« Ce qui m’est arrivé, si j’accepte d’en parler, c’est pour éveiller les consciences »
Les débats au fond dans le cadre du procès des quatre assassins présumés d’Ihsane Jarfi débutent ce lundi 24 novembre devant la cour d’assise de Liège. En Belgique, si les faits sont avérés, il s’agira du premier homicide avec circonstance aggravante d’homophobie. En 2006, en France, un autre homme a vécu exactement le même calvaire.
En 2012, Ihsane Jarfi, un jeune homosexuel, avait été embarqué par quatre hommes à la sortie d’une boîte de nuit. Il avait été emmené dans un bois et battu à mort par ses agresseurs.
En 2006, en France, un autre homme, Bruno Wiel, a vécu exactement le même calvaire. La différence, c’est que la victime de cette tentative d’assassinat à caractère homophobe, a miraculeusement survécu malgré ses graves blessures. Pour nous, il a accepté de témoigner.
« Ma mère m’a élevé deux fois »
Pour rencontrer Bruno Wiel, nous avons pris la route pour la Normandie. C’est à Caen qu’il nous a donné rendez-vous. Depuis son agression, il a dû quitter Paris, la ville où il avait construit sa vie. D’abord pour éviter les médias avant le procès de ses agresseurs, ensuite parce qu’il n’avait pas vraiment le choix. L’homme a dû retourner chez sa mère pour réapprendre à vivre. « C’est vraiment une vie remise à zéro » nous explique-t-il. « Quand je discute avec ma maman, elle me dit qu’elle m’a élevé deux fois. Elle me raconte qu’elle me donnait à manger à la petite cuillère. J’ai même réappris à marcher, à 28 ans ! Vous vous rendez-compte ? »
« Ils ont détruit ma vie d’avant »
Aujourd’hui, huit ans après son agression, cet ancien responsable des ressources humaines ne travaille toujours pas. Une partie de son cerveau est atrophiée, il souffre d’un handicap, n’est pas capable de conduire ou de courir. Dans ces conditions, il lui est difficile de se reconstruire. Bruno se confie : « Mes agresseurs ont détruit ma vie d’avant. Je ne suis plus capable d’avoir une vie normale ».
Une nuit de juillet 2006
Les faits se sont déroulés dans la nuit du 19 au 20 juillet 2006. Bruno sort d’une boite de nuit fréquentée par des homosexuels dans le quartier du Marais, au centre de Paris. À proximité de la place du Châtelet, il est embarqué dans une voiture. À bord, quatre hommes âgés d’une vingtaine d’années. Le véhicule prend alors la direction de la banlieue parisienne. En pleine nuit, ces quatre hommes emmènent Bruno au Parc des Lilas de Vitry-sur-Seine. Tour à tour, ils vont le dépouiller, l’humilier sexuellement, le tabasser et le laisser pour mort. De nombreuses heures plus tard, le gardien du parc retrouvera le jeune homme dans un sous-bois, nu et inconscient. Après plusieurs semaines de coma et sept mois de rééducation, Bruno retournera en Normandie.
Le caractère homophobe est difficile à prouver
À Paris, nous avons rencontré Maître Sophie Maltet, l’avocate de Bruno Wiel. Les quatre agresseurs ont été jugé en 2011 pour torture, actes de barbarie et, pour la première fois en France, tentative d’assassinat avec circonstance aggravante d’homophobie. « C’est très difficile de prouver le caractère homophobe d’une agression, explique Sophie Maltet. Comment prouver que cela n’aurait pas pu être une victime hétérosexuelle ? Il y a rarement des témoins au moment de ces agressions-là. Ce ne sont que par des indices qui caractérisent souvent des propos homophobes, des injures, des présupposés parce qu’on se trouve dans un lieu spécifique, des présupposés parce qu’on a une attitude efféminée… c’est souvent des termes qui sont contestés ensuite comme étant des termes passés dans l’usage naturel. J’ai dit ‘pédé’ ou d’autres termes, comme j’aurai pu dire autre chose. Il y a une banalisation du vocabulaire, il y a une banalisation des actions ».
« Je devrais être mort »
Pendant le procès, les agresseurs ont évoqué une dynamique de groupe qui aurait mal tourné. « Ils ont expliqué ce qu’ils ont fait par le fait d’être en groupe et par le fait d’avoir bu, se rappelle Sophie Maltet. Les deux facteurs de désinhibition qui font que la bonne blague, pour eux, c’était d’aller shooter dans la tête d’un homosexuel comme dans un ballon de football. Ce sont leurs propres termes et c’est une description qu’ils auraient même pu ne jamais faire car Bruno ne se souvient de rien. Mais ils ont eu besoin, dans leurs déclarations, de venir décrire ces actions d’une violence extrême avec ces mots-là : ‘on a shooté dedans comme dans un ballon de foot' ».
Bruno se souvient par contre très bien du moment où ses agresseurs ont décrit leurs gestes : « Imaginez que je suis resté, au minimum trois heures, la cible de coups de pieds par ces quatre individus qui se vantaient de reculer car c’était à celui qui tapait le plus fort dans ma tête alors que j’étais inconscient… Je ne comprends toujours pas comment je peux encore parler… Je devrais être mort ».
Ses agresseurs ont écopé de peines allant de 16 à 20 ans de prison. En attendant Bruno, lui, n’a toujours pas été indemnisé pour le préjudice subi.
« C’est une question d’éducation »
Pour lui, le plus important, c’est que la circonstance aggravante d’homophobie ait été retenue. « Ce qui m’est arrivé, si j’accepte d’en parler, c’est pour éveiller les consciences et que cela n’existe plus, nous explique-t-il. Pour moi, c’est une question d’éducation. Il suffit d’apprendre aux enfants qu’il y a plusieurs façons d’aimer et que le plus important c’est d’être bien dans sa tête et dans son corps. Mon rêve aujourd’hui ? Rencontrer quelqu’un et avoir une vie professionnelle stable, ce serait déjà miraculeux ».
Bruno vient d’intégrer un centre de reconversion professionnelle pour personnes handicapées. Dans quelques mois, il pourra peut-être retravailler pour se reconstruire.