Télévision : Loin des clichés, les séries mettant en scène des personnes transgenres explosent

Cheveux longs, maquillage léger et collier de perles. La soixantaine, Mort a une annonce à faire à ses enfants : il est désormais une femme. « Tu vas te déguiser en femme maintenant ? », lui demande sa fille aînée. Celle qui se fait à présent appeler Maura répond : « C’est toute ma vie que je me suis déguisée en homme. » Voilà comment vous happe la série Transparent, proposée par Amazon depuis 2014 (et par OCS City en France).

Pour la première fois sur le petit écran, un personnage transgenre est le héros d’une fiction. Au même moment, Netflix contribue à briser les tabous avec Orange is the New Black et Sense8, mettant en scène deux femmes transgenres, Sophia Burset et Nomi. Même CBS a surpris il y a quelques mois les fans du soap opera très conservateur Amour, Gloire et Beauté avec un coming out trans.

« Un espace qui est comblé »

Après de brèves apparitions souvent caricaturales, les personnages transgenres se sont petit à petit imposés à la télévision à partir du début des années 2000. Il y a eu Ava Moore dans Nip/Tuck, Moira/Max Sweeney dans The L World, Carmelita Rainer dans Dirty Sexy Money ou encore Alexis Meade dans Ugly Betty. Depuis trois ans, les fictions mettant en avant des personnes transgenres se multiplient comme jamais. Effet de mode ou reconnaissance ? Les deux, répond Karine Espineira, auteure d’ouvrages sur la transidentité et chercheuse en sciences de l’information et de la communication. Pour elle, c’est « la suite logique des convergences militance, visibilité, banalisation et meilleure compréhension du fait transgenre ». Elle souligne que des chirurgiens, avocats et universitaires transgenres à succès ont opté pour la visibilité aux Etats-Unis, et que l’émergence des transgender studies a joué sur la perception des personnes transgenres dans la culture.

« Il n’est pas étonnant de voir apparaître des personnages transgenres dans les séries de manière fréquente » aujourd’hui, car elles « reflètent la diversité de la société américaine », renchérit Stéphanie Nicot, transgenre et présidente de la fédération LGBT. Ce n’est « pas un phénomène de mode », affirme-t-elle, « mais un espace qui est comblé ». Dans quelques années, « ce sera normal » d’avoir ces personnages dans les séries, « comme aujourd’hui pour les autres minorités, les gays, les Afro-Américains… »

Des histoires personnelles et une plus grande liberté de création

Autre élément majeur : certains créateurs de séries sensibles à la transidentité ont envie de traiter cette thématique. Jill Soloway, la créatrice de Transparent, s’est inspirée de l’histoire de son père, et Lana Wachowski, qui a co-réalisé Matrix et Sense 8 avec son frère, a changé de sexe récemment. Les nouvelles plateformes comme Amazon ou Netflix permettent de proposer ces fictions. Elles visent un public de niche et ne rechignent pas à prendre des risques.

Au-delà de la question de leur visibilité, les personnages transgenres arrivés sur le petit écran récemment sont-ils réalistes, loin des préjugés ? « Au départ, les homosexuels étaient représentés comme des pervers ou des obsédés. Il y a eu une dépathologisation ensuite. Les transgenres ne subissent pas cela », se réjouit Karine Espineira.

« Dire aux jeunes accros aux séries que c’est courant »

« Les personnages de Orange is the New Black, Sense8 et Transparent sont des personnages de la vie », assure-t-elle. Maura de Transparent lui rappelle par exemple des gens qu’elle a connus à Paris dans les années 1990, qui étaient mariés avant une transition tardive. Aujourd’hui, les personnes qu’elle côtoie correspondent plus selon elle à Nomi de Sense8, qu’elle présente comme une « militante, lesbienne, sensible et volontaire, qui doit échapper à une mère obstinée voyant en elle une pathologie ».

Ces nouveaux personnages permettent de « dire aux jeunes accros aux séries que c’est courant », jubile Stéphanie Nicot. « C’est un biais extraordinaire pour faire bouger les mentalités. Il faudrait aussi que les politiques regardent la télé… »

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La France à la traîne

Malheureusement, la France accuse un sérieux retard dans ce domaine, déplorent Karine Espineira et Stéphanie Nicot. Seules Arte et Canal + ont mis au premier plan des personnages transgenres récemment avec Paris et Hit & Miss. M6 indique n’avoir aucune série à venir avec de tels protagonistes. Pas de réaction du côté des autres chaînes, contactées par 20 Minutes. « La télévision française reste conventionnelle pour attirer des millions de téléspectateurs. Elle ne fait rien avancer », peste Stéphanie Nicot. Karine Espineira est moins fataliste : « Quand je vois l’effet qu’ont les séries américaines sur les Français, je suis optimiste. Il y a un souhait, une envie du public pour ce type de séries. Je pense qu’elles vont très vite arriver chez nous. »

Anaëlle Grondin