Le sport est un des derniers bastions homophobes. De nombreux sportifs de haut niveau cachent encore leur orientation et souffrent en silence. Mais les lignes bougent, lentement, via le sport féminin et les disciplines individuelles.
Torse glabre et short moulant, Matt Jarvis a tombé le maillot le mois dernier pour le magazine gay britannique «Attitude». Le milieu de terrain de West Ham est le troisième footballeur professionnel à en faire la couverture, mais comme les deux autres avant lui – David Beckham et le Suédois Freddie Ljungberg –, il est hétéro et marié. Si le joueur anglais, sélectionné une fois en équipe nationale, a accepté de coucher sa plastique avantageuse sur papier glacé, c’est pour encourager le monde du football à lever le tabou: «Je suis sûr qu’il y a beaucoup de footballeurs gays, mais de là à ce qu’ils décident de faire véritablement leur coming out, c’est une autre histoire [ …] Ce n’est pas quelque chose qui choquerait. Ils recevraient au contraire de nombreux soutiens.»
Faut-il lire dans ces déclarations le signe d’une évolution des mentalités ou bien le voeu pieux d’un joueur soucieux de son image? Dans le football en particulier et tout le milieu du sport en général, l’homosexualité reste un sujet sensible, presque ignoré. Aux Jeux Olympiques de Londres l’an dernier, seuls 23 athlètes, sur plus de 10’500, étaient ouvertement homosexuels. Un pourcentage négligeable (0,2 %) par rapport à ce qui est communément observé dans la population (5 à 10 %).
Un suicide professionnel
Le sociologue français Dominique Bodin a interrogé anonymement une vingtaine de sportifs de haut niveau entre 2006 et 2007, pour le livre qu’il cosigne avec Pascal Duret, Le sport en question. Les témoignages confirment les obstacles qui se dressent devant la porte du placard. Certains vont jusqu’à dire: «Aux yeux de tout le monde, je suis un sportif connu, reconnu, “normal”. Si jamais je dis que je suis homosexuel, ça ne pose pas de problème tant que je suis performant. Mais si je suis mauvais, ce ne sera pas parce que j’ai un jour de malchance ou une baisse de régime, mais simplement parce que je suis un ‘pédé’ et ce sera la faute de tous les pédés.»
A l’homophobie du public, ouverte ou latente, s’ajoute la pression des coéquipiers, des dirigeants et des partenaires commerciaux. Pour beaucoup d’athlètes homosexuels, un coming out serait un «suicide professionnel» tant les sponsors cherchent à véhiculer à travers le sport masculin des valeurs de virilité et de puissance. «Certains sponsors sont au courant de la situation, raconte Dominique Bodin. Mais ils demandent de ne jamais rien dire, voire même de s’afficher avec des femmes pour montrer qu’ils sont bien hétérosexuels.»
L’histoire ne plaide pas non plus en faveur d’un grand déballage. Le destin tragique de Justin Fashanu, premier footballeur pro à avoir publiquement reconnu son homosexualité, au début des années 1990, est un triste garde-fou. Rejeté par une partie des autres joueurs, pris pour cible par le public, il s’est donné la mort, en mai 1998, quelques semaines après avoir été accusé d’agression sexuelle par un adolescent américain. Pas un seul footballeur d’envergure n’a osé l’imiter depuis.
Quinze ans plus tard, les choses semblent évoluer, notamment dans le sport féminin et les disciplines individuelles. Mais les insultes homophobes sont encore banalisées dans les tribunes et la bouche de certains dirigeants et les coming outs se font au compte-gouttes. Ceux des joueuses de tennis Martina Navratilova et Amélie Mauresmo ont contribué à faire bouger les lignes; celui du plongeur américain Greg Louganis, une fois sa carrière terminée, a notamment inspiré l’Australien Matthew Mitcham, premier champion olympique ouvertement gay de l’histoire, en 2008 à Pékin, dans la même discipline.
» Voir la galerie: Carole Péon (triathlon), Edward Gal (équitation) et Nigel Owens: trois destins de sportifs LGBT.
Parmi les sportifs sortis du placard ces dernières années, Gareth Thomas est celui qui a provoqué la plus grosse onde de choc. Le rugbyman international était encore en activité à l’époque et son charisme et son palmarès, dans un sport collectif majeur, en ont fait un ambassadeur. Avant que l’acteur américain Mickey Rourke ne l’incarne dans un biopic dont le tournage devrait débuter ces prochains mois, le Gallois s’est livré comme jamais dans le documentaire Coming Out: My Secret Past, diffusé récemment en Grande-Bretagne sur Channel Five.
«Je me suis battu pendant vingt ans contre ma sexualité, raconte-t-il. Je détestais l’homme que je voyais dans le miroir chaque matin. J’avais tellement de colère en moi que la seule façon de l’évacuer était de blesser quelqu’un d’autre et le rugby me donnait l’occasion de le faire légalement. Sans le sport, j’aurais certainement fini entre quatre murs.»
