Entretien. Monica Bastien, 58 ans, retraitée de la fonction publique : « prisonnière dans mon corps d’homme ».

Petit, il rêvait d’être kidnappé par des extra-terrestres et de passer dans une machine pour en ressortir transformé. Monica Bastien, maintenant 58 ans et une retraitée de la fonction publique, s’est longtemps sentie prisonnière dans son corps d’homme.

Avec les valeurs de l’époque, Serge Bastien, son nom à la naissance, a choisi d’entrer dans le moule. Pendant des années, il a caché au plus profond de son être qui il était vraiment. Un jour, Serge a craqué et il a subi une chirurgie en réassignation de sexe qui l’a finalement conduit vers sa véritable identité.

Très jeune, aviez-vous déjà le désir de devenir une femme ?

Mes sœurs, plus âgées que moi, m’ont dit que, dès ma tendre enfance, j’aimais jouer le rôle de la poupée avec elles. Mais quand ma mère nous surprenait, elle m’interdisait de m’habiller de la sorte, et je pleurais sans arrêt. À l’âge de huit ans, je me souviens d’avoir dit à ma cousine que je l’enviais d’être une fille.

Comment s’est déroulée l’adolescence ?

J’étais complètement perturbé de constater que des poils me poussaient sur le corps, mais je ne savais pas à qui en parler. Ma libido était stimulée par la lingerie féminine. J’étais excité par le rouge à lèvres et les vêtements féminins. Mes parents s’en doutaient et, pour que je me conforme aux normes sociales, ils m’avaient impliqué dans les sports et la musique. Ils souhaitaient simplement que je sois comme tous les autres garçons de mon âge.

Étiez-vous victime de moqueries de la part des autres élèves à cette époque ?

Non, parce que je ne m’affirmais pas, et personne n’était au courant de ce désir caché, ancré en moi. Comme je ne pouvais pas vivre ma féminité au grand jour, j’ai cherché à compenser. J’excellais dans les sports, je faisais de la musculation, je gagnais des trophées en athlétisme. À 5 pi 11 po, j’étais perçu comme n’importe quel autre garçon. Je faisais de la mécanique, des travaux manuels.

Diriez-vous que cette période fut difficile à vivre ?

Je vivais beaucoup de questionnements. J’étais à la recherche de moi-même. À l’âge de 14 ans, mes parents m’ont confronté sur le sujet. Ma mère avait remarqué que sa lingerie disparaissait… Mais je n’ai pas été en mesure de m’ouvrir, car le climat n’était pas propice. Résultat, je me suis replié plus que jamais sur moi-même, en me disant que personne ne saurait mon secret.

Alors vous avez choisi d’entrer dans le moule ?

Effectivement, j’ai choisi de me conformer. J’ai fait un gars de moi et me suis marié. Je suis devenu père de deux enfants. J’ai pris la décision de fuir qui j’étais. Je me disais que j’étais un travesti et que j’aimais m’habiller en femme tout simplement. Mais après la naissance de mon deuxième enfant, en 1984, j’ai avoué à mon épouse que j’avais une sexualité différente et que j’aimais porter de la lingerie féminine. Ce fut pour elle un tel choc que cela nous a menés au divorce. Je n’en ai pas parlé aux enfants qui étaient trop jeunes à l’époque.

5541ddba-526a-4e72-8bc6-786a9d6cda45_ORIGINALÀ quel moment avez-vous fini par accepter qui vous étiez vraiment ?

En 1995, j’ai rencontré une femme, avec qui je suis toujours d’ailleurs, qui m’a accepté sans que j’aie à faire de compromis. Avec elle, j’ai pu vivre la vie dont j’avais toujours rêvé. J’étais un travesti, et le samedi soir, je sortais vêtue en femme. Malgré tout, je continuais à m’interroger sur moi-même. J’avais pris l’habitude de m’épiler le corps, les sourcils, et je prenais des hormones pour féminiser mon corps. Un jour, dans un bar, une amie m’a regardé et m’a dit: «Arrête de te mentir à toi-même. Tu prends des hormones sur le marché noir pour devenir belle, qu’est-ce que tu attends pour accepter que tu es une femme?» J’ai alors littéralement fondu en larmes, puis, à partir de ce moment-là, j’ai accepté la personne que j’étais au plus profond de moi. Par la suite, tout s’est enchaîné très vite. Deux ans après, en 2008, j’ai subi une intervention en réassignation de sexe en Thaïlande.

Quelle a été la réaction de vos enfants à votre coming out ?

