Vendredi, les parents d’un garçon né en Russie grâce à une GPA étaient à la Cour de cassation afin d’obtenir l’inscription de leur enfant sur un livret de famille. La décision sera rendue le 3 juillet.
«Nos proches ont du mal à comprendre pourquoi on est là. Oui, pourquoi ?» lance Jérôme. «Que pensera plus tard notre enfant des torrents de haine et violence entendus sur nous, les homos, et sur la gestation pour autrui ?» soupire Dominique, son époux. Il est 13 heures, vendredi, l’heure d’avaler vite fait une salade, un café, en face du Palais de justice de Paris. Les amis du couple, leurs témoins de mariage, des femmes, commencent à débarquer. A 13 h 30, la petite bande rejoint la Cour de cassation. Jérôme et Dominique, père biologique de Kolia, 4 ans, né à Moscou, se donnent un baiser sous les ors rutilants de la plus haute juridiction française. Un huissier les houspille.
Dominique Boren, 51 ans, et Jérôme Gourod, 48 ans, s’installent face aux magistrats qui examinent leur pourvoi en assemblée plénière. L’enfant qui a été porté par une Russe, Kristina, a un acte de naissance russe. La cour d’appel de Rennes a refusé de le transcrire sur l’état civil français. Kolia ne figure pas sur un livret de famille. Le couple espère obtenir gain de cause en cassation. (1)
«Nous voulons une sécurité juridique pour notre fils. L’inscrire à la Sécurité sociale a pris six mois. Nous venons seulement d’obtenir son passeport. Jusque-là, Kolia était comme assigné en résidence ici», explique Dominique. «Dominique a son frère aux Etats-Unis. Faute de passeport pour le petit, son oncle ne l’a toujours pas vu sauf par Skype, enchaîne Jérôme. Sans ce livret, toutes nos démarches sont compliquées. Nous devons sans cesse nous justifier, raconter notre histoire.» Leur histoire ? La voilà.
«Pression sociale»
C’est celle de deux garçons qui se sont rencontrés via le Minitel rose, en 1992. «Oui, c’était il y a longtemps, et c’était bien agréable», badine Dominique, juriste, coprésident de l’APGL (Association des parents et futurs parents gays et lesbiens) depuis 2010. «Je crois que j’ai toujours voulu des enfants, avance Jérôme, chef d’entreprise. Ado, quand je lisais Anna Karénine, je notais tous les prénoms qui me plaisaient pour mes futurs enfants.» Dominique : «Moi aussi, j’en voulais. Mais je me le suis longtemps interdit, je me suis comme stérilisé.» Jérôme : «On aurait voulu adopter, mais nous n’avions quasiment aucune chance.»
Il y a huit ans, le couple décide de se lancer dans une gestation pour autrui (GPA) après moult questionnements : faut-il impérativement une mère pour élever un enfant ? A-t-il le droit moral d’emprunter le ventre d’une femme ?
«Quand j’ai su que je saurais comment raconter notre histoire à mon enfant, je me suis dit que j’étais vraiment prêt», explique Jérôme. «Oui, nous avons bravé la pression sociale, les remarques comme « tu ne peux pas faire ça »,venant y compris de copines qui élèvent seules leurs enfants. Oui, des abus existent, mais c’est parce qu’il n’y a pas de cadre légal. Dans les pays comme la Grande-Bretagne, où c’était autorisé, on n’entend pas ce genre d’argument», ajoute Dominique. Direction la Floride, où la GPA est autorisée. Une longue suite d’échecs. «Un parcours douloureux», précise Dominique. «Et très onéreux», ajoute Jérôme.
Changement de cap. Via une agence, le couple entre en contact avec une jeune Moscovite : Kristina. Elle souhaite passer davantage de temps avec sa fille. Prendre son indépendance face à sa famille. Elle a besoin d’argent. C’est Dominique qui donne ses gamètes. «Dom le voulait, sourit Jérôme. Mais ça aurait pu être moi, d’autant que mon grand-père était russe. Mais on s’en fout de qui est le père biologique, non ?» Durant la grossesse, le couple rend visite à Kristina. «Nous avons veillé à ce qu’elle soit bien indemnisée par l’agence. Bien accompagnée», explique Dominique. «Ce serait plus simple si la GPA, plutôt que d’être interdite en France, était bien régulée, encadrée. Il n’y aurait plus ces agences qui se font de l’argent. Tout l’argent irait aux femmes qui méritent d’être dédommagées. Ne soyons pas hypocrites», défend Jérôme.
«Confiants»
En août 2011, l’enfant enfin arrive. Quand Kristina me l’a remis, elle m’a dit : «Je sais qu’avec toi, il sera bien», raconte Dominique. Depuis, Kolia grandit avec ses deux pères. «Bon, il a eu de la fièvre cette nuit, mais oui, il va bien. Là, il est chez sa nounou. Et franchement, il s’en fout de notre audience à la Cour de cass», rigole Jérôme. «Ça, il sait y faire avec nous, sourit Dominique. Il sait très bien ce qu’il peut obtenir de chacun de nous. Il nous appelle tantôt par nos prénoms, tantôt papa…» Blanc. «Nous voulons juste être une famille! Tranquille. Qui ne subit pas de violence institutionnelle, assure Dominique. Nous sommes confiants. Comment la plus haute juridiction pourrait-elle ne pas respecter les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a enjoint la France de respecter l’intérêt supérieur des enfants ? Nous voulons que notre enfant ait les mêmes papiers que les autres.»
Autre enjeu de cette audience, dont la décision sera connue le 3 juillet : impossible pour Jérôme d’adopter Kolia tant que Dominique n’est pas reconnu par le droit français comme le père de l’enfant. Et Kristina dans tout ça ? «Nous sommes restés en contact. Elle a eu récemment un petit garçon. Et nous lui avons envoyé toutes les fringues de notre fils quand il était bébé. Et Kolia n’est autre que le diminutif du frère de Kristina.»
(1) La Cour de cassation examinait aussi ce vendredi le pourvoi de Patrice G., qui demande à obtenir la transcription à l’état civil de sa fille née par GPA en Russie.