéros »
Véronique a déjà été mariée. Avec un homme, le père de ses trois enfants.
« Nous avions déjà deux enfants et le mariage était un peu une formalité. Aujourd’hui, cela ressemble plus à un désir intime qu’à une nécessité. Ça revient aussi à dire que l’on est autant capable que les hétéros de faire des projets à long terme, de construire un couple et une famille. »
Vincent Duhem | CFPJ
http://www.rue89.com/2013/10/19/six-mois-mariage-tous-ca-a-change-vie-245908