Ils avaient 18 et 20 ans quand je l’ai fait. J’ai beaucoup parlé avec eux. Mon fils a vécu beaucoup de questionnements sur lui-même. Il s’est demandé s’il était comme ça lui aussi. Mais ce qui l’inquiétait surtout était de perdre cette complicité père-fils que nous avions toujours eue lui et moi. Avec ma fille, ça a été un peu plus difficile, mais nous nous sommes finalement retrouvées. Aujourd’hui, j’ai une relation très profonde avec mes deux enfants.

Comment vos parents ont-ils réagi à ce changement d’identité ?

Quand je l’ai dit à mes frères et sœurs, ça a donné un grand coup, mais ils ont fait preuve de compréhension. Mon père est décédé quand j’avais 16 ans, alors il ne l’a jamais su. Ma mère est morte à 93 ans, elle ne l’a complètement accepté que trois mois avant sa mort. Elle m’a dit qu’elle se sentait libérée, qu’elle m’acceptait. Que j’étais sa fille maintenant, et qu’elle m’aimait. J’ai vu ça comme un cadeau de la vie, un beau velours avant qu’elle nous quitte.

En novembre 2008, Monica subi une opération en réassignation de sexe en Thaïlande

Comment vous sentiez-vous au moment du grand événement?

J’étais à ce point stressée, que j’ai perdu le contrôle en arrivant à l’aéroport, et je me suis mise à pleurer. C’était toute une pression de partir seule à l’autre bout du monde pour subir une telle intervention. J’avais d’énormes craintes, car je savais qu’il s’agissait d’une intervention majeure. J’avais aussi peur de ne plus rien ressentir sexuellement. Mais après la chirurgie, j’ai eu l’impression qu’un lourd fardeau venait de tomber de mes épaules. Je me suis sentie libérée, et il ne me restait qu’à guérir.

Aujourd’hui, diriez-vous que vous avez perdu vos sensations ?

Au contraire, j’ai une jouissance merveilleuse. Mon corps féminin est beaucoup plus érogène qu’il ne l’était auparavant. J’ai une jouissance clitoridienne et vaginale, et j’ai même trouvé mon point G. Pour le reste, la chirurgie est à ce point réussie que mon sexe ressemble tout à fait à celui d’une autre femme.

Auriez-vous pu vivre votre vie de femme sans passer par une transformation si drastique ?

Non. Je tenais à avoir un organe féminin complet. C’était viscéral pour moi. Chaque personne est différente. Il y a des personnes trans qui ne ressentent pas ce besoin, d’autres craignent trop la chirurgie. Il faut respecter le choix de chacun.

Est-ce que votre caractère a changé depuis la chirurgie ?

Je suis la même personne. C’est vrai que les hormones ont parfois une incidence sur la gestion des émotions. Il y a des films qui me font maintenant pleurer, alors que ce n’était pas le cas auparavant. Je n’ai pas changé d’orientation sexuelle. Je suis encore attirée par les femmes. L’identité de genre n’a rien à voir avec l’orientation sexuelle. Pour le reste, je me considère comme chanceuse. J’ai tous les avantages d’être une femme, mais j’ai gardé la force masculine. Quand je frappe une balle de golf à 250 verges, ça frappe fort! J’ai le meilleur des deux mondes et tout pour être heureuse.

Lorsque vous étiez en période de transition, et que vous n’aviez pas encore l’air tout à fait d’une femme, étiez-vous victime de moqueries ?

Ça m’est arrivé au début, mais je prenais toujours le temps d’expliquer aux gens ce que je vivais. En raison de la méconnaissance de la trans identité, nous sommes parfois perçus comme des êtres bizarres dans notre milieu de vie. Certains font l’objet de discrimination dans l’emploi et le logement. Ils ne sont pas toujours respectés par le corps médical. Il y a parfois de la curiosité malsaine de la part de l’équipe soignante, ou bien ils se font appeler par leur prénom d’origine dans les institutions, ce qui est très blessant pour une personne trans.

Quelle est votre principale revendication ?

La bataille au niveau législatif présentement est qu’il ne soit plus obligatoire pour une personne de subir des chirurgies afin d’obtenir un changement de mention de sexe à l’état civil. Le gouvernent du Québec a adopté le projet de loi 35 qui modifie le Code civil en ce sens, mais le règlement qui permettra son application n’a pas été mis en vigueur.

  • 70 % des personnes trans identifiées ont pensé au suicide

  • 44 % de la population ne fait pas la différence entre l’orientation sexuelle et l’identité de genre

  • 78 % des personnes trans identifiées ont rapporté avoir été victimes de harcèlement sexuel

Source: Association des transsexuels et transsexuelles du Québec (ATQ). Le Ministère de la Santé et des Services sociaux offre gratuitement la chirurgie de changement de sexe aux transsexuels, mais les chirurgies faciales, les augmentations mammaires ou les épilations ne sont pas remboursées.