>> Ils partent dans l’urgence sans emporter leurs diplômes, ils n’ont pas forcément de projet, ils peuvent être traumatisés par ce qu’ils ont vécu. Tout est à reconstruire et ça prendra du temps.
Aux pieds des barres d’immeuble de la rue du Docteur Denoyelle, Thomas a le sourire. Ce jeune réfugié arrivé en France il y a un an, a bientôt rendez-vous à Fontenay-sous-Bois. Il doit s’entretenir avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Il saura enfin si sa demande d’asile est acceptée. Mais il n’est pas inquiet : « Ce que je vais leur raconter, c’est ma vie ».
Le jeune homme, qui a bien voulu se confier à la rédaction de 37 degrés, était encore enfant quand son père a commencé à le battre. La honte s’était en effet abattue sur cette famille puisqu’il ne rentrait pas dans les clous genrés (garçon/fille) imposés par la société. Thomas était efféminé : « Mon père me cachait dans la chambre quand il recevait une visite. Il avait honte ».
Sa première idylle avec un garçon eu lieu alors qu’il fréquentait les bancs du lycée. Pourtant, sa famille avait organisé un mariage forcé avec Angela, une demoiselle de bonne éducation. La culture angolaise est fortement influencée par l’héritage de la colonisation portugaise et notamment le christianisme. L’homosexualité est moralement réprimée et juridiquement condamnée par des travaux forcés. Certains homosexuels angolais se servent alors du mariage comme un moyen d’éviter la stigmatisation. Une fois marié, ils continuent à avoir des relations avec d’autres hommes.
Malgré la naissance d’un garçon l’année suivante, les doutes de sa femme sur sa sexualité ont persisté. En conséquence, Thomas a fini par avouer ses inclinations d’autant plus qu’il fréquentait toujours son compagnon du lycée. La réaction de ses proches a été sans appel : « Mon beau-frère m’a alors menacé de mort. J’ai dû fuir la capitale, Luanda ». Peine perdue, Thomas a rapidement été rattrapé. Alors qu’il se trouvait dans la rue, un homme a surgi, arme à la main, avant de s’exclamer en portugais : « Noa grita, se nao vou te matar ». Entendez : « Ne crie pas, sinon je vais te tuer ».
Séquestré, assoiffé, torturé, l’un de ses bourreaux aimait répéter : « Je vais te tuer petit à petit ». Son supplice a duré 10 jours pendant lesquels il fut violé par une dizaine d’hommes vêtus d’un treillis militaire (son beau-frère était en effet membre des forces armées). Dans ce pays du sud-ouest de l’Afrique, il est couramment admis que seuls les hommes efféminés sont gays. En conséquence, malgré des relations homosexuelles, de nombreux angolais ne se considèrent pas comme tels.
Coupable de rien, si ce n’est d’être efféminé, Thomas confie avec un stoïcisme à toute épreuve : « Je n’ai pas mérité ça. Tout ce que je voulais, c’était vivre comme je suis ». Son salut est alors venu de l’un de ses tortionnaires qui lui a permis de s’échapper. Ils étaient de la même tribu. Les lois étant parfois appliquées à géométrie variable en Angola, notamment sur les questions liées à l’homosexualité, Thomas ne s’est pas rendu au commissariat. Il a retrouvé son compagnon, qui, en quelques jours lui a procuré les papiers nécessaires pour fuir le pays : « Je ne savais pas où j’allais, lorsque je suis descendu de l’avion, j’ai lu Charles de Gaulle, mais je ne connaissais pas ».
Après avoir passé une nuit en détention, le jeune homme a été conduit dans un foyer pour réfugiés. Les démarches administratives se sont alors enchainées : la Préfecture et l’OFPRA pour le titre de séjour, l’association Chrétiens Migrants pour le suivi, Aides pour les dépistages, La Croix Rouge pour le courrier, et le Centre LGBT de Touraine pour l’écoute. « C’est au Centre où j’ai pu parler pour la première fois de mon vécu. Ça m’a donné de la force. J’ai compris que je n’étais pas seul ».
Ces dernières années, le nombre de migrants s’est accru en France. Entre 2007 et 2014 le rapport de l’Inspection générale de l’administration constate une augmentation de 68% du nombre de demandeurs d’asile s’établissant à 59 313. Néanmoins, pour obtenir le statut de réfugié, il faut pouvoir prouver avoir quitté son pays en raison de menaces sérieuses pour sa vie. Comment dans ce cas prouver son homosexualité ? De manière générale, 22% des demandeurs ont obtenu le titre de réfugié en 2014, c’est-à-dire 14 589 migrants.
Malgré les épreuves, Thomas garde espoir et souhaite travailler dans l’hexagone. Avec un français encore hésitant il explique ses raisons : « Ici ce n’est pas l’argent qui commande, mais la loi. Je ne me fais pas agresser. Je me sens à l’aise et je peux faire ma vie normalement ».
>> Si des avancées concernant les droits des homosexuels s’effectuent, la situation reste très difficile. L’homosexualité est considérée comme un crime dans 77 pays. Et, l’Angola fait partie de cette longue liste d’états ne respectant pas les droits humains.
Avec source : Mickael ACHARD