>> La grand-mère d’Amélie vit avec une femme… sa femme. Et tout ce qui a pu gêner Amélie dans cette situation, c’est les autres et leur regard.
Chez moi, la famille c’est super important. J’ai deux sœurs, trois frères, quatre parents et dix grands-parents. Non, je ne me suis pas trompée en comptant. J’ai quatre grands-pères pour six grands-mères ; quand mes grands-parents maternels ont divorcé, chacun a refait sa vie avec une femme. Et les parents de mes beaux-parents sont mes grands-parents !
Depuis toujours, j’ai donc deux mamies maternelles. J’ai toujours su qu’elles étaient lesbiennes. Ma mère, leur fille et belle-fille, ne me l’a jamais caché. Elles, par contre (on va les appeler Anne et Mireille), elles ont toujours été discrètes — une question de générations, sans doute. Se découvrir homo dans les années 60, c’était pas hyper simple et j’ai l’impression que se cacher est presque devenu naturel pour elles.
Être homosexuelle avant
Anne, ma grand-mère « biologique », a mis plusieurs années après son divorce à l’annoncer à ses enfants issus de son mariage avec mon grand-père — ma mère et mon oncle donc. Quand ma mère l’a appris, elle a mis une journée à se faire à l’idée, puis, comme elle aimait déjà beaucoup Mireille (qui était amie avec ma grand-mère), elle s’est dit que ça lui allait.
Elle m’a raconté que si ça avait été quelqu’un d’autre, ça ne se serait peut-être pas aussi bien passé — comme pour n’importe quelle famille recomposée, en fait. Quand elles ont emménagé ensemble, c’était ensemble, dans le même immeuble mais dans deux appartements différents, entre lesquels elles ont fait installer une porte. Chacune avait sa boîte aux lettres et son nom sur la porte.
Quand, enfants, on dormait chez elles, elles avaient chacune leur chambre, ne s’embrassaient jamais devant nous et n’avaient que peu de gestes affectueux l’une envers l’autre. J’aurais pu dire « mes grands-mères sont colocs » que ça n’aurait choqué personne !
D’ailleurs, même si ma mère me l’avait dit, j’ai mis un moment à faire le lien entre « elles sont homosexuelles » et « elles sont amoureuses ». Quand on les présentait, tout le monde disait « Je vous présente Anne et son amie Mireille ». Je devais avoir huit ans quand je me suis « Mais elles sont pas amies, elles sont amoureuses ! », mais comme je me doutais que si on le disait pas, c’est quand même qu’il y avait un problème quelque part, je l’ai caché aussi.
La seule personne à qui j’en ai parlé, c’était ma meilleure amie de l’époque. Son unique réaction a été :
« Mais t’as pas peur de l’être, toi aussi ? »
Du coup, j’ai passé les dix années suivantes à me dire qu’il ne fallait absolument pas que je sois lesbienne parce que je voulais pas finir en preuve irréfutable que l’homosexualité était héréditaire. Ça ne m’a donc pas vraiment aidée quand je me suis rendue compte que j’étais bel et bien lesbienne.
Être homosexuelle maintenant
Mais avant de faire mon coming-out à moi, vers mes 18 ans, j’ai fait mon coming-out de petite-fille d’homos.
J’avais 15 ans et j’étais en classe de seconde. On avait des TPE blancs sur le sujet de notre choix, et j’avais choisi de faire un dossier sur l’homoparentalité avec mon groupe. Après chaque présentation, nos camarades donnaient leur avis. Après notre passage, on a eu droit à un débat plus que houleux sur l’homoparentalité.
Même si j’étais une de celles qui prenaient le plus la parole pour défendre ce modèle de famille, je n’ai pas eu le courage de me lever et de leur dire que oui, je savais de quoi je parlais, parce que ma mère et son frère ont été élevés essentiellement par leur mère et leur belle-mère, parce que mon deuxième oncle a deux mamans depuis toujours, et parce que je suis la troisième génération d’une famille homoparentale qui ne va pas moins bien que leur famille hétéro.
