À titre de bénévole pour le GRIS, je fais à l’occasion des interventions dans les écoles pour démystifier l’homosexualité et la bisexualité. L’une des questions qui revient le plus souvent est «Qui fait l’homme, qui fait la femme?» Et comme nous sommes formés pour répondre à toutes les questions des jeunes selon notre expérience, je réponds du mieux que je peux.
Il s’agit bien sûr d’une question piège, puisqu’on a tendance, pour prouver que cette idée des rôles genrés dans les couples homosexuels est un mythe, à répondre qu’il n’y a pas une pile de sacs de vidanges qui s’accumulent dans la maison parce qu’aucun homme n’est là pour les sortir, que l’une fait les repas ou que l’autre conduit la voiture, réaffirmant, se faisant, les stéréotypes qui mènent le monde depuis trop longtemps.
La réalité est pourtant plus simple : dans mon couple, ni l’une ni l’autre ne s’identifie comme un homme, parce que nous sommes deux femmes et que l’identité de genre n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. Je précise d’ailleurs dans mon couple, parce qu’il se peut très bien, dans un couple de lesbiennes comme dans un couple de gais ou d’hétéros, que l’un des partenaires ne s’identifie pas au sexe assigné à la naissance, mais c’est une toute autre histoire, et au final, ça ne devrait rien changer à la répartition des tâches.
Parce que ce que sous-tend cette question que nous posent les jeunes, c’est que dans l’union de deux personnes, ça en prend un qui remplit des fonctions masculines et un, idéalement une, qui remplit des fonctions féminines. Et c’est au moment de déconstruire cette conception vieille comme le monde que le fun commence. Parce que la répartition des tâches selon le sexe des individus, ça pénalise tout le monde, même les hétéros. Une étude qui vient d’être publiée révèle même qu’une meilleure répartition des tâches dans le couple permet aux jeunes filles d’être plus ambitieuses.
Les jeunes comprennent vite, quand on leur explique, qu’on n’est plus en 1950 et que les tâches n’ont plus à être définies rigidement selon le sexe comme elles l’ont déjà été. Mais nombre d’adultes brûlent aussi de nous poser la question de qui fait l’homme, qui fait la femme. Ils s’abstiennent craignant de commettre un faux-pas ou d’être taxés d’homophobes alors qu’en réalité, ce n’est pas une question d’homophobie, mais d’égalité hommes/femmes.
Pourtant, à l’aube de la fête des pères, de nombreuses manifestations de distinction des rôles entre père et mère refont surface dans les médias. Cette pub de Dove Men+Care, qui nous dit comment les papas son merveilleux, en est un exemple. Mais la tentative la plus maladroite de la semaine pour valoriser les pères revient au blogue Maman pour la vie, qui nous offre son palmarès des choses que «papa fait mieux que maman». Le top-10 compte notamment «tuer les insectes», «être crédible» et ajoute l’injure à l’insulte en incluant «vieillir» parmi les choses que les pères feraient mieux que les mères, comme si le jugement sévère que l’on porte sur la femme qui vieillit n’était pas lui-même le fruit de siècles d’oppression contre elle. Heureusement, l’article est suivi de trucs pour les mères qui souhaitent s’améliorer et atteindre la superbe du père.
Il n’est pas étonnant, à la veille d’une fête commerciale, que l’on veuille rappeler à quel point papa est différent de maman et qu’à ce titre, il mérite d’être célébré et comblé de cadeaux. Mais ce n’est pas qu’à la fête des pères que la reproduction sociale de la distinction entre hommes et femmes sert les impératifs capitalistes. Cette petite vidéo montre bien à quel point ce n’est pas nous, que ça rend mieux dans notre peau, d’avoir des crayons roses pour les femmes et des produits de beauté virils pour les hommes. Ce sont les grandes corporations.
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