Témoignage : Pierre est homosexuel. Pourtant, contrairement aux images véhiculées par les médias, il n’est pas un afficionado de la Gay pride, des mini-slips ou du Marais à Paris. Lassé par la quantité de clichés qui circulent, il a décidé d’adresser une tribune à tous ceux qui se font de fausses idées sur l’homosexualité.
« Incroyable, ça ne se voit pas chez toi » : je suis homo. Je veux que les gens s’en foutent !
Et encore un témoignage sur le HuffPost ayant pour thème l’homosexualité. Après Sébastien qui se plaignait de souffrir de l’image LGBT véhiculée par les médias dans laquelle il ne se reconnaît pas et qui préfère vivre son homosexualité au grand jour sans avoir à passer par l’étape humiliante du coming out, c’est au tour de Thierry de lui répondre par un discours militant et de lui expliquer qu’il est un idiot qui ne respecte ni lui-même, ni « la communauté LGBT » (https://www.stophomophobie.com//temoignage-personne-nest-et-ne-doit-et-ne-devrait-etre-reduit-a-sa-sexualite/).
Puisque c’est open-bar, je vais à mon tout ajouter mon petit grain de sel, car je dois avouer que j’ai tendance à rejoindre l’avis de Sébastien.
Homo, je n’apprécie ni le Marais, ni la Gay pride
Je suis homosexuel. J’habite à Paris, et je n’ai pas honte de le dire, je traverse la Marais sans m’y arrêter, ou alors à de rares occasions.
Je ne vais pas non plus à la Gay pride. L’image de cette manifestation m’apparaît, pour une raison que j’ignore et qui ne dépasse pas le cadre de la sensation lointaine, assez désagréable. Car oui il faut bien le reconnaître, la Marche des fiertés a avant tout une image simplement carnavalesque.
Vu de Paris, cela revêt un sens particulier inhérent à l’ouverture d’esprit qui règne dans cette ville. Mais avez-vous imaginé l’effet que cela peut produire sur Gwenvred Plougastec (ce prénom existe), dans le fin-fond de sa Bretagne ? Elle qui ne côtoie nullement dans son entourage, enfin le croit-elle, d’homosexuels, et qui rit de bon cœur des sketchs de Laurent Gerra lorsqu’il présente Jack Lang avec un plume dans le cul.
Imaginez un instant Gwenvred allumant sa télé, bien décidée à manger son kouign-amann devant le 20h de TF1 ouvrant sur la « Gay pride parisienne qui a fait le plein ». Gwenvred, en bonne Bretonne, a l’esprit ouvert et respecte son prochain.
« Mais tout même, pourquoi se trémoussent-ils en mini-slip multicolore sur cette musique de drogué ? » se demande-t-elle se remémorant le reportage sur les rave-party où la musique lui semblait similaire.
De la même manière que des esprits étriqués se demandent si tous les terroristes ne sont pas des musulmans (mais surtout l’inverse), Gwenvred se demandera si tous les homosexuels ne se promènent pas toute la journée en mini-slip avec cette musique techno dans les oreilles.
Oui j’exagère, mais vous avez l’idée.
Deux ans pour que mon ami se fasse à l’idée que j’étais gay
J’en vois qui font la moue, et qui se disent que les esprits ne sont pas si arriérés en province, que m’enfin, on n’en est plus là en 2015.
Pour l’anecdote, j’ai fait mes études à Rennes, j’y ai habité pendant six ans. Mon meilleur ami d’école, que nous nommerons Mathias (le prénom n’a pas été modifié) a mis 2 ANS avant d’intégrer le fait qu’il puisse avoir un ami homosexuel : moi.
J’ai fini par céder, un soir un peu imbibé, comme grosso-modo tous les autres soirs dans cette contrée lointaine. Je lui ai raconté que de temps en temps, je me sentais attiré par les filles, ce qui est faux bien entendu, mais cela m’a permis d’atténuer la dissonance cognitive qui lui rongeait les neurones à mon sujet et de paraître plus accessible.
Car enfin, par ce truchement imbécile, il pouvait me ranger parmi les gens « normaux », et cela me permettait de faire tomber cette barrière imaginaire qu’il avait dressée, bêtement.
Le paradoxe, c’est que Mathias est loin d’être un crétin : il est bien éduqué, connaît les bonnes manières, il est curieux des autres, nullement raciste, il est assez ouvert d’esprit finalement. Mais voilà, il est le fils de Gwenvred, et dans sa famille, les homosexuels entrent dans les minorités non visibles. Lointaines. Cachées. Honteuses.
À force de persévérance, aujourd’hui Mathias m’accepte comme je suis et est même beaucoup plus à l’aise sur la question. Je n’ai plus à recourir à des petits mensonges absurdes fort heureusement, mais je n’oublie pas que le chemin a été long pour lui apporter la preuve qu’au-delà de ma sexualité, nous n’étions pas si différents.
