On présente très souvent les personnes transgenre comme étant prisonnières. Dans mon cas, par exemple, on m’aurait qualifiée de « femme prisonnière d’un corps d’homme », ou autre variante à base de « coincée dans un corps de garçon ». J’ai même déjà entendu des comparaisons avec des maladies mentales ayant trait à l’auto-mutilation ou au désir irrépressible de subir une amputation.
Pourtant, ça n’a jamais été mon cas. Je n’ai jamais ressenti ce genre de choses. Mon corps, je ne lui ai jamais voulu de mal, et je n’étais pas vraiment malheureuse de la façon dont il était formé avant, ou du moins je n’en avais pas l’impression franche. Je ne regardais pas mon pénis avec dégoût et je n’essayais pas de l’arracher de manière désespérée. Rien de tout ça.
De l’extérieur, il était impossible de deviner que j’étais en réalité une femme transgenre. J’étais, pour les gens, un garçon un peu à part, pas si masculin que ça, mais sans féminité particulière non plus (juste des cheveux longs, rien de significatif). J’étais pour les autres juste un rêveur, qui passait son temps à s’évader dans ses mondes virtuels et dans son imaginaire.
Le jeu de rôles fut l’un de mes exutoires
C’est vrai, par contre, que souvent et depuis l’enfance, je me demandais : « pourquoi je ne suis pas une fille » ? Je ne comprenais pas pourquoi j’étais « un garçon ». Je me souviens avoir scruté ma poitrine sous la douche, lors de l’adolescence, en espérant vainement qu’elle pousse et en essayant de faire pression de mes doigts pour voir la forme qu’elle pourrait avoir. Je me souviens avoir apprécié que l’on m’appelle mademoiselle quand j’avais la vingtaine, grâce à mes traits androgynes et à mes cheveux longs.
Pour autant, ce corps, c’était le miens quand même. Quand je voulais marcher, courir, sauter, manger, parler, faire l’amour… ça fonctionnait bien, donc c’était a priori bien moi qui étais aux commandes. J’essayais de me convaincre que j’étais plutôt mignon, mais ce n’était pas une question de beauté, mon image ne me plaisait pas vraiment. Et c’est plutôt là que réside le détail qui fait tout : c’est mon image qui ne me convenait pas. Mon image, et tout ce qu’elle impliquait en terme de société. En bref, la façon dont j’étais perçue… et dont je me percevais moi-même. Car si je ne mettais jamais en valeur mon corps, c’est qu’on attendait que je le fasse de manière virile, « comme un homme » : et ça, ça n’était pas moi.
Même si je pouvais lui ressembler, ça ne me correspondrait toujours pas !
En prenant de l’âge, mon corps s’est virilisé de lui-même, la testostérone a marqué sa présence. On ne m’a plus jamais appelée « mademoiselle », non, j’étais devenue un « monsieur ». Et là, ça a été difficile à gérer. Il y a des moments dans la vie qui marquent des points de non-retour, et la fin progressive d’une certaine androgynie a été pour moi l’un de ces moments.
Mon corps était toujours le miens, mais ne correspondait plus du tout à ce qu’attendait la société au regard de ce que je me ressentais être. Je n’étais donc pas prisonnière de mon corps, mais bien de la vision que la société peut en avoir (or la société, j’en fais partie, donc cette vision, je la partageais).
C’est après plusieurs épisodes dépressifs que s’est imposé un choix, ou du moins ce qui pouvait y ressembler. D’une part, je pouvais tenter de rester dans cette posture de regrets, demeurant une personne qui n’aime pas ce qu’elle est aux yeux des autres, l’image qu’elle renvoie et qu’elle se renvoie. D’autre part, je pouvais me prendre en mains, et enfin commencer à construire mon avenir, en devenant aux yeux des autres ce que j’étais déjà dans l’esprit. De fait, je ne sais pas si on peut appeler cela un choix. J’ai simplement préféré vivre.
Sans espérer lui ressembler, l’image me semble beaucoup moins en décalage avec mon ressenti
Pour me libérer de ce que je vivais comme une prison sociale, j’ai commencé à essayer des vêtements, j’ai adopté les codes vestimentaires féminins. Ce fut une première euphorie. Mais très vite, je me suis rendue compte que cela me mettait en danger à cause de l’agressivité et même la haine que peuvent exprimer nos contemporains. Et puis… ce n’était pas suffisant pour moi, je n’étais pas pleinement satisfaite. Mon regard était l’un des plus cruels qui m’étaient portés, et ne me rendait pas justice.
Le traitement hormonal a été une suite logique en ce sens, et s’est très vite imposé comme une seconde adolescence. Depuis, tout devient plus clair, car me ressentant fille, je ne pouvais être homme, non : par cette nouvelle adolescence (qui n’est pas terminée), je me suis révélée en tant que femme. Et c’est un bonheur véritable.
Lise, femme transgenre.