Je suis mariée depuis le 9 novembre 2013. Bien sûr, nous nous sommes mariées par amour, mais surtout, nous nous sommes mariées pour que je puisse adopter Théophile, 3 ans et demi, issu de mes gènes et porté par ma compagne. Pour nous, le mariage était le premier acte de cette adoption, de ce nouveau parcours du combattant. C’était une fête très réussie, remplie d’amour, de bonne humeur et surtout d’espoir…
En 2012, nous avions tenté de demander une DAP (délégation d’autorité parentale) à la justice. Elle ne nous avait pas été accordée par le tribunal de grande instance de Versailles, dont nous dépendons. Je m’étais entendue dire que j’avais le même rôle qu’une nounou, à qui personne n’accorde d’autorité parentale, et qui assure pourtant les mêmes actes que moi auprès des enfants. En tant que maman, cette phrase restera gravée en moi pour le restant de mes jours.
Cet enfant, nous l’avons voulu, nous l’avons attendu pendant 4 ans. Quatre années durant lesquelles nous avons vécu au rythme des prises de sang à 7h du matin, l’angoisse d’arriver en retard au travail, l’angoisse aussi de demander des jours de congés au dernier moment pour nous rendre en Belgique, la crainte d’être « découvertes » par la sécurité sociale, la crainte que notre gynéco soit ennuyé et ne veuille plus nous suivre, la crainte à chaque instant clandestin… Et la douleur… La douleur à chaque insémination, la douleur liée aux fécondations in vitro, la douleur de chaque échec…
Et l’espoir… L’espoir de fonder une famille avec celle que j’aimais, l’espoir quand je lui ai dit d’essayer de porter mes embryons, puisqu’en moi, ils ne voulaient pas se développer… Ce bonheur quand le test de grossesse a affiché positif, et que c’est moi qui l’ai vu en premier… Ces larmes lors de la première échographie, lorsque ce petit haricot s’est mis à avoir un cœur qui battait tellement plus vite encore que le nôtre…
J’ai été là tout le temps. J’ai repeint la chambre de notre enfant, je lui ai acheté ses habits premiers âge, j’ai porté les sacs de courses pour que ma compagne ne se fatigue pas trop, j’ai compté les jours, les semaines de grossesse, je les ai cochées sur mon calendrier, j’ai écrit au jour le jour pour me souvenir de tout…
Théophile est né par césarienne en urgence. J’étais là lors des premiers soins, je l’ai apaisé au son de ma voix, j’ai donné le premier biberon. J’ai été là toute la semaine à la maternité, tous les jours, et la nuit je rentrais pour faire des lessives et rapporter du linge propre le lendemain matin à la première heure… C’est moi qui ai prévenu la famille et les amis, de la naissance, c’est moi qui ai envoyé les premières photos, c’est moi qui suis allée le déclarer à la Mairie, accompagnée de ma petite sœur… Un bonheur si intense que personne ne pourrait le décrire.
L’enfant a grandi, il s’est mis à marcher, à parler. Il m’appelle Maman Nanoue, il appelle ma compagne Maman Mayé. Je le console quand il se fait mal, je lui prépare de bons petits plats, je l’emmène chez le pédiatre quand il est malade, je vais le chercher à la crèche le soir, je lui donne son bain, je perds un temps fou à la pharmacie pour trouver pour lui une bouteille de bain moussant qui convienne à sa peau fragile. Il appelle mes parents Papy et Mamie, mes sœurs Tata. C’est mon fils.
Trois ans plus tard, j’en suis là. Je dois adopter mon propre fils.
Nous avons tellement l’habitude de devoir galérer que ça ne me semble qu’une étape de plus dans notre parcours. Presque comme si c’était normal de devoir subir cela. Nous nous renseignons donc avec pragmatisme sur la procédure.
