« Du plus loin qu’il me revienne », j’ai toujours souhaité être père. Je m’imaginais à peine majeur et déjà accompagné d’un petit bout de chou. Pourtant, confronté aux dures réalités de la vie, j’ai du, très vite, renoncer à ce projet. En faisant mon coming-out (et oui, on en revient toujours à ça mais promis c’est pas par envie), j’ai du faire le deuil de cet enfant.
J’entends déjà s’échauffer ceux qui voient en moi le naïf de service, le simple d’esprit. Ces mêmes personnes qui m’ont taxé d’imbécilité parce que je refuse de mentir pour donner mon sang. Je tiens à les rassurer : je sais qu’il y a des alternatives.
– Je refuse de faire l’amour avec une de mes amies pour que cet enfant voie le jour. D’une part parce que je ne suis pas adepte du sexe par besoin (ô Cupidon quand tu nous tiens !) et d’autre part parce que je les apprécie trop pour leur demander ça. Pour moi, la génitrice a un rôle à jouer dans la vie de l’enfant. Il s’agit donc d’un engagement à vie et on ne sait jamais ce que la vie nous réserve.
– A l’heure actuelle, je n’irai pas à l’étranger pour avoir recours à la GPA (=> gestation pour autrui) avant tout parce que la question de la reconnaissance de l’enfant en France pose encore problème et ensuite parce que cette solution doit être très encadrée. Être génitrice pour autrui n’est pas un métier et j’avoue avoir peur de certaines dérives.
– En ce qui concerne l’adoption en France. Le bilan est le même que pour le don du sang : je refuse de mentir pour y avoir accès. Je suis en couple et, même s’il y a quelques années en arrière j’étais prêt à rester célibataire pour devenir père, je me dis aujourd’hui que cet enfant nous l’aurons à deux ou nous ne l’aurons pas.
Sur le principe, adopter à l’étranger ne me dérange pas. Au contraire, j’estime que ça peut nous apporter davantage. Cependant, tout comme la GPA, l’adoption est associée à un risque de marchandisation. Non plus du corps/de la femme mais de l’enfant.
Avec les divers éléments énoncés et la législation en vigueur en France, j’étais persuadé d’avoir réussi à enterrer ce rêve fou de devenir père.
Et pourtant, je me surprends encore à dresser mentalement la liste des films pour enfants qui pourraient te plaire ou que j’aimerai te faire découvrir.
Je continue également à réfléchir au prénom qui t’irait le mieux. À toi, le petit être à qui j’essaye de donner une apparence, perdu dans mes songes.
Pour tout te dire, je repense chaque instant de ma vie. Comment se dérouleraient les repas ? À quoi ressemblerait la « chambre d’amis » si elle était tienne ? Comment réagirait la chienne, jusque là habituée à être le centre de l’attention ? Et les câlins du dimanche matin, dans le lit, seraient-ils aussi joyeux que je les imagine ?
Voir grandir les enfants de celle qui serait ta tante m’est également très difficile. Partagé entre le bonheur de la voir épanouie d’avoir réussi à construire sa famille et la douleur d’assister à des instants que je ne connaîtrai probablement jamais. Bien sûr je suis heureux d’avoir le statut de parrain mais il faut être réaliste : un neveu/une nièce ne remplacera jamais un enfant, ne te remplacera jamais toi…
Pire encore, j’ai même fini par croire que je ferai un mauvais père.
Face à la virulence des propos tenus par les participants de l’autoproclamée « manif pour tous », pour ne pas dire des messages de haine d’une certaine Mme Boutin, entre autres, je me suis remis en question. Me demandant si, effectivement, la vie que j’aurais à t’offrir ne te serait pas pénalisante. Suis-je réellement prêt à te léguer une vie d’insultes en lien avec l’homosexualité de tes parents, à laquelle tu ne pourrais rien ?
Puis est apparue une dame. Noire de surcroît. Cette femme, Mme Taubira, m’a redonné espoir.
Grâce à elle, j’ai à nouveau foi en l’égalité. Pour la première fois de ma vie, je ne me demande pas si son combat est politique ou humain. J’y puise seulement la force nécessaire pour me battre. Et, même si je ne récolte pas les fruits de ce combat, il n’en est pas vain pour autant. Je garde l’intime conviction que les homosexuels seront des parents comme les autres (ceux qui existent déjà nous le prouvent). Cette lutte, je te la dédie, mon enfant chéri imaginaire. C’est à toi que je veux offrir ce droit d’être parent et ce en dépit de ton orientation sexuelle.
Alors, où que tu sois, continue d’attendre ton père. Qu’il s’agisse de moi ou d’un autre, il viendra. Il te sera dévoué et sache qu’il fera tout pour te rendre heureux, fort et surtout humain.
De mon côté, je conserve mes peluches et continue de construire le père que j’aimerais être pour toi. Le jour où je devrai quitter ce monde, je veux pouvoir me dire que tu aurais été (et si les fées m’exaucent, que tu es) fier de moi.
En attendant, je le clamerai aussi fort que nécessaire : arrêtons de voir les homosexuels comme des personnes instables et ne vivant que pour la fête. Sachons déceler la sensibilité et les souffrances qui sont les leurs. Parce que ton absence me ronge de l’intérieur. Parce que, sans toi, je me sens incomplet, à demi-vivant. Parce que j’ai l’impression que rien ne me contentera jamais autant que ton existence.
Par Antonin Camu.
Extrait de l’article « N’être Père », publié sur 1929.fr