La Gay pride me fait apparaître pour ce que je ne suis pas
Imaginez l’énergie qu’il faut déployer avec certains, les trésors d’inventivité qu’il faut mettre en place pour parvenir à l’acceptabilité. Le problème, ici avec Mathias, c’est que sans cesse, son ignorance sur le sujet l’a empêché de me voir comme un mec normal.
Sa vision de l’homosexualité a été gangrenée par cette image mainstream de folle dévergondée et maniérée que les médias, le cinéma populaire, les téléfilms et j’en passe, nous servent à toutes les sauces.
Évidemment il demeure quelques icônes qui ne rentrent pas dans cette image façonnée, et Thierry l’a très justement rappelé. Bizarrement, ce ne sont pas ces dernières qui viennent à l’esprit du premier venu lorsque l’on parle des LGBT.
Là est tout le problème. Nous ne sommes pas les maîtres du jeu, nous n’avons aucun moyen de bricoler l’esprit des intolérants. Ce chemin, ils doivent le faire seul, et je ne suis pas sûr que les manifestations comme la Gay pride les aident à évoluer sur la question dans le bon sens. Cela renforce les clichés les plus tenaces, et me fait apparaître pour ce que je ne suis pas.
Je n’ai rien contre la Gay pride bien sûr, c’est une formidable vitrine notamment pour les ados en questionnement, mais je suis assez mal à l’aise quand on me dit qu’elle me représente.
Comme si tous les Marocains devaient aimer le couscous, et tous les Japonais manger des makis, tous les homosexuels devraient être des gai-lurons qui aiment la fête et les couleurs.
Je ne me définis pas à travers ma sexualité
Je ne fais rien au quotidien qui ne soit différent de mes collègues de bureau, hétérosexuels pour la plupart. Je me sens parfaitement bien avec mes collègues.
Beaucoup savent que je suis gay (et même certainement tous, bouche-à-oreille oblige), cela n’est pas une source de problèmes pour moi. J’évolue dans un environnement qui me laisse cette chance.
Et si cela se passe bien, c’est aussi parce que je ne me définis pas à travers ma sexualité. Mon entourage ne me voit pas comme un homosexuel, et c’est tant mieux.
Je suis un collègue/ami, parmi les autres, sans distinction, parce que je leur ressemble, je suis comme eux, voilà tout. Tout cela est très naturel.
Mon plus grand souhait est d’être soluble
Ma différence est là, point, et elle n’a rien d’extraordinaire. Elle ne doit pas être vue comme telle, car, en effet, mon homosexualité me définit en partie, mais je suis aussi une myriade d’autres choses.
Je pense que les personnes qui comme moi vivent leur vie simplement sans se revendiquer d’aucun milieu que ce soit font beaucoup plus pour l’acceptation des homosexuels que ces manifestations folkloriques qui ne représentent pratiquement personne et ne font que conforter la vision caricaturale de cirque généralisé en décalage avec la société chez les personnes qui n’y sont pas confronté.
Pour pousser l’idée, appartenir au milieu LGBT dresse aussi une barrière entre « eux » et « nous », car eux n’y appartiendront probablement jamais. Personnellement, j’ai tendance à percevoir cette vision communautaire comme un sectarisme en réponse à l’intolérance « des autres ». Une forme de repli.
Mon plus grand souhait est d’être soluble dans mon environnement social au même titre que le premier venu, et pour ce faire, je dois me comporter comme le premier venu, avec ma différence qui ne regarde que moi.
Je me dois de faire comprendre à autrui que malgré cette nuance, je suis comme lui, que l’on peut s’entendre et qu’il n’a pas à me craindre. Je crois que le fait de lui faire exploser ma différence au visage sera contre-productif si je cherche à me lier à lui. Je vais enfoncer une porte ouverte, mais je rappelle que généralement, face à la différence, les gens se braquent, l’Homme, à fortiori peu éduqué, n’est pas curieux de l’autre par nature.
Regardez les scores du FN en France, c’est hallucinant. À l’origine de cela il y a l’inculture et la peur de l’autre, d’où l’intérêt de chercher la convergence.
Justement, ça ne se voit pas
Je n’ai qu’une aspiration. Non pas que les gens me reconnaissent comme un homo, mais qu’ils s’en foutent royalement, qu’il n’y ait plus cette fracture dans leur esprit quand ils l’apprennent, et que leur réflexe est de dire :
« C’est incroyable, je n’aurais jamais cru ça, ça ne se voit pas chez toi ».
Ben non justement, ça ne se voit pas. Chez moi et chez beaucoup d’autres.
PS : Utiliser le bon vieux cliché tenace du plouc breton est totalement honteux, mais j’ai aussi mes défauts et mes caricatures. Pardon à eux, je les aime fort et ils le savent.
Par Pierre Noureev
Ingénieur