Témoignage : Depuis trente ans, les gays sont exclus du don sanguin. Mais la loi pourrait bientôt mettre fin à cette discrimination. Le 17 septembre dernier, le Sénat a en effet enfin voté en faveur de la réintroduction de l’amendement dans la Loi Santé.
En juillet dernier, Dorian avait tenté de braver l’interdiction. Il témoigne :
« Ici, vous pouvez faire un cadeau rare et précieux. » Sur la porte du site de collecte de l’hôpital Bichat, à Paris, des affiches me rappellent à quel point je peux, en donnant mon sang, être utile à la communauté. Je pense à un rescapé de la route, quelque part dans une salle des urgences, à qui je sauverai la vie. La standardiste m’invite à lire les conditions préalables, me remet un formulaire à remplir, et prépare mon dossier. Quarante-neuf questions sur deux pages où l’on m’interroge sur mes voyages, mes vaccins, mes opérations. La dernière page est beaucoup plus sobre, avec une seule case à cocher : « Avez-vous été dans l’une des situations décrites ci-dessus ? » On me parle de drogues par intraveineuse et de changement de partenaires dans les derniers mois. Et enfin, la dernière phrase : « Vous avez eu des relations sexuelles entre hommes. » Je suis gay. Je coche oui.
« Il ne te plaît pas, mon sang? Il est tout propre, tout rouge »
Cinq minutes plus tard, le médecin me reçoit, tout sourire, et égrène les questions. Suis-je sous antibiotique ? Ai-je déjà vécu en Angleterre (because la vache folle) ? Jusque-là, c’est un sans-faute. Et puis, comme une évidence : « Vous avez une partenaire régulière ? » Je corrige : « Un partenaire. » Elle s’immobilise une seconde, sourcils froncés, comme pour s’assurer qu’elle a bien compris. Coup d’œil sur la dernière page du formulaire. « Je suis désolée, c’est impossible. » On mutualise notre gêne, questions embarrassées et réponses confuses. Oui, même si c’est un couple stable. Oui, même si mon test VIH est négatif. Et oui, même si vous utilisez des préservatifs. Le médecin m’explique : « C’est vrai qu’il y a un taux de contamination 200 fois supérieur chez les homosexuels hommes. » Hésitation. « C’est purement statistique, mais on fonctionne comme ça en épidémiologie. On calcule des probabilités, et le risque est plus grand chez ces personnes. » Je la vois mettre un coup de Tipp-Ex sur sa fiche. « Tout ce que je peux vous proposer, c’est un café et un jus d’orange. » Voilà, c’est fait, merci, au revoir. On ne veut pas de moi. Si j’avais dit que, la semaine dernière, j’ai couché sans préservatif avec 100 filles, on m’aurait simplement répondu : « Revenez dans quatre mois. » Mais parce que, au moins une fois, j’ai partagé mon lit avec un homme, je suis radié. À vie. C’est clair : en France, on ne veut pas du sang des gays.
Pour les autres, on peut toujours négocier.
Quoi, il ne te plaît pas, mon sang ? Regarde, il est tout rouge, tout propre, comme le prouve mon dernier test HIV. Récemment, la Cour de justice de l’Union européenne a pourtant demandé à la France de trouver une mesure « proportionnée », c’est-à-dire, j’imagine, plus proportionnée qu’un bannissement à vie. Le 3 avril dernier, les députés ont même voté un amendement à la loi de santé précisant que « nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle ». Bien que symbolique – un simple arrêté ministériel suffit –, il est censé mettre fin à une différenciation née en 1983 avec les premiers cas de sida. « Nous, on a juste reçu une note indiquant que des études étaient en cours, m’a précisé le médecin. Vous savez, avant que ce soit mis en place… » C’est d’ailleurs l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), saisi il y a deux ans, qui vient de répondre qu’il est urgent d’attendre de nouvelles statistiques. D’ici là, patience.