Depuis l’âge de deux ans et demi, François vit avec deux mamans, biologique et adoptive, qui forment un couple depuis 25 ans. Aujourd’hui âgé de 27 ans, il a décidé de témoigner, pour démentir les préjugés et contribuer à faire évoluer les mentalités.
Le fait d’avoir été élevé par deux mamans a-t-il eu un impact sur votre développement?
Je pense que oui, mais c’est difficile de l’analyser objectivement. Ç’a probablement ouvert des horizons. Je pense qu’elles m’ont vraiment encouragé à explorer certains aspects de moi, elles m’ont ouvert les yeux, mais ça, c’est le résultat des valeurs qu’elles m’ont transmises, bien au-delà du fait qu’elles soient deux mères.
Avez-vous été victime d’intimidation durant votre jeunesse?
Non, mais si j’avais été un garçon timide, introverti, qui n’a pas les compétences sociales que j’avais, ça aurait pu être l’enfer. Les enfants ont tendance à être cruels. Ils vont stigmatiser ceux qui sont différents et l’orientation sexuelle des parents devient une arme. Je pense aussi que ce doit être beaucoup plus difficile d’être élevé par deux pères. Les garçons vont être plus taquins si tu as deux pères et vont faire référence à la sexualité entre deux hommes, de façon vulgaire, on ne se le cachera pas. Mais beaucoup de garçons entretiennent un fantasme lesbien, alors avoir deux mamans, dans leur tête, c’est moins « grave ».
D’avoir été constamment entouré de femmes fait-il de vous un meilleur homme, aujourd’hui?
Ça m’a permis de mieux comprendre la réalité des femmes. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de respect pour elles, je considère que je suis féministe et je suis très en contact avec mon côté féminin moi-même.
Un grand préjugé envers les enfants de couples homoparentaux concerne l’orientation sexuelle. Les gens vous posent-ils souvent la question?
Non. Ce n’est pas une question que les gens me posent, surtout à mon âge. Personne ne m’a jamais dit que j’étais gay parce que je vivais avec deux mères. Du moins, pas en pleine face. D’ailleurs, les études démontrent que, inversement à ce qu’on peut croire, il n’y a pas plus d’enfants homosexuels dans les familles homoparentales qu’ailleurs. Ça n’a aucun lien. Mais moi, je me suis posé cette question très jeune. J’avais 7 ou 8 ans et je me suis demandé si j’étais homo ou hétéro. J’avais alors avoué à mes mères, un soir, en soupant, que j’aimais les filles. Elles ont trouvé ça très drôle.
Quels sont les plus grands préjugés auxquels vous faites face?
Moi, j’ai été très chanceux. J’avais plein d’amis et je n’ai pas vraiment eu de gens qui m’ont attaqué à ce sujet. Mais il m’est déjà arrivé de mentir sur ma situation familiale quand j’étais dans des environnements nouveaux. Mais je n’ai pas ressenti les préjugés et les stéréotypes de la société.
Vos parents vous avaient-ils préparé pour affronter les préjugés?
C’est arrivé quelques fois que mes parents mettent l’accent sur le fait qu’on avait une famille différente. Elles ne m’ont pas dit comment répondre aux préjugés. Elles m’ont seulement fait savoir qu’on était différents, mais que ce n’était pas grave, parce qu’on s’aimait. C’est avec cette idée-là que je me promenais et c’était ça mon outillage.
Pour quelle raison votre mère non biologique a-t-elle décidé de vous adopter à l’âge de 12 ans?
C’était jusque là illégal. Mais pendant ces années-là, elle m’élevait comme si j’étais son fils et on vivait une vie de famille tout à fait normale.
Qu’est-ce que l’adoption officielle représentait pour vous?
Je sentais qu’elle faisait enfin partie de ma vie officiellement et légalement. Mais pour ce qui touche à notre relation, ça n’a rien changé. Je l’ai toujours considérée comme ma mère, donc c’est vraiment pour la bureaucratie que ç’a eu un impact. Après ça, je me sentais plus à l’aise de dire que j’avais deux mamans et de l’écrire dans les documents officiels. En fait, c’est le fait de transformer mon nom de famille qui a eu le plus gros impact sur moi.
Avez-vous souffert du manque de figure paternelle durant votre enfance?
J’avais beaucoup de figures masculines autour de moi, dont un parrain, un oncle et mes grands-pères aussi. Je les voyais souvent et je n’ai jamais ressenti de manque. Je ne veux rien dénigrer, mais je ne vois pas ce qu’un père aurait pu m’apprendre de plus. On pourrait avoir une vision stéréotypée de la chose et se dire que j’aurais peut-être été meilleur en mécanique automobile si j’avais eu un père, mais je ne le sais pas. Outre ça, ma mère pouvait très bien me lancer la balle de baseball. Je suis prêt à concevoir qu’il y a probablement certaines choses que j’aurais apprises, si j’avais eu un père, mais je ne parle aucunement de carence ou de manque.
Vos mamans étaient très engagées dans le respect des droits des couples de même sexe. L’êtes-vous autant?
Oui. Je pense que l’ouverture sur autrui est très importante et j’ai été confronté à cette réalité très rapidement. Ma situation familiale a encouragé mon ouverture d’esprit… par défaut. Mais tant mieux, car c’est un côté positif. Ça m’a permis de comprendre que l’amour n’est pas attribuable à un genre. Ça va même plus loin que ça, car la notion de couleur disparaît, de race et de religion.
Les hommes et les femmes ont souvent des façons de penser et d’agir bien différentes, mais avec deux mamans, était-ce différent?
C’est sûr que mes deux mères ont leurs différences, mais elles m’ont vraiment élevé en écho. Elles étaient toutes les deux sur la même longueur d’onde, donc j’avais l’effet stéréo. Je demandais à l’une et elle me répondait exactement la même chose que l’autre. Elles allaient toujours dans la même direction et elles sont hyper mères poules. Ça peut être lourd, deux mères poules, de temps en temps. Quand j’arrivais en retard, mettons, j’en avais deux qui m’attendaient dans le salon. Et quand je dis qu’elles étaient en stéréo, c’est que j’avais droit à deux discours identiques.
L’égalité juridique des couples homoparentaux est là, mais va-t-on arriver à l’égalité sociale un jour, selon vous?
Je suis très idéaliste dans la vie, donc ce petit côté de ma personne crie «oui!», mais mon côté réaliste prend malheureusement le dessus. Il y aura toujours du racisme et de l’homophobie, mais de moins en moins.