Témoignage : Après 4 ans, j’ai enfin pu adopter Eloi. Notre fils a officiellement deux mamans

LE PLUS. Ce sont des décisions que les parents homosexuels attendent depuis longtemps : la cour d’appel d’Aix-en-Provence a validé l’adoption d’un enfant conçu par PMA à l’étranger, et ce jeudi, c’est celle de Versailles qui doit se prononcer pour quatre couples de femmes. Claire Blandin, qui nous racontait déjà ses péripéties ici, est enfin devenue officiellement la mère de son fils. Elle témoigne.

Quatre ans d’attente jusqu’à la naissance d’Eloi ; plus d’un an de procédure judiciaire entre notre mariage et l’adoption. Aujourd’hui notre famille existe ; pour d’autres, les batailles devant les tribunaux se poursuivent.

La bonne nouvelle est arrivée un samedi

Pour nous, le courrier recommandé est arrivé un samedi midi de novembre. J’ai ouvert la fenêtre sur la rue pour que le facteur me passe l’enveloppe, et fait un signe à Blandine lorsque j’ai vu l’expéditeur. Mais elle ne m’a pas vue. Elle servait nos trois assiettes.

Chez nous, le samedi midi, c’est purée-saucisses, le menu favori d’Eloi, qui termine sa semaine d’école.

J’ai ouvert l’enveloppe en me retournant vers elle, et nos regards se sont croisés ; et les larmes ont coulé.

Le tribunal de grande instance (TGI) prononçait l’adoption plénière d’Eloi, lui donnant nos deux noms de famille. Il était écrit que la République française reconnaissait que j’étais sa mère, depuis le mois de février précédent (date du dépôt de notre requête). La mairie était priée de modifier son acte de naissance.

On a trinqué « aux parents »

On a expliqué à Eloi qu’il se passait quelque chose d’important, que c’était bien pour nous trois. Il a fait celui qui se souciait surtout de ce qui se passait dans son assiette.

Dès le soir, on a trinqué, tous les trois, « à l’adoption ».

Le lendemain, lorsque mes parents sont passés et qu’on leur a fait la surprise de demander à Eloi à quoi on trinquait, il a proclamé « aux parents ». Il n’avait pas retenu que le goût des saucisses.

L’acte de naissance d’Eloi a enfin été modifié

Dans les semaines qui ont suivi, on a accumulé les fêtes successives de la bonne nouvelle, avec les amis, les voisins. Début janvier, la nouvelle a été déclinée au dos des cartes de vœux composées de photos de notre famille à trois.

Et puis, on a sollicité la mairie : une simple demande d’acte de naissance sur internet. La deuxième bonne surprise est arrivée : l’acte d’Eloi avait été modifié ; il stipule qu’il est notre fils à toutes deux.

Il ne restait qu’une étape, dont Blandine m’a fait la surprise il y a quelques jours : un petit détour par la mairie avec les livrets de famille, et l’acte de naissance modifié. Le service d’état civil a été particulièrement efficace : en quelques minutes, Eloi était inscrit sur le livret reçu lors de notre mariage. C’est le service où j’avais déclaré la naissance de mon fils (comme témoin de l’accouchement), il y a bientôt quatre ans. Elle y a croisé un jeune père ; à lui, on a seulement demandé quel nom l’enfant allait porter. Pour nous, une année de procédure judiciaire a été nécessaire.

Il m’appelle plus souvent « maman »

Aujourd’hui, notre famille existe, pour la société et pour la loi. Ma gratitude est immense pour tous ceux qui ont accompagné notre parcours, dialogué, protégé, témoigné. À chaque étape, nous avons expliqué à Eloi, en essayant de trouver des mots adaptés, ce qui se passait pour nous, pour lui. Depuis que nous avons le livret de famille, il me semble qu’il m’appelle plus souvent « maman » et plus « maman Claire ».

Fière de mes nouveaux papiers, je me suis présentée il y a quelques jours au service de gestion du personnel de mon université. La responsable a examiné l’ensemble des pièces et m’a annoncé qu’elle enregistrait mon changement de situation familiale, ajoutant que j’allais pouvoir toucher le « supplément familial de traitement« . Il s’élève à 2,29 euros par mois ; il me semble juste que le chiffre 1 remplace le 0 dans la case « enfant à charge ».

Nous nous sommes donc mariées et avons eu… un enfant. Si on n’utilise pour l’appeler que le nom de famille de Blandine, Eloi corrige, en ajoutant le mien. C’est notre conte moderne, on en savoure la happy end.

D’autres familles attendent un verdict

Pour les couples de même sexes aujourd’hui mariés, dont les enfants naissent dans le cadre du mariage, le même combat est à mener. Notre mariage à nous ne comprend pas la présomption de parentalité.

Nous savons que la loi est incomplète, insatisfaisante. On peut au moins souhaiter qu’elle soit appliquée partout de la même manière, selon l’interprétation que la cour de Cassation a rappelée en septembre. Les cas qui ont dû aller en appel et sont jugés cette semaine devraient confirmer l’interprétation de la loi pour nos familles ; bien d’autres attendent encore la protection de l’État.

Par 
Enseignante chercheure