Français(es), si vous comptez épouser une personne de même sexe, sachez qu’il vous faut éviter onze nationalités. Récit de Lise, privée de noces.
Je m’appelle Lise, j’ai 25 ans et je suis homosexuelle. Non pas que je me définisse comme ça au quotidien, mais les gens aiment les étiquettes, c’est plus simple. Donc je suis homosexuelle.
J’habite depuis trois ans à Berlin avec la femme de ma vie. Elle s’appelle Agnieszka, elle est très intelligente et très belle. Elle a les plus beaux yeux de la terre (voire de l’univers). Elle est aussi polonaise.
Quand je l’ai rencontrée, ça a été l’amour au premier regard – vraiment au premier regard. Quand on en parle, je dis souvent que « our eyes sparkled » (nos yeux pétillent). Oui, parce qu’on parle en anglais toutes les deux, c’est la seule langue qu’on ait en commun.
Quand il a été question du « mariage pour tous » pour la première fois en France, je lui ai dit, taquine : « Hé, regarde, on va bientôt pouvoir se marier. » C’était une phrase comme ça, pas vraiment sérieuse, mais l’idée a fait son chemin.
Agnieszka est un pur produit de la société polonaise, élevée aux principes catholiques et tout le bazar. Même si elle rejette aujourd’hui l’Eglise à cause de sa politique, « déconnectée de l’humain, et de la réalité du XXIe siècle » et de l’hypocrisie des prêtres, elle croit en Dieu et au mariage « jusqu’à ce que la mort nous sépare » (entre autres).
Oui, on est un couple, un vrai, merci
J’ai moi été élevée sans aucune religion et mes parents n’étaient pas mariés. Le mariage, bof, c’est qu’un morceau de papier. N’empêche qu’au quotidien, pour toutes les démarches administratives, la banque, prendre un crédit, avoir un prix de couple pour la sécurité sociale, pouvoir rendre visite à l’autre à l’hôpital (et même dans nos relations avec la famille), il est usant de devoir se justifier tout le temps.
Se justifier que oui, on est un couple, un vrai, merci, qui a des projets de vie, qui est stable, durable, qui est normal. Faire face aux clichés et à l’homophobie latente, celle qui refuse de s’appeler homophobie mais en est.
Et encore, nous sommes chanceuses, nous habitons dans une ville relativement ouverte aux couples de même sexe. Je n’ose imaginer le calvaire pour mes homologues français (ou polonais…) Ce bout de papier aurait au moins l’avantage de leur faire fermer leur bouche. Bref, l’idée fait du chemin chez moi aussi.
On repousse la question à plus tard
Avant cela, nous avions évoqué la possibilité d’un « partenariat de vie » (Lebenspartnerschaft) en Allemagne, l’équivalent du Pacs français. Enfin, pas totalement :
- ici, les hétérosexuels ont le mariage – ils ne peuvent pas se Lebenspartnerschafter ;
- les homosexuels ont le Lebensartnerschaft – ils ne peuvent pas se marier
Par rapport au mariage allemand, droits et devoirs sont presque les mêmes. L’immense différence réside dans la réduction des impôts : les homosexuels pacsés ne bénéficient pas de réduction d’impôts liée à leur statut de couple officialisé. Situation qui va bientôt être réglée.
Autre différence : les homosexuels ne bénéficient pas de la signification sociale qu’est le mariage. Un Lebenspartnerschaft, ce n’est PAS un mariage. Ça n’a pas sa charge symbolique, ça n’a pas son statut social, ça n’a pas la même signification dans la tête des gens.
Le Lebenspartnerschaft est plus évolué que le Pacs et avec moi au chômage à l’époque, cela pouvait être un moyen de me faire bénéficier d’aides sociales plus poussées, pour nous aider à passer le cap. Je pourrais rédiger un article entier sur ces politiques sociales lamentables de l’Allemagne qui poussent plus de 30% de sa population à se paupériser, mais là n’est pas le sujet. Et puis j’ai retrouvé un boulot et on a repoussé la question à plus tard.
Le débat en France : haine, intolérance, rejet
Ma moitié aimerait, elle, si elle doit signer un contrat de vie commune, se marier. Se marier avec toute sa symbolique, toute sa reconnaissance sociale, les robes blanches, la vodka qui coule à flot, la famille présente et tout le tralala. Education polonaise catholique traditionnelle, je vous dis !
La question de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe tombe au bon moment et relance la question dans notre couple. Passé les premiers jours d’euphorie, le « débat » (parce que au niveau de conneries débitées en France, c’était loin d’être un débat) s’envenime. Et je me rends compte que ça ne se fera pas sans douleur, cette histoire – alors qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat…
Les mois suivants n’ont pas été faciles. La harcèlement médiatique envers les homosexuels, l’homophobie décomplexée envahissant notre quotidien, la folie des extrémistes de tout genre et des fous aux sweats rose et bleu m’ont vraiment fait peur. Il a fallu que je traduise tout ça à ma copine, qui ne pouvait pas croire qu’en France, pays des droits de l’homme pour elle, on puisse laisser la haine, l’intolérance et le rejet envahir la vie publique. « On dirait la Pologne », qu’elle me fait.
Fin de cette folie : j’ai pleuré de soulagement
A Berlin, les journaux se concentrent sur les extrémistes dans les manifestations contre le mariage pour tous, sur les propos homophobes, et noircissent un peu le tableau. Quid de la résistance et des contre-manifestations des pro ? L’image de la France en prend un (très) sale coup.