Un autre «gros bras» a évoqué son homosexualité l’automne dernier: Orlando Cruz, boxeur pro de 31 ans. Le Portoricain souhaite être «un exemple» pour tous les jeunes intéressés par la boxe, un des sports les plus «machos» qui soient. Le poids-plume a gagné à la fin de l’année 2012 son premier combat depuis son coming out. Il lui reste encore beaucoup de préjugés à mettre K.-O.
L’inertie des instances dirigeantes
En France, pour une question de «principes», le Créteil Bébel, club musulman de la banlieue parisienne, avait refusé d’affronter le Paris Football Gay à l’automne 2009. L’affaire avait fait tellement de bruit à l’époque que Rama Yade, alors secrétaire d’Etat aux Sports, avait initié un plan ambitieux de lutte contre l’homophobie dans le sport. Il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui et ce n’est pas une surprise quand on sait ce que l’ancien judoka David Douillet, passé après Rama Yade par le ministère des Sports, avait écrit dans un livre, en 1998: «On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes!»
Cette inertie des pouvoirs publics se retrouve chez les instances dirigeantes du milieu sportif, souvent davantage disposées à sanctionner au cas par cas des comportements homophobes plutôt que de mettre en place un travail de prévention et de sensibilisation plus contraignant. De nombreuses fédérations ont désormais pris conscience de l’importance de la lutte contre le racisme dans le sport, mais elles tardent à s’attaquer au problème de l’homophobie, quand elles ne le nient pas purement et simplement. Au lendemain de l’attribution du Mondial de football 2022 au Qatar, où l’homosexualité est pénalisée, le président de la FIFA, Sepp Blatter, avait ainsi conseillé aux supporters gays qui feront le déplacement de «s’abstenir de toute activité sexuelle». La bonne blague.
Les Helvètes underground
Très peu de sportifs suisses de haut niveau ont évoqué publiquement leur homosexualité. Dans le milieu amateur, des clubs permettent de pratiquer sa discipline sans se cacher.
La joueuse de tennis française Amélie Mauresmo n’avait pas encore vingt ans quand elle s’est qualifiée pour la finale de l’Open d’Australie, en 1999, quelques semaines après avoir parlé de son homosexualité. Lors d’une conférence de presse d’avant-match, sa future adversaire, Martina Hingis, l’avait alors qualifiée de «moitié d’homme». Des propos que la Suissesse a démenti avoir tenus, sans vraiment convaincre le grand public, qui en a fait l’un des visages de l’homophobie dans le sport.
La Suisse n’est pas épargnée par le problème et le nombre de ses sportifs de haut niveau ouvertement homosexuels se compte d’ailleurs sur quelques doigts. La plus connue est sans doute Barbara Ganz, quatre fois vice-championne du monde de cyclisme dans les années 1980 et engagée depuis sa retraite sportive pour la défense des droits LGBT. Plus récemment, Laurent Paccaud, judoka en Ligue Nationale A, a fait son coming out, «la moins mauvaise des solutions qui s’offrait à (lui)». Et le cas de Stéphane Lambiel a fait couler beaucoup d’encre, sans que le patineur valaisan ne se décide à évoquer publiquement sa vie privée.
Le sport simplement
Les deux associations suisses LOS et Pink Cross avaient fait de 2008 leur année des gays et lesbiennes dans le sport. «Un thème qui a son importance, explique la secrétaire générale de Pink Cross, Alicia Parel. Dans le milieu sportif encore plus qu’ailleurs, les stéréotypes ont la vie dure et les assertions homophobes sont souvent ignorées.
C’est malheureux à dire, mais il est presque banal aujourd’hui de traiter les adversaires de «tapettes» ou de «pédés». Ce n’est pas forcément dirigé contre une personne en particulier, mais contre un groupe en général, dont on nie la virilité.» Un constat qui pousse certains sportifs homos à se regrouper pour pratiquer leur discipline sans avoir à cacher leurs préférences sexuelles. C’est le cas au Laus’Angeles BBC, club amateur de basket fondé en 2007 à Lausanne par Steve Mamin. «On était une poignée au départ à vouloir faire du sport avec d’autres personnes de même orientation», explique ce dernier. Aujourd’hui, ils sont près d’une vingtaine, dont quelques hétéros, à jouer chaque week-end dans un championnat corporatif mixte romand. «On a eu un seul petit souci cette saison, mais dans l’ensemble les autres équipes nous ont très bien accueillis. C’est ce qu’on recherche: la convivialité et le plaisir de faire du basket simplement, sans préjugés.»
L’offre sportive LGBT est encore assez maigre en Suisse romande: en plus du basket, deux clubs de volley-ball et deux autres de natation existent à Lausanne et Genève. Et pour ceux qui préfèrent les sports de plein air, une «Gay ski week» est organisée chaque hiver dans la station grisonne d’Arosa.