Comment devenir légalement la maman de mon enfant ? Comment faire pour que je ne sois plus un « tiers » pour lui aux yeux de la loi ? Pour que plus personne, jamais, ne puisse me séparer de lui, ne puisse le séparer de moi ? Pour qu’il puisse, aussi, hériter de moi, et hériter de mes parents tout comme les enfants que mes sœurs ? Comment faire pour officialiser mes devoirs envers lui, pour que ma compagne ne puisse jamais se retrouver seule à élever cet enfant que nous avons tellement voulu à deux si jamais la vie nous séparait ? C’est bizarre de penser à ces éventualités alors qu’on parle de se marier, mais les circonstances font que nous sommes obligées de les évoquer…
Après le mariage, nous avons donc pris rendez-vous avec un notaire pour constituer la première pièce du dossier (le consentement de ma compagne à l’adoption de son enfant par son conjoint), qui nous avait été conseillé par une amie.
Le premier rendez-vous eu lieu le 18 décembre 2013. Nous avons fait garder Théophile par une amie, et nous sommes rendues toutes les deux en plein Paris pour un rendez-vous d’environ trois quarts d’heure. Ce notaire paraissait bien informé de la procédure. Il nous a donc expliqué que l’adoption plénière était irrévocable, et qu’il était de son devoir de nous en informer, de nous dire qu’il fallait bien y réfléchir. Car si demain nous devions nous séparer, après l’adoption, nous serions à égalité devant la loi. Ça tombe bien, c’est exactement ce que nous souhaitons !
Le notaire nous a alors proposé de rédiger ce consentement à l’adoption, puis de nous donner un nouveau rendez-vous pour le signer, le 30 décembre. Lorsque nous lui avons dit que nous dépendions du tribunal de Versailles, il a eu un air dépité, et nous a dit alors : « Oh là là, Versailles, ils sont réputés très conservateurs, j’espère que vous l’obtiendrez quand même… Et puis vous ne pouvez pas vous faire domicilier ailleurs, ce serait une faute… » Ce genre de remarque, on ne peut pas dire que ça donne du baume au cœur…
Nous craignons en effet beaucoup ce tribunal de grande instance, parce que nous y avons déjà subi une défaite. Nous avions déjà compris à ce moment-là que l’égalité de traitement n’existait pas d’un tribunal à l’autre. Nous avons donc la malchance de déposer notre requête au mauvais endroit, sans possibilité d’en changer…
Le 30 décembre, nous sommes retournées chez le notaire et avons signé le consentement à l’adoption (et nous sommes délestées de 250 euros au passage…). Nous avons également remis au notaire une « tutelle testamentaire », expliquant qu’en cas de décès de ma compagne, sa volonté est que Théophile puisse rester avec moi. Ubuesque… Mon fils pourrait en effet m’être enlevé, parce que je ne suis pas sa mère. Pour le moment. Jusqu’à quand ?
Le sort de notre fils, de notre famille, dépend donc d’un procureur, d’un juge, du bon vouloir de l’administration… Çà et là, nous lisons des témoignages réconfortants. Certaines familles ont déjà obtenu l’adoption plénière, et leurs enfants ont donc deux parents, deux mamans, aux yeux de la loi. Leurs enfants sont protégés.
Ça nous donne de l’espoir. Mais et nous ? Est-ce que nous aussi, nous y aurons droit ? Est-ce qu’on me dira bientôt que je suis légalement la maman de mon fils, comme je le suis aux yeux de mes amis, ma famille, mes collègues, de ma compagne… à ses yeux à lui, surtout ? Est-ce qu’on pourra bientôt souffler ?
Du haut de ses trois ans, Théophile pose des questions… C’est quoi un notaire ? Pourquoi on va le voir ? Pourquoi je dois lui dire : « Bonjour Maître ? » Nous lui expliquons qu’après le mariage, il faut faire une adoption. Il comprend, un peu, pas tout. Je lui dis que je veux être sa maman légalement, et que pour cela, nous devons faire des papiers. Je lui dis que de toute façon quoi qu’il arrive, je suis sa maman. Que je le serai toujours. Qu’il est mon fils. Que bientôt, on les aura, ces papiers. Je le rassure.
Mais qui me rassure, moi ?
Par Anne
Chroniqueuse.
Nous sommes deux mamans de 36 et 40 ans, et nous avons un petit garçon de 2 ans et demi, Théophile. Nous habitons en région parisienne. Nous nous marierons en novembre prochain, puisque la loi le permet désormais.