Mes amis, d’horizons et de nationalités divers, me demandent ce qui peut bien se passer. Comment leur expliquer ? On me prend souvent à partie dès qu’on sait que je suis française. Je le cache, j’ai honte. C’est facile, je n’ai quasiment pas d’accent quand je parle anglais ou allemand.
C’est une énorme remise en question de mon identité : je ne me sens plus française, car France devient synonyme d’intolérance, de haine. J’ai honte d’être française. Et moi qui ait toujours refusé de me définir comme homosexuelle, de me définir selon mon orientation sexuelle, je me sens forcée, à cause de ce débat, à me revendiquer comme telle. Comme pour me protéger.
La fin de cette folie m’a fait un bien fou. Je me souviens que j’étais au boulot et j’écoutais les débats à l’Assemblée et au Sénat en streaming. Le jour où cela a été ratifié, j’étais devant mon ordinateur. J’ai pleuré, mais pas de joie. De soulagement.
Qu’est-ce qui lui a pris de ratifier une telle connerie ?
Je rentre guillerette pour dire à ma moitié que ça y est, elle peut mettre un genou à terre et me demander en mariage. Ça l’a fait rire, et elle me dit d’être patiente. Ok, je peux l’être, de toute façon, la loi est là, on ne peut pas l’enlever. Se marier, ou ne pas se marier, c’est possible, et c’est notre choix. Seulement notre choix.
Et puis patratas ! Début juin, un ami Facebook, très engagé pour les droits des homosexuels, publie un article qui explique que certaines nationalités ne peuvent pas profiter de la loi Taubira. Tous les couples constitués au moins d’un conjoint venant de Pologne, du Maroc, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de Serbie, du Kosovo, de Slovénie, de Tunisie, d’Algérie, du Laos et du Cambodge n’ont pas le même droit que les autres couples. Je ? Quoi ? Ça me paraît être une intox, une mauvaise blague des fous aux sweats rose et bleu.
Mais non. Après d’intenses recherches sur Internet, il apparaît que la loi stipule que le mariage peut être célébré dès lors que l’un des futur(e)s époux(ses) est d’origine française ou réside en France, exception faite des ressortissants des onze pays ci-dessus mentionnés, à cause des accords bilatéraux indiquant que la loi relative au mariage applicable est celle du pays d’origine.
La loi inique, raciste, discriminatoire, moyenâgeuse de la Pologne prend le pas sur la loi française, légèrement plus ouverte d’esprit, dans le cas de notre couple ? Qu’est-ce qui lui a pris, à Taubira, de ratifier une telle connerie ?
Et qui en a parlé, de cette clause, pendant les débats ? Personne. Et l’UMP qui s’exclamait que des étrangers envahiraient la France pour se marier, ces sales étrangers, vous savez, qui sont la cause de tous les maux de la France. On laisse aux portes de la France, aux portes de la justice, aux portes de l’égalité, au moins onze nationalités. C’est déjà ça de pris, hein ?
A l’ambassade : « Ça ne va pas être possible »
En juin, j’appelle l’ambassade de France en Pologne pour me faire confirmer cela. La jeune femme au téléphone, qui devient très désagréable et très hautaine dès que je lui dis que je veux me marier avec ma compagne polonaise, et non mon compagnon polonais, m’explique :
« Oui, c’est comme ça, votre mariage ne sera pas reconnu en Pologne.
– Je m’en fiche, moi, que notre mariage soit reconnu en Pologne, s’il est reconnu en France et en Allemagne.
– Ça ne va pas être possible.
– Mais pourquoi ?
– C’est comme ça.
– Il n’y a rien que je puisse faire ?
– Non. »
La réponse est sèche et sans appel. Je raccroche quand même sur un merci. J’suis polie. En colère, désappointée, mais polie.
On est des moins que rien, des anormaux
Je creuse encore la question de mon côté. Et je m’aperçois que la France est moins à cheval sur ces conventions quand il s’agit de couples hétérosexuels. La France ferme facilement les yeux quand une Marocaine épouse un non-musulman français, alors qu’en raison de ces conventions, cela ne devrait pas être autorisé. Oui, sauf qu’eux, ce sont des couples hétéros. Des couples normaux. Nous, on est des moins que rien, des anormaux, des contre-nature, une menace pour la famille, pour la société, pour l’avenir de l’humanité. La pilule est très dure a avaler.
Alors, célébrer le mariage pour tous ? S’extasier de cette avancée sociale ? Certainement pas !
Mais c’est ma faute, hein, j’ai fait l’erreur de tomber amoureuse, non seulement d’une femme, mais en plus d’une personne de mauvaise nationalité… Le combat de l’égalité est donc loin, très loin, d’être fini.
A cause de la nationalité de sa copine, Lise (qui ne souhaite pas témoigner avec son nom) ne peut pas se marier en France et ce malgré la loi du 23 avril dernier.
Car une circulaire, signée de la ministre de la Justice, indique que les maires ne peuvent pas marier les couples homosexuels avec des citoyens de onze pays (Pologne, Maroc, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Kosovo, Slovénie, Tunisie, Algérie, Laos et Cambodge). En cause : des accords bilatéraux indiquant que la loi relative au mariage applicable est celle du pays d’origine.
« On vole à tous ces couples, constitués aussi de Français, leurs droits et leur bonheur », écrit Lise. Emilie Brouze