Je n’ai pas osé, et aujourd’hui, malgré ma bonne note, je l’ai encore en travers de la gorge. Ma mère m’a dit ce que mes grands-mères avaient dit à leur fils des années plus tôt :
« C’est quelque chose que tu ne dois dire qu’aux gens en qui tu as confiance parce que c’est quelque chose qu’ils peuvent utiliser pour te faire du mal. »
Sauf qu’à mes yeux, dissimuler l’homosexualité de mes grands-mères c’était partir du principe que c’était anormal, honteux, et c’était ça qui faisait que ça pouvait se retourner contre nous. À partir de là, je ne me suis plus cachée. Je ne disais plus « Je vais chez mes grands-parents » mais :
« Je vais chez mes grands-mères. Oui, elles vivent ensemble, non pas comme dans Charlie et la Chocolaterie, plus comme dans The L Word. »
Voilà. Je ne le cachais plus et je ne le cache toujours pas.
Et puis, il y a deux ans, des gens tout de rose et de bleu vêtus sont descendus dans les rues pour clamer haut et fort qu’une famille c’était « un papa, une maman, on ne ment pas aux enfants ». En une phrase, ils insultaient ma famille sur trois générations : celle de mes grands-mères, celles de mes parents, divorcés et remariés, et la mienne (parce que mes enfants auront deux mamans, n’en déplaise à la Manif Pour Tous).
Au début de ce débat mouvementé, je justifiais mon implication par la situation de mes grands-mères. Je me battais et témoignais en tant que petite-fille d’homos avant d’annoncer que clairement, c’était aussi pour moi que je me battais.
Elles sont les premières que ma mère a appelées quand je suis sortie du placard. J’étais persuadée que ce serait avec elles qu’il y aurait le moins de problème. Mais même si elles ne m’ont rien dit sur le moment, Mireille m’a appris il y a quelques semaines que cette nouvelle l’avait déprimée. Pas parce que c’est la honte d’avoir un•e homo dans la famille, mais parce que « c’est une vie super dure pour sa petite-fille ».
D’un côté, elle n’a pas tort : ce n’est pas tous les jours facile de s’assumer homo dans la société actuelle. Mais de l’autre, j’ai envie de la rassurer. Je n’ai plus à cacher mon homosexualité à mes parents, comme elles avaient dû le faire. Je vis dans un appartement avec ma copine, on a emménagé de jour et tous les voisins le savent.
J’espère que nos enfants n’auront pas à faire en sorte que ce soit toujours la même maman qui soit là quand ils invitent des amis pour éviter que ça jase à l’école. Que je n’aurai pas à avoir peur en permanence qu’il arrive quelque chose à la mère biologique de mes enfants parce que l’État ne reconnait pas mon rôle de parent et pourrait m’en retirer la garde. Si, ensemble, vous avez pu survivre à la société depuis tant d’années, je devrais pouvoir supporter celle de 2014.
Mes grand-mères et moi
Aujourd’hui, je peux dire que ça a nettement amélioré ma relation avec mes mamies. On avait déjà une super relation, mais là, je n’ai plus peur de parler d’homosexualité devant elles, de leur poser des questions sur leur histoire, de leur proposer des séries ou films « de gouines », ou juste de les titiller quand je sens qu’elles n’osent pas se comporter comme un couple « normal » devant mes cousins, comme s’ils ne savaient pas que leurs mamies étaient ensemble.
Je repère des petites choses qu’elles n’osaient pas faire devant nous avant. Je les vois sourire quand elles repèrent un couple de lesbiennes à la plage avec leur implacable « gaydar », je les entends faire des blagues salaces de goudous et se retenir de rire pour ne pas choquer les petits.
Il y a peu, elles ont déménagé. Elles ont quitté ces deux appartements dans lesquels elles ont habité près de trente ans, dans lesquels j’ai lu mes premiers mangas, mangé des quartiers de pommes épluchés, chanté, appris le bonheur qu’est une biscotte recouverte de fromage râpé et passée au micro-ondes, dessiné, fait mes devoirs, regardé Petit-Pied, joué aux kaplas et aux figurines, et toutes ces choses qu’on apprend chez nos grands-parents.
Elles ont un nouvel appartement avec un salon, une cuisine, un bureau, une chambre d’amis, et, au fond à gauche, leur chambre. Elles se sont mariées, aussi. Elles ont vendu les deux anciens appartements mais ont trouvé deux acheteurs. Elles ont muré la porte qui reliait les deux… en laissant la clé dans la serrure.
Amélie.
(Les prénoms ont été modifiés)
Par Melissa
madmoizelle.com