Vers 13 ans, je me couchais presque chaque soir en priant pour devenir hétéro. Quinze ans plus tard, je me réveille presque chaque matin en chérissant d’être gay. Parce que ma marginalité fait de moi un homme meilleur.
Malgré tout ce qui se dit et s’écrit sur l’acceptation de l’homosexualité, j’ai toujours l’impression qu’un élément fondamental manque au discours. D’une personne à l’autre, il est question du moment où l’on est témoin des premiers signes de nos préférences. Des efforts pour les nier ou les contredire. Du jour où l’on comprend que notre bataille contre la réalité nous laissera à jamais sur le banc des délaissés. Des semaines, des mois ou des années qui sont nécessaires pour accepter l’idée et l’assumer. Des réactions diverses, au moment d’en parler. Pourtant, rares sont ceux qui partagent leur expérience sur l’étape ultime du processus : celle où l’on est foncièrement heureux d’être différent.
Suis-je salement optimiste et déconnecté de la réali-té?
J’ose croire que je suis d’une joviale lucidité. J’ai la chance d’avoir des parents ouverts d’esprit et de pratiquer un métier où je n’ai jamais eu à dissimuler qui je suis. Néanmoins, comme tant d’autres, je me suis fait battre au secondaire. J’ai accumulé tant de regards méprisants et d’insultes que je ne les compte plus. Et j’ai grandi dans une région où les modèles m’ont dramatiquement manqué.
Je sais qu’il y a pire. Je connais les histoires de rejets familiaux. Je lis les nouvelles sur les pays, où le simple fait d’être gai suffit pour être emprisonné, battu ou lapidé. Je suis sans cesse ébranlé lorsque je suis confronté à l’homophobie sur les médias sociaux. De toute évidence, je ne prétends pas qu’être né homosexuel rend la vie légère à tous moments.
Mais j’aurais tort de taire les bénéfices de ma différence. Après avoir passé des années à apprivoiser qui j’étais, à grand renfort d’introspection et de questions existentielles, j’ai développé une intériorité dont je ne me pourrais plus me passer. J’ai pris le temps de découvrir qui je suis, ce que je veux et ce que je vaux, plutôt que de passer ma vie à chercher ces réponses dans le regard des autres. Je ne suis certainement pas d’une solidité sans failles. Je ne réussis pas aussi souvent que je le voudrais à déjouer les jambettes du destin. Mais j’ai désormais les outils pour me relever, comprendre ce qui s’est passé et choisir où je veux aller.
Avec les années, je me suis surpris à pardonner à ceux qui m’avaient violenté. J’ai mis en perspectives leur ignorance, pris mes distances avec ces douloureux souvenirs et découvert que l’existence me réservait de bien belles surprises.
Je suis devenu un meilleur être humain, le jour où je suis tombé en amour avec ma différence
Depuis bientôt deux décennies, je fais officiellement partie du dixième de la population qui vit un aspect de sa vie autrement. Jamais je n’accepterai qu’on résume ma personnalité à mon homosexualité ni qu’on affirme qu’une préférence sexuelle suffise pour regrouper des hommes et des femmes dans un carcan ghettoïsant.
N’empêche, cette marginalité m’a fait accepter le principe fondamental de la différence. La mienne et celle des autres. Après une adolescence à rêver de faire partie de la majorité, j’ai eu envie de chérir ma minorité et d’embrasser mon unicité. Au lieu de vivre ma vie comme tout le monde, je fais partie de ceux qui détonnent fièrement. Qui font éclater les paradigmes. Qui libèrent leur esprit des contraintes. Qui sortent du lot. Au travail, en amour et en amitié. Parce que l’une des plus grandes preuves d’huma-nité est de savoir écouter ses proches sans les juger, en acceptant pleinement leurs écarts, leurs angoisses et leurs failles, sans prétendre connaître la version du bonheur.
Bien entendu, quiconque me connaît personnellement sait que je suis à des années-lumière de la tolérance absolue. Il m’arrive encore trop souvent de rire d’untel ou d’unetelle, parce qu’ils représentent ce que j’ai peur d’être ou de devenir. Quand cela se produit, ce n’est pas tant eux que je méprise, mais bien moi-même… Heureusement, ma capacité d’introspection me permet de le réaliser, de me remettre en question et d’évoluer.
Comme je déteste l’idée de généraliser à propos des gays, je serais naïf de croire que tous les homosexuels se connaissent en profondeur et qu’ils sont des exemples d’ouverture. Néanmoins, j’ose imaginer que mon homosexualité m’a rendu la vie plus belle et cette pensée suffit pour m’endormir avec le sourire.